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CLASSIQUE / TRADITIONNEL


LES COULISSES DE L'OPÉRA, SON UNIVERS ET SES STRATAGÈMES

À l’opéra, il y a ce que l’on voit, ce que l’on ne voit pas, ce qui se dit tout haut ou tout bas. Si lors du spectacle les efforts convergent pour que tout soit parfait, quelques minutes avant que le rideau ne se lève, les coulisses vivent au rythme de la nervosité et du stress…


AU MOMENT DES DERNIÈRES VÉRIFICATIONS

Vous n’imaginez pas à quel point la réalisation d’un spectacle est une source de problèmes ! Quelques minutes avant la représentation, au moment même où le directeur du théâtre et l’équipe de production viennent voir si tout se passe bien dans les coulisses, les techniciens s’affairent à vérifier une foule de petits détails : les mécanismes du cintre, le gril, la machinerie du décor. Tout devra fonctionner parfaitement au moment voulu. Idem pour l’éclairage, qui aura pour mission de faire ami-ami avec les différents décors. Quant au son, il devra avoir un équilibre satisfaisant à défaut d’être parfait.

Dans la fosse d’orchestre, les musiciens prennent place et ouvrent leur partition. Un tintamarre sonore s’élève annonçant que la représentation va bientôt commencer. Derrière le rideau fermé, les chanteurs et les chœurs prennent leur marque respective. Tout doit donner l’impression d’un grand naturel, sachant que, comme s'il s'agissait d'une pièce théâtrale, l’action n’attend pas. Que l’on est le tract ou pas, quand le rideau se lève, il est déjà trop tard !


HISTOIRE DE LOGE

Au tout premier plan d’une troupe d’opéra, il y a bien sûr les chanteurs (et chanteuses). Si la plupart son sympathique et avenant, ils ont des besoins, voire des exigences qu’ils imposent parfois. Après tout, sur scène, ce sont souvent eux qui prennent le plus de risques ! Pour se préparer mentalement, la loge devient alors le lieu privilégié. C’est presque un sanctuaire ou seuls les intimes sont conviés. Les vedettes y passent une grande partie de leur temps, avant, pendant et après le spectacle.

La loge est un endroit particulier où le désir de se relaxer, de chauffer sa voix avant la représentation est de la plus haute importance. Le grand ténor ou la chère Diva pourront se concentrer sur leur personnage, faire des vocalises, où procéder à un rite qui leur son essentiel. C’est fréquemment à cette occasion que naissent les petits caprices. L’administration du théâtre doit être vigilante et faire preuve d’attention. Elle doit proposer des loges aussi fonctionnelles et confortables que possible, tout en ménageant une intimité suffisante. Évidemment, quand le confort et la discrétion ne sont pas au rendez-vous, des colères, des cris peuvent éclater et résonner dans tout le théâtre (côté mauvaise humeur, n’allez surtout pas croire que les hommes sont les derniers à se manifester, bien au contraire !).

La loge doit être fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle doit posséder quelques aménagements : l’inévitable table de maquillage surmontée d’un grand miroir lumineux, le divan pour se relaxer et une salle de bains si possible (le bain de vapeur joue un rôle de préparation pour les cordes vocales). Accessoirement, la présence d’un piano peut parfois être utile. Je passe sur les détails concernant l’humidité de la loge, sa température, la nature des boissons, sans oublier la superstition qui vient annoncer un mauvais présage, notamment quand tout ce qui est sollicité ne se présente pas dans les formes : la couleur de la loge, la présence de bruits, etc.

À l’occasion, un chanteur, un chef d’orchestre ou quelque autre invité peut réclamer davantage qu’une simple petite faveur. Tout est une question de célébrité. Face à une star connue pour être capricieuse, le mieux est de prévenir plutôt que de guérir, sinon l’accident « diplomatique » couve et le spectacle peut être retardé, voire annulé. Les contrats, les assurances ne protègent pas contre tous les impondérables !

Plus vous allez au fond des choses, et plus certaines questions vous donnent à réfléchir. Par exemple, comment diable peut-on avoir suffisamment de loges lorsque la distribution est très importante ? Chaque théâtre, du plus petit au plus important, ayant toujours un nombre de loges limité, il arrive bien souvent que les figurants, les danseurs ou les musiciens partagent une même loge, voire se préparent à même les couloirs. Si, si, cela arrive ! Qu’ils soient courtisans, esclaves, soldats ou simples citoyens, la figuration ne méritent pas les mêmes égards que la Diva ou l’illustre ténor. La petite loge aux petits soins ne les concerne pas. De même, un chanteur qui n’a que quelques lignes de texte à chanter sera considéré comme un extra, un coureur de petit cachet qui n’aura d’autre choix que d’être satisfait par ce qu’on lui proposera.


LE SALAIRE DES CHANTEURS D'OPÉRA

La réputation d’un grand chanteur d’opéra va généralement de pair avec un cachet élevé car, outre l’affiche proposée et l’œuvre présentée, c’est le plus souvent sur leurs épaules que repose une grande partie du spectacle. Pour les organisateurs, si le public répond présent, c’est parce qu’ils sont là !

Les cachets n’ont pas de barème fixe et sont négociés par contrat. Dans ce domaine, qui a connu en quelque sorte « l’économie libérale » bien avant que le moindre syndicat ne vienne fureter, un cachet de 15 000 euros la représentation ne doit pas vous surprendre. Toutefois, au regard du malaise économique actuel, récolter en trois heures ce qu’un smicard gagne péniblement en une année peut apparaître aux yeux d’un grand nombre comme proprement scandaleux.

Gagner 10 briques la représentation et puis encore ! Justement, il y a pire. À Tokyo ou ailleurs, un artiste célèbre peut demander le triple, c’est-à-dire près de 50 000 euros pour une représentation exceptionnelle ! Mais attention ! Sachez que quand un établissement jouit d’une grande réputation, le cachet est généralement moins élevé. Ce paradoxe s’explique par le fait que le nom de l’opéra (Metropolitan Opera de New York, Opéra de Vienne, etc.) suffit à attirer naturellement les plus grands noms. À l’inverse, pour un opéra plus modeste, proposer des têtes d’affiche célèbres dans la distribution est un pari osé, mais payant en retour, car cela draine très souvent un public important. Les spectateurs sont toujours prêts à payer une place à un prix exorbitant simplement pour voir et entendre leurs artistes préférés dans de bonnes conditions.

Si le talent mérite récompense, et même si certains cachets choquent, il ne faut pas oublier que dans le domaine artistique, les risques du métier ne sont pas de même nature qu’un employé de banque ou qu’un ouvrier de chantier. L’artiste, quelle que soit sa renommée, joue toujours à l’équilibriste en marchant sur un fil invisible. A tout moment, l’irréparable peut se produire. Dans aucun cas, il n’existe de sécurité absolue qui puisse permettre à un artiste de vraiment se rattraper et de souffler sans penser au lendemain. C’est une quête perpétuelle, souvent usante et frustrante.

Chez le chanteur d’opéra, le mode de vie décalé, les répétitions et le travail de la voix, font partie du quotidien. Ces sacrifices existentiels ne doivent pas faire oublier que derrière l’artiste existe un être en proie au doute et au renoncement. Les plus célèbres ont toujours commencé petit. Avant d’être des célébrités, ils ont dû faire face à une rude concurrence au travers de nombreuses auditions. Ils auront parcouru des centaines de kilomètres, traverser tout un pays, pour seulement espérer un engagement, un rôle pour lequel lorgnent beaucoup de postulants. Et si l’engagement est obtenu, le premier cachet est rarement reluisant. Le montant est insuffisant pour compenser tous les efforts consentis, le rôle appris par cœur et les dépenses annexes qui ne sont pas ou peu remboursées.

Tout ce qui vient d’être commenté s’applique à l’univers de l’opéra. Toutefois, les mêmes observations, les mêmes constats, existent également dans les autres milieux artistiques. Les différences se justifient, le plus souvent, par l’image renvoyée, par le prestige et la part de rêve que la discipline véhicule. Le cinéma, le théâtre, l’opéra ou la chanson appartiennent tous au domaine des arts, mais ne jouissent ni des mêmes faveurs auprès du public ni des mêmes avantages économiques. L’opéra, tout comme les grands concerts de musique classique, coûte très cher en général. Pour le renflouement des caisses, ce n'est certainement pas sur l'opéra que les municipalités doivent compter !


L'OPÉRA, DU DÉCOR AUX COSTUMES

Aujourd’hui, les spectateurs qui fréquentent une grande maison d’opéra espèrent toujours être impressionnés par ce qu’ils vont voir et pas seulement par ce qu’ils vont entendre. Le visage de l’opéra a considérablement évolué. Les derniers perfectionnements techniques sont invités à y participer sans ménagement.

Lors d’une représentation, le décor visible n’est pas construit sur la scène même. Il doit être amovible. Les différentes parties se trouvent dans un bâtiment annexe ou à l’extérieur, dans de grands hangars aptes à stocker les imposants objets et éléments divers qui le constituent. Sur scène, l’assemblage s’effectue le plus souvent par un système de câbles et de monte-charges. Une fois monté, le décor doit être suffisamment solide et stable pour résister aux vibrations de la scène.

L’arrière scène d’un opéra est généralement spacieuse et doit permettre l’emplacement de plusieurs décors. Pour procéder à un changement de l’un d’eux, reprenant le même principe du théâtre, le technicien pressera sur un bouton pour que le suivant remplace le précédent. Tout se déplace d’un bloc en venant se ranger à droite ou à gauche, au-dessus ou au-dessous de la scène. Il arrive parfois que la scène pivote ou que le décor, pour une question de mise en scène, se mette à bouger durant la prestation des artistes dans le sens de la hauteur ou de droite à gauche et inversement.

Autre élément important, l’atelier des costumes. Sans costumes, point d’opéra à l’horizon. Dans les grandes maisons, ce lieu ne manque pas d’animation. Les couturières avec leurs petites mains habiles confectionnent des tenues d’apparat, des costumes impressionnants de formes et de couleurs. Il en va de même pour l’atelier de perruques et de coiffure, autres éléments tout aussi indispensables.


L’ORCHESTRE... IL EST DANS LA FOSSE

Contrairement à un concert de musique classique, l’orchestre d’opéra ne trouve pas sa place légitime au centre de la scène, mais dans la fosse d’orchestre. Cet emplacement est stratégique en libérant un vaste espace scénique tout en permettant au public des premiers rangs ne pas être gêné par la présence de l’orchestre. Les musiciens se placent dos à la scène, tandis que le chef d’orchestre lui fait face. Comme son nom le laisse suggérer, la fosse d’orchestre se situe au pied de la scène, en contrebas de celle-ci, à environ un mètre en dessous du niveau du parterre. Seul le chef d’orchestre et le haut des crânes des musiciens sont généralement visibles.

La fosse d’orchestre a souvent servi de refuge à une quantité de musiciens anonymes, à des fonctionnaires aigris par des musiques parfois ennuyeuses. Pourtant, l’orchestre est d’une grande importance. À la façon d’une musique de films, lui seul est en mesure d’accompagner les moments tragiques, romantiques ou chevaleresques qui se déroulent sur le devant de la scène.

L’orchestre ne fait pas que décorer agréablement le chant, il remplit aussi une fonction dramatique et psychologique. L’orchestre sert à peindre l’atmosphère dans laquelle se déroule le drame. L’écriture musicale, bien plus que dans un traditionnel concert de musique classique, doit être maniée avec attention et prévenance. L’orchestre est toujours tributaire du jeu scénique et c’est ce dernier qui impose plus ou moins la cadence. De plus, dans un opéra qui peut être long, trois heures ou plus, l’orchestre continue de jouer constamment, même quand les chanteurs vont se reposer en coulisses.

À l’orchestre se joignent parfois des chœurs. Le rôle d’un chœur est foncièrement différent de celui d’un chanteur soliste. Les micros étant proscrits, le soliste doit avoir une puissance vocale suffisante pour être entendu du fond de la scène, alors qu’un choriste doit fondre sa voix dans l’ensemble du chœur. Contrairement à l’orchestre, le chœur n’est pas toujours immobile. Il lui arrive de marcher, de danser, tout en chantant. Il doit constamment s’exprimer de façon la plus juste possible, quels que puissent être les mouvements à exécuter et quels que soient les inévitables flottements rythmiques qui peuvent se produire.


LE CHEF D'ORCHESTRE

L’homme qui conduit à la baguette tout ce beau monde est le chef d’orchestre. Il a pour responsabilité de coordonner la cadence, d’établir le juste équilibre entre les chanteurs sur scène et l’orchestre qui joue juste devant lui. Si le ténor accélère ou ralenti, le chef doit imposer les mêmes inflexions à l’orchestre. Les meilleurs chefs d’opéra sont généralement ceux qui sont capables d’anticiper la cadence rythmique du chanteur, son phrasé et ses nuances. Et, pour que ce périlleux exercice réussisse, le chef doit devenir surtout le grand maître d’œuvre durant les répétitions. C’est effectivement lui qui coordonne les vedettes, le corps de ballet, les chœurs et l’orchestre, et même le souffleur… que l’on oublie, et qui est là pour lancer la réplique perdue au moment opportun.

Contrairement à celui qui étudie des concertos ou des symphonies, le chef d’orchestre d’opéra passe une grande partie de son temps à travailler au piano, ce qui doit prochainement figurer au programme. C’est pour lui une façon d’intérioriser l’œuvre, de s’en imprégner. Il doit également parler couramment l’anglais s’il souhaite diriger et venir en aide aux chanteurs ou aux musiciens (un spectacle de haut niveau fait souvent appel à des valeurs internationales pour exister).


VERS UN RENOUVEAU DE LA MISE EN SCÈNE

Le dernier personnage important est le metteur en scène. Tout comme son homologue au théâtre ou le réalisateur au cinéma, vous ne le verrez pas, mais la qualité du spectacle auquel vous aurez assisté, vous le devrez aussi à lui. Il détermine d’une certaine manière ce que le public va ressentir au cours de la représentation. Au niveau élémentaire, il indique les déplacements scéniques et il motive les chanteurs afin de les rendre plus convaincants dans leur rôle, tandis qu’au stade supérieur, il définit pour la production le concept global, c’est-à-dire l’idée artistique qui unifiera tous les éléments de l’opéra.

Le metteur en scène est un réformateur, du moins il peut l'être. Il est capable, tout comme un chorégraphe ambitieux, d’inventer un nouveau rapport avec le contenu. En transposant l’action à travers les siècles, dans un lieu différent ou en utilisant des personnages proches de ce que nous sommes, il dépoussière l’image de l’opéra et réussit à montrer l’universalité de l’ouvrage et à attirer par la même occasion l’attention sur lui. L’opéra d’un Cosi fan tutte se déroulant dans un boui-boui ou celui d’un Don Giovanni devenu un criminel de quartiers mal-famés ne doit surprendre personne. Les lignes bougent. Heureusement, car l’opéra durant des siècles est resté statique, se repliant sur lui-même, incapable de faire naître la moindre révolution, la moindre remise en question.

Toutes ces nouvelles visions bouillonnantes - qui trouveront malheureusement sur leur route quelques âmes contestataires - possèdent des points positifs comme celui d'élargir les frontières d'un art aujourd'hui sensiblement maudit, et de permettre la venue d’un nouveau public. C'est souhaitable, mais également essentiel pour la survie de l'opéra.

par Patrick Martial (Cadence Info - 12/2014)


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