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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

LES PREMIERS CONCERTS INSTRUMENTAUX DE MUSIQUE CLASSIQUE

Au 17e siècle, l'opéra italien prédomine à travers toute l’Europe. Ses forces obscures ne sont pas sans conséquence sur les autres modes d'expression de la musique. Cette conquête aussi importante que celle de la monodie accompagnée, substituée progressivement à la polyphonie des siècles précédents, va bousculer la musique instrumentale et la musique religieuse dans ses orientations…


LA CONQUÊTE DES INSTRUMENTS SOLISTES

Grâce à la monodie, les instrumentistes trouvent une invitation à briller dans des soli et à cultiver une flatteuse virtuosité. La mise en relief d'une ligne mélodique prédominante crée toutes sortes de possibilités inespérées. Le soliste devient un orateur respectueusement écouté qui prononce un discours d'un sens élevé. Sa personnalité peut s'affirmer dans les nuances de son interprétation.

Cette éminente fonction entraînera la naissance de la sonate qui tirera un heureux parti des oppositions des mouvements utilisés jusqu'ici avec moins de science architecturale par la suite, issue du ballet et des danses populaires. Le concerto verra le jour de la même façon. Ces deux genres qui sont deux apothéoses caractéristiques de la monodie, seront la récompense de l'offensive victorieuse qui a permis aux archets et aux claviers de conquérir leur place au soleil et de démontrer que la polyphonie vocale n'était pas seule capable de traduire de nobles pensées.

C’est ainsi que le plus individualiste et le plus ambitieux des instruments venait de prendre, soudain, grâce à l'Italie, une importance souveraine. Le violon, qui avait fait une assez timide entrée dans le monde, au cours du 16° siècle, est devenu, entre les mains des grands luthiers, un outil musical d'une extraordinaire qualité. Les Amati, les Guarneri, les Stradivari et leurs émules l'ont enrichi de perfectionnements qui en font le roi de l'orchestre.

Le violon va détrôner et remplacer les violes dont il copiera les différentes variétés. L'alto et le violoncelle feront disparaître la viola di braccio et la viola di gamba. Et ce splendide outillage engendrera tout le riche répertoire de la musique de chambre. En développant par son étendue et ses ressources d'articulation le champ d'action du luth, le clavecin à 45 notes fascinera, lui aussi, une légion de compositeurs qui, pour en tirer parti, découvriront des formes musicales nouvelles.


L'OFFENSIVE DU CLAVECIN

Encore une fois, en dépit des idées reçues, nous sommes bien obligés de constater qu'en musique l'instrument fut souvent un maître avant de devenir un serviteur.

Ce n'était pas pour obéir aux instructions des compositeurs désireux d'enrichir leur écriture d'ingénieuses broderies que les facteurs de clavecins tendaient leurs cordes et armaient leurs sautereaux d'une certaine façon : c'est parce que les cordes ainsi tendues et griffées produisaient un son trop sec et leur refusaient une inflexion expressive que les compositeurs ont été amenés à utiliser le gruppetto, le mordant ou l'appoggiature afin de prolonger artificiellement une résonance trop prompte à s'évanouir.

Dans un atelier, l'outil travaille pour l'ouvrier : en musique, l'ouvrier des sons est à chaque instant contraint de travailler pour l'outil. C'est, d'ailleurs, ce qui l'engage dans les sentiers de la découverte, développe son ingéniosité, et lui révèle des secrets insoupçonnés, touchant la sensibilité et, si l'on ose dire, l'émotivité de la matière.

Les luthiers, les fabricants de clavecins et les organiers du 17e siècle ont donc été les « éveilleurs » de toute une génération de grands créateurs et d'illustres virtuoses. Leur responsabilité est si nette que beaucoup de compositeurs de cette époque, la préoccupation d’obéir à l’instrument, de le flatter et de le mettre en valeur, domine celle de servir la musique pure. Et cette servilité a créé tout autour de la machine-outil inconnue, un courant de curiosité, d'intérêt et bientôt de ferveur dont la musique bénéficiera.


LA NAISSANCE DU CONCERT

C'est ainsi qu'a pu naître dans la foule le goût du « concert » qui n’apparut qu'au 17e siècle. Jusqu'alors, les joueurs d’instruments n’étaient chargés que de missions domestiques particulières. Ils n’étaient que des valets spécialisés, attachés à la personne des grands seigneurs pour accompagner les danses, donner de l'éclat à leurs réceptions ou à leurs festins. Ils faisaient partie du personnel de luxe des châteaux au même titre que les cuisiniers et les échansons.

Au 15e siècle, les morceaux qu'exécutaient les ménétriers s'appelaient, sans façon, des « entremets », parce qu'ils n'avaient, en effet, d'autre utilité que celle de distraire les convives pendant l'intervalle qui séparait deux services. Ainsi, durant longtemps, on appela « cadeaux en musique » des réunions tout à fait exceptionnelles au cours desquelles un mécène avait la générosité et l'audace de présenter à ses hôtes des instrumentistes et des chanteurs.

La musique instrumentale demeura donc, jusqu'en 1656, date du premier concert public payant, au Palais Royal, un plaisir confidentiel et familial réservé à une élite. Et, pourtant, selon quelques écrits, la musique de chambre exerçait déjà, à cette époque, sur les amateurs, le même envoûtement et postures extatiques propres aux mélomanes d'aujourd'hui. Rien ne semble avoir changé depuis plus de quatre cents ans !

Dans la vulgarisation de la musique instrumentale du 17e siècle, la France joue un rôle assez actif, du moins en ce qui concerne le luth, l'épinette, le clavecin et l'orgue, car l’Italie la devancera dans l'utilisation concertante du violon comme elle l'avait fait pour la révélation de l'opéra. Néanmoins, notre sol produit une floraison abondante de virtuoses compositeurs qui défendent brillamment notre prestige. Citons les luthiers Ennemond, Jacques et Denis Gaultier, de Pinel, de Racquet, de Charles de Mouton, des Gallot, de Marandé, de Robert de Visée. Divers recueils de cette époque ont été conservés dans les musées, tels le Trésor d'Orphée d'Antoine Francisque, le Thésaurus hormonicus de Jean-Baptiste Besard (virtuose bisontin) et un album de Robert Ballard. Tout un répertoire où s’illustre à leur avantage danses classiques, branles, courantes, pavanes et gaillardes.

Les clavecinistes ne découvriront pas du premier coup le style qui convient à leur instrument. Une patiente adaptation leur sera nécessaire pour s'affranchir des traditions du luth. Pour rendre pleine justice aux musiciens qui ont honoré le clavecin, il faut pénétrer dans le domaine de l'orgue, car les deux instruments, malgré la profonde différence de leur technique et de leur toucher, étaient généralement confiés au même exécutant.

Les premiers organistes clavecinistes à posséder une science d'écriture et une richesse polyphonique seront Jehan Titelouze (1563-1633), chanoine de Rouen, Charles Thibault, Robert Cambert, Etienne Richard, Nicolas Gigault, François Roberday, et surtout Nicolas de Grigny (1671-1703), compositeur de haute valeur dont l'influence à l'étranger fut considérable et dont les œuvres figurent encore, de nos jours, au répertoire des grands organistes, et Michel de Lalande (1657-1726) qui, malgré la tyrannie de Lully, parvint à composer des partitions de musique pure de très haute qualité.


LA MUSIQUE ITALIENNE ENCORE…

Toute l'Europe voit se développer le goût de la musique instrumentale. Comme en France, le luth est contraint, en Italie, de s'effacer peu à peu devant le clavecin, et celui-ci devient l'instrument secondaire des organistes. C'est ainsi qu'un Pasquini (1637-1710), extraordinaire improvisateur, écrit pour le clavecin des sonates d'une perfection rare qui constituent de véritables anticipations. Le génial Girolamo Frescobaldi (1583-1643) avait, de son côté, composé des partite, des canzones, des toccatas et des caprices d'une conception originale et hardie.

Mais l'Italie, nous l'avons vu, venait de découvrir son trésor : le violon et son archet magique. Aussitôt, la race des magiciens foisonne dans la péninsule. Arcangelo Corelli (1653-1753), dirige un orchestre à cordes qui enthousiasme la haute société romaine, tandis que Giuseppe Torelli (1674-1745) fait preuve d'un tempérament vigoureux et original et joue un rôle de premier plan dans la création et la diffusion du genre concerto. Stradella (1645-1681) et Jean-Baptiste Bassani (1657-I716) contribuent à l'établissement du plan tonal de la sonate alors que Benedetto Marcello, Albinoni et Giambattista Mazza Ferrata aux tendances « modernistes », complètent un bataillon d'élites qui impose victorieusement aux amateurs de musique de l'Europe entière la suprématie de l'école italienne du violon.

Dans le domaine de la composition, les Italiens font triompher également leurs conceptions particulières en donnant une forme solide à la sonate de chambre, à la sonate d'église et surtout à la sonate en trio qui ouvre la porte à la future symphonie classique. L’histoire dévoile ses secrets et les musicologues prennent consciences que le jeune Bach étudiait alors avec un soin particulier les maîtres italiens de cette époque dont il recopiait respectueusement les partitions pour mieux assimiler leur technique. Bach accordait une estime particulière à Vivaldi.


LE « CAS » VIVALDI

Antonio Vivaldi (1678-1743) dominait, en effet, de très haut tous ses contemporains et Bach ne s'y était pas trompé, mais la destinée de cet artiste d'exception représente, dans l'histoire de la musique, un « cas » assez étrange. S’il connut, de son vivant, une gloire éclatante, malgré ses triomphes de compositeur, de chef d'orchestre, de maître de chapelle, de professeur et de virtuose du violon devenus légendaires dans toute l'Europe, il fut, à la fin de sa vie, victime de l'ingratitude de ses compatriotes et termina misérablement ses jours dans un injuste abandon. Pendant une très longue période, son nom fut oublié et ses œuvres dédaignées.

L'étoile de Bach allait, elle aussi, durant les soixante-quinze années qui suivirent sa mort, subir une éclipse analogue. Mais, lorsque le généreux Mendelssohn parvint à redorer le blason du Grand Cantor, il ressuscita, en même temps, sans s'en douter, l'infortuné Vivaldi. Les musicologues du début du 20e siècle, intrigués par l'application avec laquelle un J.-S. Bach transcrivait les œuvres d'un compositeur aussi obscur, voulurent consulter les manuscrits originaux de cet inconnu et purent constater que Vivaldi avait été un génial précurseur, abondamment plagié, démarqué et pillé par ses plus illustres confrères. Car il fut non seulement le créateur de la forme du « concerto de soliste » mais avait exercé sur la symphonie avant Haydn, une influence décisive.

L'étude de l’abondante production de Vivaldi a démontré que non seulement Bach, mais aussi Haendel avaient eu le compositeur italien pour initiateur. La vive curiosité que suscitent la vie et l'œuvre de ce remarquable compositeur le vengent enfin de l'indifférence coupable des historiens et des musiciens qui, pendant près de deux siècles, se sont désintéressés de son sort. Les programmes actuels des récitals nous prouvent que l'école italienne du 18e siècle a fini par bénéficier tout entière des avantages de cette miraculeuse résurrection.


AILLEURS EN EUROPE…

Si l’Italie et la France rayonnent, l'Allemagne du 17e siècle ne se signale pas par une bien grande originalité en matière de musique instrumentale. Elle imite docilement les Français et les Italiens, tout en prolongeant le règne de la Suite et en n'abordant qu'avec timidité la nouvelle forme de la sonate. Johann Rosen-muller (1620-1684), Matthias Kelz, Samuel Scheidt (1587-1654), puis plus tard Kuhnau, à qui l'on attribue l'initiative de la sonate pour clavecin seul, et Krieger (1649-1725) méritent pourtant de recevoir l'hommage de la postérité. Quant au danois Buxtehude (1637-1707), qui passa la plus grande partie de sa vie à Lübeck, il exerça un tel rayonnement sur l'Allemagne entière, comme virtuose et comme compositeur, que Bach, à vingt ans, accomplira, en pèlerin fervent, un voyage d'un mois pour lui rendre visite et lui demander des conseils.

En Angleterre, depuis la fin du 16e siècle, brillait une très belle école de virginalistes qui, sous l'impulsion de William Byrd (1543-1623), de John Buli (1563-1628) ou d'Orlando Gibbons (Î583-1625) créeront un style véritablement national dont les caractéristiques sont si nettes qu'on les reconnaîtra partout en Europe.

L'Espagne et le Portugal suivront avec quelque retard, dans le domaine instrumental, le mouvement qui détrône la polyphonie au profit de la monodie accompagnée. La péninsule ibérique y participe pourtant, car ses cantarcinos utilisent la nouvelle écriture harmonique avec accompagnement de vihuela. Jusqu'au 18e siècle, le style instrumental ibérique ne se laissera pas entamer par l'infiltration italienne. Sans pouvoir s'appuyer sur l'examen de leurs œuvres, aujourd'hui perdues, les musicologues rendent hommage à la célébrité de quelques compositeurs de ce temps comme Juan Hidalgo, Juan de la Boada, Alvaro et Pedro Gonzalez ou encore Juan Blas de Castro et Carlos Patino.

par Martine Lecoeur (Cadence Info - 07/2016)
(source : Histoire de la musique - Artheme Fayard)

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