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CHANSON

BIOGRAPHIE YVES MONTAND, UN ARTISTE AUX MILLE VISAGES

« Je chante, j’écoute, je lis, je voyage, je rêve et je vois. Mon métier c’est de faire plaisir aux gens en les faisant rêver, rire ou pleurer. Je ne suis pas un philosophe ou un homme politique. Ma vie est comme la vôtre. Elle côtoie la vie des autres, leur mort et leur donneur de mort. Je prête vie à des êtres imaginaires, quelque part entre ciel et terre, à l’écran et sur la scène, mais je vis dans le monde réel, les deux pieds sur terre. L’injustice et la douleur de ce monde résonnent en moi comme en vous. Saltimbanque, oui peut-être, mais pas somnambule. », dira un jour, face aux micros, le chanteur, acteur et homme enflammé Montand, pour justifier ses engagements politiques.


UN CERTAIN IVO LIVI

Originaire de Toscane en Italie, le jeune Ivo Livi est issu d’une famille de paysans. À cause de son père qui est un ardent défenseur de la cause communiste, la famille Livi est contrainte à l’exil pour échapper aux chemises noires de Mussolini et vient se réfugier à Marseille.

À l’âge de 11 ans, la crise économique de 1929 l’oblige à travailler et Ivo quitte l’école. Toute sa vie, l’artiste autodidacte cherchera à combler ses énormes lacunes culturelles auprès des gens érudits qu’il rencontrera. Grâce à sa mère, qui fredonne des chansons de sa Toscane natale, Ivo découvre très tôt ses premiers émois musicaux… En attendant, l’Amérique le fait rêver, au point qu’il songe à s’embarquer clandestinement pour le Nouveau Monde. Il admire tellement les vedettes du cinéma américain qu’il apprend seul, face à une glace, à sourire comme le cowboy Gary Cooper et à bouger comme le danseur mondain Fred Astaire, travaillant les moindres petits détails de son élégance gestuelle et de ses pas aériens.


LES PREMIERS PAS D'UNE LONGUE CARRIÈRE

En 1938, à l’âge de 17 ans, la vie du jeune immigré va basculer. Par défi envers lui-même, la peur au ventre, Ivo ose pousser la chansonnette lors d’un gala de quartier. Son pseudo artistique s’inscrit alors pour la première fois tout au bas de l’affiche : Yves Montand.

N’ayant aucun répertoire personnel, le jeune Montand chante des mélodies populaires de Charles Trenet, de Maurice Chevalier. Ses premières imitations un brin décalées de Fernandel, sa désinvolture, son audace et ses gesticulations sont remarquées à défaut d’être remarquables. De salles miteuses en lieux plus ou moins fréquentables, le jeune chanteur poursuit son aventure artistique, ce qui le pousse à abandonner le métier de coiffeur qu’il avait entrepris 3 ans plus tôt… Rien ne lui résiste. Montand se lance sans retenue avec les encouragements de son père Giovanni qui lui ordonne d’être le meilleur. La leçon du père deviendra alors sa règle de vie.

À 18 ans, Yves Montand se produit à l’Alcazar de Marseille, devant un public difficile. À cette occasion, il interprète une chanson composée à son intention par un pianiste non-voyant, Charles Humel. ‘Dans les plaines du Far West‘, avec son refrain entraînant et gai sera le premier succès du chanteur : « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit / Les cow-boys près du bivouac sont réunis / Près du feu, sous le ciel de l’Arizona / C’est la fête aux accords d’un harmonica / Et leur chant, plein d’amour et de désir / Dans le vent porte au loin des souvenirs / Dans les plaines du Far West quand vient la nuit / Les cow-boys dans le bivouac sont réunis » Les paroles de la chanson donnent le cap et sèment déjà leurs petits cailloux sur le chemin de l’Eldorado.

L’ascension est fulgurante. Alors que l’adolescent est pétrifié par une timidité qui ne le quitte pas, l’artiste Montand se révèle, se libère au contact des planches. Il se métamorphose, et personne ne se doute que derrière ce jeune homme élancé, au sourire éclatant, au magnétisme et à la présence incroyable, existe l’enveloppe d’un autre, en proie à de nombreux doutes.

En 1940, tandis que le pays souffre et que son frère Julien est prisonnier dans un stalag, le chanteur a mauvaise conscience. Ses chansonnettes avec leur aspect puéril lui semblent bien dérisoire. S’il ressent la portée de la guerre, il voit se profiler à l’horizon une carrière pleine de promesses. Montand n’oublie pas d’où il vient, aussi va-t-il traverser la période de l’occupation à grandes enjambées…

Deux ans plus tard, quand les Allemands envahissent la zone Sud, la guerre finit par le rattraper. Le STO est à sa recherche. Montand quitte précipitamment Marseille et vient se cacher à Paris au début de l’année 44. Rasant les murs après le couvre-feu, sans laissez-passer, le jeune chanteur cours les cachets avec son unique petite valise. À l’ABC où il a décroché un contrat, les onomatopées yankee sont les bienvenues, d’autant plus que les Parisiens espèrent l’imminence du débarquement. Son tour de chant tombe à point nommé et comme à l’Alcazar de Marseille, le succès est immédiat. Théâtres, cabarets, de l’Alambra au Baccara, le monde de la nuit rêve d’avoir le jeune prodige marseillais…

En août 1944, le Moulin Rouge propose à Montand de chanter en première partie du spectacle d’Édith Piaf. Entre Montand et Piaf, c’est le coup de foudre, un coup de foudre professionnel, mais également personnel. La môme est conquise par ce grand gosse qui, lui, est subjugué par son talent. Comme Montand manque de bonnes chansons, Piaf lui promet de trouver des auteurs et Piaf tient parole…

Face à l’exigence de la chanteuse, Montand répète, répète… et apprend la rigueur. Toute son énergie est consacrée au travail du chant et de la scène. Montand retient vite les leçons au point de devenir petit à petit l’égal de Piaf qui, ne le supportant pas, finit par le quitter… Le chagrin d’amour est immense et le chanteur voit la libération de Paris avec une certaine distance, comme un spectateur impuissant qui assiste à un spectacle qui le dépasse. Une chanson marque cette période : ‘Battling Joe, de Jean Guigo et Loulou Gasté… « Dans un village noir de charbon / Dans les ch’minées et les corons / Tout p’ tit il battait ses copains / Il était fier de ses deux poings / Presqu’ autant qu’ son père le mineur / Qui disait: “Ça f’ ra un boxeur” / Le jour de son premier combat / Fallait un nom, l’ en avait pas / Comme la mode était à l’ anglais / Il s’ appela ” Battling Joe. »

À l’époque, le chanteur est à l’image du prolétaire, de l’ouvrier qui reconstruit un pays en ruines. C’est le ‘fils du peuple’, celui qui apporte son sourire, posant son optimisme face à des existences souvent difficiles. Le public, toujours nombreux, vient applaudir un tour de chant où se mêlent des chansons tantôt légères, tantôt graves. Plus tard, quelques chansons engagées verront le jour, quand la conjoncture sociale et politique ne sera plus au beau discours, mais à la lutte, les poings levés.


DU TEMPS DES ‘FEUILLES MORTES’

À la fin du printemps 46, Montand tourne son premier film : ‘Les portes de la nuit‘ de Marcel Carné. Le film est un échec et l’acteur Montand décevant. Le chanteur devra attendre près de 20 ans, quand l’âge de la maturité sera là, pour s’imposer véritablement à l’écran. Si les spectateurs sifflent ses ‘portes de l’ennui’, le film contient une chanson, un petit bijou écrit par Kosma et Prévert, ‘Les feuilles mortes’, au refrain inoubliable : « C’est une chanson qui nous ressemble. / Toi, tu m’aimais et je t’aimais / Et nous vivions tous deux ensemble, / Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais. / Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, / Tout doucement, sans faire de bruits / Et la mer efface sur le sable / Les pas des amants désunis. »

Les feuilles mortes’ devient LA mélodie fétiche du chanteur Montand. Portée par un texte tout à la fois triste et réaliste, la chanson deviendra un succès international et sera reprise par d’innombrables vedettes.

Peu après le tournage du film, son ami poète Jacques Prévert lui présente un guitariste de jazz, Henri Crolla, surnommé ‘Mille-Pattes’. Crolla, qui a joué avec Django Reinhardt, devient son ami gitan et tiendra une place essentielle dans la vie du chanteur avec un autre musicien, le pianiste Bob Castella. Ce dernier, qui sera le chef d’orchestre de ses spectacles, deviendra aussi le confident mais aussi le souffre-douleur des jours où tout va mal.

Grâce à Crolla, Castella et d’autres musiciens de jazz, le répertoire d’Yves Montand va se transformer, s’élargir, s’ouvrir à l’écoute de ces nouveaux rythmes venus d’outre-atlantique. Les rimes de ses chansons vont alors s’habiller d’un swing ajusté, cadrant parfaitement avec l’allure de ses shows, balançant entre les pas de danse et les mélodies syncopées.


YVES MONTAND : LES FEUILLES MORTES

LA RENCONTRE AVEC SIMONE SIGNORET

Un soir de 1949, à Saint-Paul-De-Vence, dans ce petit village méridional haut-perché où le chanteur a de nombreux amis, Prévert présente Simone Signoret à Yves Montand. À cette époque, l’ancienne héroïne de ‘Casque d’or’ est mariée au réalisateur Yves Allegret et a une petite fille âgée de quatre ans, Catherine. Ce soir-là, Montand, entouré de ses amis et musiciens, poussera la chansonnette rien que pour elle. De cette complicité, appuyée de regards malicieux, va naître une histoire d’amour tumultueuse qui va durer 36 ans, une histoire qui va affronter de nombreuses tempêtes, entre coups de gueule et coups de cœur. Ils se marieront deux ans plus tard dans ce petit village baigné par le soleil…

Sur la scène ou à l’écran, les deux artistes décident de poursuivre leur carrière professionnelle de façon indépendante. Par commodité, ils choisissent d’habiter à Paris, dans un petit appartement. Montand, qui appréhende son travail avec la même rigueur que du temps de Piaf, a aménagé au sous-sol une salle de gymnastique où il travaille quotidiennement ses exercices. Montand est un bourreau de travail. Avec lui, les répétitions virent souvent au cauchemar. Pour les musiciens, elles deviennent un véritable marathon. Mieux vaut positiver pour éviter les coups de gueule de l’artiste.

Derrière le grand macho à l’allure sympathique se cache une angoisse permanente, les fêlures d’un homme en proie aux tourments. Montand est dévoré par la crainte d’affronter le public et seul le travail a raison de cette souffrance. Son perfectionnisme résonne à la façon d’une obsession maladive, d’une anxiété qu’il tentera d’atténuer pendant toute sa vie à travers les tournées et les rôles que le cinéma lui proposera… « Autour de moi, je ne rends pas les gens très heureux, parce que le monstre qui est en scène demande beaucoup, exige beaucoup… Ce monstre me bouffe tout, mange ma meilleure substance. », dira un jour Montand…


MONTAND DANS LES PAYS DE L’EST

Au début des années 50, la Guerre Froide divise le monde en deux blocs. La planète semble au bord de la déflagration. En France, le Parti Communiste mène campagne contre la guerre de Corée. C’est à cette époque que Montand interprète Quand un soldat : « Partir pour mourir un peu / À la guerre à la guerre / C’est un drôle de petit jeu / Qui n’va guère aux amoureux / Pourtant c’est presque toujours / Quand revient l’été / Qu’il faut s’en aller / Le ciel regarde partir / Ceux qui vont mourir / Au pas cadencé / Des hommes il en faut toujours / Car la guerre car la guerre / Se fout des serments d’amour / Elle n’aime que l’son du tambour. » À sa sortie, la chanson est interdite d’antenne pour ses couplets antimilitaristes. Montand tiendra bon face à une extrême-droite très remontée.

Le monde vit dans la peur d’une troisième guerre mondiale encore plus dévastatrice, celle du nucléaire. Dans cette époque trouble, Montand et Signoret ont le sentiment d’appartenir au camp du progrès et de la fraternité. Montand se sent communiste depuis l’enfance, marqué par la combativité de son père, mais également par la détermination de son frère Julien. Cependant, le communisme qu’il aime est un communisme affectif, un communisme qui prend son essence dans la solidarité entre les peuples, dans une bataille noble qui lutte contre les déshérités.

Malgré ses peurs, ses angoisses et ses erreurs, Montand conservera une certaine lucidité sur les idéaux qui l’animent. Son engagement ne l’emprisonnera pas. Ainsi, lors de sa tournée en URSS, quand les organisateurs soviétiques jugeront la chanson ‘Sanguine’ trop érotique, Montand fera front en la chantant. Pour lui, pas questions de se rabaisser, pas questions de confondre un texte de propagande avec les vers d’une chanson, aussi provocateurs qu’ils soient !

1953. Le véritable premier acte symbolique et politique du couple Montand/Signoret a lieu les jours qui suivent l’exécution des Rosenberg aux États-Unis (condamnés à mort pour avoir soi-disant livré les secrets de la bombe atomique), quand ils acceptent d’interpréter sur les planches et à l’écran ‘Les sorcières de Salem’, une pièce d’Arthur Miller qui dénonce, de façon transposée, la chasse au communisme et à son florilège de délations.

Mais si la peur du rouge saisit l’Amérique, à l’Est, les régimes en place instruisent des procès fabriqués de toute pièce sur des fautes imaginaires… Montand témoigne de ces sacrifices humains bien inutiles en chantant les vers de ‘C’est à l’aube’ : « C’est à l’aube / C’est à l’aube / Qu’on achève les blessés / Qu’on réveille les condamnés / Qui ne reviendront jamais / C’est à l’aube / C’est à l’aube / À l’heure triste où le jour point / Qu’on regarde son destin / Dans les yeux / À la croisée des chemins, / Les hommes crispent leurs poings / Pour l’adieu / C’est à l’aube / C’est à l’aube / De demain. »

En 1956, Nikita Khrouchtchev, le successeur de Joseph Staline en dénonçant les crimes du communisme reconnaît implicitement les nombreuses liquidations et les procès truqués. Pourtant, en France, et malgré la révolte des peuples Polonais et Hongrois qui descendent dans la rue pour obtenir une parcelle de liberté, le parti communiste Français feint de ne rien voir ou savoir… Montand hésite. Doit-il honorer son engagement et partir en tournée dans les pays de l’Est ? Doit-il aller chanter à Moscou quand les chars de l’Armée Rouge provoquent des dizaines de morts à Budapest ? Les proches de l’artiste sont divisés, mais le couple Montand/Signoret décide de partir…

En Union Soviétique, les Moscovites se bousculent pour obtenir des billets. Les organisateurs ont prévu un programme partagé entre visites officielles et récitals. À Moscou, après un concert, Montand et Signoret reçoivent une invitation courtoise, mais aux contours formels, pour un dîner privé avec Khrouchtchev. Comment refuser ? Lors du repas, une conversation hallucinante s’installe et se prolonge très tard dans la nuit…

Alors que Montand reproche aux Russes leur intervention à Budapest, le chef du parti, sans crainte, raconte la terreur sous Staline, les procès, les liquidations… Assommé par le discours tenu, Montand et Simone prennent conscience que le langage tenu par les anticommunistes n’était pas le langage d’une propagande éhontée, mais qu’il était bel et bien le reflet d’une vérité vraie ! La suite de la tournée n’arrangera rien quand, à Leningrad, à Varsovie ou à Bucarest, le couple constatera avec impuissance que le ‘paradis communiste’ sert à merveille la caste dirigeante, entre restaurants et hôtels de luxe, et magasins grand standing.

Alors que Simone peste, Montand, aigri, vit ses dernières illusions. Heureusement, le public soviétique est là, chaleureux. Montand conserve envers lui toute son affection, son attachement. Il doit continuer à donner le meilleur de lui-même jusqu’au dernier jour, comme si rien ne s’était passé. Le chanteur ne regrettera pas cette tournée dans les pays de l’Est, car elle lui aura permis d’ouvrir les yeux sur ce monde capitonné, bien à l’abri, protégé derrière son rideau de fer. Si Montand ne croit plus, il continue d’espérer.


DE BROADWAY À MARILYN MONROE


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