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CLASSIQUE / TRADITIONNEL


LES COMPOSITEURS DE LA MUSIQUE CLASSIQUE ESPAGNOLE

La musique espagnole ne doit pas se résumer à son “El gato montes” venue des profondeurs de l’arène pour encourager le torero ou le matador, ni de son cante flamenco avec ses falsetas, quand la danseuse, palillos en mains, exécute une farruca sensuelle. Ces “images folkloriques” connues du plus grand nombre, feraient enrager le moindre musicien espagnol, s’il lui prenait l’envie de défendre l’identité musicale de son pays.


MUSIQUE D’ESPAGNE ET FOLKLORE

Tout ce folklore musical construit autour de traditions n’est qu’un aperçu très réducteur du rayonnement de la musique espagnole à travers la planète. Certes, des chanteurs populaires et parfois même des musiciens de jazz n’ont pas vraiment rendu service à la grandeur de la musique espagnole en la réduisant à la simple couleur d’une gamme et à trois accords. Mais c’est ainsi !… La musique folklorique est la carte d’identité de tout un peuple, même si occasionnellement elle est récupérée à d’autres fins. Les “espagnolades” en font partie, et depuis bien longtemps, les Espagnols ont accepté cette imagerie souvent ridicule, la laissant volontiers aux touristes qui en sont friands.

D’ailleurs, pourquoi s’en plaindraient-ils ?… puisque la musique espagnole, sous différentes déclinaisons, a influencé et inspiré de nombreux pays d’Amérique latine ou d’ailleurs, colonies obliges !

L’évolution musicale d’un pays étant par essence construite autour de son histoire, la musique espagnole n’a pas échappé également à ce constat : sans la conquête musulmane de la péninsule ibérique au 6e siècle, la musique espagnole n’aurait certainement jamais eu l’idée de construire un tel métissage sonore. À cela, viennent s’ajouter les fortes identités des différentes régions : Andalousie, Catalogne, Castille, Galice, Navarre… sans oublier la communauté gitane qui, bien que minoritaire, va contribuer d’une certaine façon à brouiller les cartes. 

À partir du 19e siècle, la musique classique dite “savante” souhaite s’affranchir de ces quelques origines musicales “arabisantes” et “gitanes” trop envahissantes en les contrôlant. Malgré la vigilance, des traces sont restées et sont venues enrichir la musique d’Espagne, créant des croisements sonores uniques.

Tout en gardant une part de leur folklore, les compositeurs classiques espagnols du 19e siècle ont souhaité élever le débat en créant des sortes “d’écoles musicales” qui, avec des synchronismes variables, ont, au cours du siècle suivant, suivi l’irrésistible ascension et évolution de la musique française. La plupart des compositeurs espagnols sont partis généralement d’une inspiration folklorique, mais ils ont trouvé dans la musique française de ce temps, des modes d’expression qui ont transformé leur style de la plus heureuse façon. Sans détruire l’accent de leur terroir, ils ont trouvé notamment dans Debussy ou Ravel, les moyens d’enrichir leur vocabulaire.


LES COMPOSITEURS ESPAGNOLS

Avant d’aborder Manuel de Falla, le plus célèbre représentant des compositeurs espagnols, partons à la rencontre d’autres musiciens classiques qui ont également contribué, grâce à leur talent respectif, à rendre la musique espagnole si belle, si riche et si profonde.


ENRIQUE GRANADOS

Enrique Granados (1867–1916)

Alors que le catalan Felip Pedrell (1841-1922) s’est consacré entièrement à la glorification des traditions populaires de son pays, un de ses élèves, le catalan Enrique Granados (1868-1916), profondément imprégné, lui aussi, des parfums de sa terre natale, sera l’un des premiers à subir l’influence de l’école française en travaillant à Paris avec Charles de Bériot.

Bériot initie Granados aux nouvelles façons de penser, de sentir et d’écrire. Ainsi sont nées les Tonadillas, les Goyescas, les Zarzuelas qui tirent de leur sol ibérique ce parfum si savoureux. Granados composera sa musique sans que sa personnalité en souffre. Visiblement, le compositeur espagnol a trouvé dans l’étude des œuvres françaises un réel raffinement poétique. Il écrira de nombreuses pièces haut en couleur : Picarol, Miel de la Alcarria, Liliana, La nit del mort (poème symphonique), mais également des valses, des études, des danses espagnoles, deux opéras (Maria del Carmen et Folletto), etc. Il aurait composé certainement d’autres œuvres passionnantes si la mort ne l’avait frappé à l’âge de 49 ans (en traversant la manche pour rejoindre l’Angleterre, le navire Sussex, dans lequel avait pris place Granados, fut victime d’un torpillage par un U-Boot allemand lors de sa traversée).


Isaac Albéniz (1860–1909) en 1901.

ISAAC ALBENIZ

Autre grande figure de la musique classique espagnole : Isaac Albéniz (1860 – 1909). Comme Granados, Albéniz séjourne à Paris pour travailler le piano avec Marmontel, un pédagogue alors renommé. Il souhaite devenir un pianiste virtuose avant d’étudier la composition. Son inspiration trouve auprès de Paul Dukas et de Vincent d’Indy toute l’aide nécessaire à l’accomplissement des écritures et de leur commandement.

Albéniz, en élève attentionné, va subir l’influence de Debussy et de Ravel plus profondément qu’Enrique Granados. Albéniz met alors leur élocution au service d’une inspiration la plus espagnole qui soit. Ainsi sont nés le poème symphonique Catalogna et la suite pour piano Iberia. Albéniz a écrit de nombreuses pièces pour piano. Ses œuvres attestent d’un tempérament ardent et généreux. Leur fougue et leur bonne humeur ne sont pas sans rappeler les compositions colorées d’Emmanuel Chabrier.


LES AUTRES COMPOSITEURS ESPAGNOLS

Tous les compositeurs espagnols ne vont pas subir l’influence française de la même façon. Ceux qui demandent auprès de la Schola Cantorum (institution musicale créée au début du 20e siècle) la possibilité d’approfondir leur connaissance, subissent plus profondément l’empreinte de son enseignement dogmatique. Ce sera le cas de Joachim Turina (1882 - 1949) qui a eu beaucoup de peine à se dégager de l’influence des maîtres français. Cependant, il arrivera à extirper de son cœur toute la puissance évocatrice de ses origines dans les pièces exigeant des descriptions d’après nature, tels les Coins de Séville ou la Procession du Roccio.

D’autres compositeurs comme Bartolomé Perez-Casas (1873 – 1956), Federico Olmeda de San José (1865 –1909) et Enrique Morera (1865 - 1942) ont également joué un rôle actif dans la vie musicale de leur pays. De son côté, Federico Mompou (1893 - 1987) sera remarqué pour ses pièces de piano très évocatrices. Certaines d’entre-elles contiennent l’insaisissable, juste la petite dose de mystère susceptible d’apporter à la musique espagnole toute sa vertu incantatoire. Ses Faubourgs, ses Fêtes lointaines ou ses Scènes d’enfants révèlent un compositeur inspiré, un compositeur apte à transposer, dans le domaine des sons, des sensations qui semblent échapper à toute définition musicale. Son neveu, Carlos Pedrell (1878 - 1941), s’inspirera en partie des traces laissées par son oncle.

N’oublions pas non plus, Manuel Ponce (1882 – 1948), Joaquim Cassado (1867 – 1926), dont la pièce Hispania, vigoureusement rythmée, transporte la musique espagnole dans ce qu’elle a de plus colorée… Et que serait la musique classique espagnole sans Joaquin Rodrigo (1901 - 1999) et son célèbre Concerto d’Aranjuez pour guitare et orchestre, vu, revu et adapté sous différents éclairages, jazz ou autres.


MANUEL DE FALLA

Manuel de Falla (1876–1946)

De L’amour sorcier à Nuits dans les jardins d’Espagne en passant par le Tricorne, les œuvres de Manuel de Falla (1876 – 1946) sont inscrites dans le patrimoine culturel espagnol “ad vitam æternam”. Ce compositeur de génie a dominé et écrasé son époque de sa puissante personnalité. Comme pour Granados et Albéniz, le compositeur travaille à Paris et passe par la Schola Cantorum. En France, il fréquente assidûment Claude Debussy, Maurice Ravel et Igor Stravinsky, avant de retourner en Espagne dans son ermitage de l‘Alhambra, à Grenade (le compositeur passera les derniers jours de sa vie en Argentine).

Dès ses débuts, De Falla impose avec son opéra, La vie brève, son talent exceptionnel. Les œuvres suivantes le confirmeront et lui vaudront l’admiration passionnée des mélomanes du monde entier. De Falla subira passagèrement les influences des maîtres français, mais ceux-ci n’entameront pas son ibérisme foncier, qui fera de lui un authentique représentant de l’âme espagnole.

Dans ses œuvres majeures, Manuel de Falla nous transporte au gré de son inspiration. Ses tableaux sonores sont tantôt baignés par de la poésie (Les nuits dans les jardins d’Espagne), des émotions flamencas (L’amour sorcier) ou des envolées trépidantes (Le Tricorne). Le musicien signera d’autres compositions qui, même si leur musicalité, comme leur réputation sont moins retentissantes, méritent toutefois d’être portées à votre connaissance : le Concerto pour clavecin, le Retable de Maître Pierre, les chansons espagnoles : Dos rimas, Preludios, Tus ojillos negros, Siete canciones populares españolas, Oración de las madres que tienen a sus hijos en brazos, etc. Manuel de Falla composera également de la musique de chambre et de nombreuses pièces pour piano dont Nocturno, Serenata andaluza, Canción, Cortejo de gnomos, Danza de La Vida Breve, Fantasía Bética, etc.

L’ensemble de ses mélodies révèle, sous des formes très variées, sa souveraine maîtrise et son originalité totale. Si des œuvres de Debussy ou de Ravel ont pu être imitées, personne n’a su tirer des chefs-d’œuvre de Manuel de Falla une formule utilisable. Personne ne parviendra à se démarquer de l’Amor Brujo, ni de sa chaleur intérieure, ni de sa fièvre, ni de son ardente couleur.

De ses orchestrations incisives aux rythmes ensorcelants, parfois bercées par le satanisme gitan, jusqu’à son âpre sensualité, l’Espagne a trouvé dans Manuel de Falla, un musicien dont la force créatrice est l’égale des plus grands peintres classiques.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 01/2011)

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