ANANDA SHANKAR OU LE RENOUVELLEMENT DU LANGAGE DU SITAR
Né à Almora en 1942, dans le nord de l'Inde, Ananda Shankar est le fils de deux danseurs populaires, Amala et Uday Shankar. Poursuivant un enseignement des plus classiques, il aborde l'étude du sitar non pas auprès de son oncle, le célèbre Ravi Shankar, mais avec le Dr. Lalmani Misra à l'Université hindoue de Banaras. À la fin des années 1960, attiré par l'impact de l'instrument sur les figures majeures de la « Rock Music », à commencer par les Beatles, il se rend à Los Angeles.
L'époque, traversée par la musique pop, le mouvement hippy, auquel s'associe la sonorité du sitar et diverses percussions indiennes, impose à l'occident ses râgas et ses longues improvisations ; une musique qui s'accorde idéalement avec l'usage des drogues hallucinogènes, comme le LSD. Un musicien, le talentueux guitariste Jimi Hendrix, permet à Ananda Shankar de révéler ses qualités d'instrumentiste et sa vision personnelle de l'instrument au sein du mouvement « Pop ». La sortie de son album éponyme en 1970, marquée par la présence d'un jeu non-conventionnel au sitar, lui permet d'accéder à la reconnaissance internationale.
© proarchives.com (pochette de l'album Unearthed - détails)
De retour en Inde, Shankar crée sur sa lancée le « mudavis », une sorte de performance conceptuelle qui préfigure les innovations multimédias de la génération MTV avec sa combinaison de musique, de danse et de visuels. En plus de composer une série de projets de films et de télévision – remportant un prix national indien pour ses efforts sur le long-métrage Mrinal Sen Chorus (1974) – il compose un certain nombre d'œuvres pour la troupe de danse dirigée par sa femme, Tanusree.
Dans sa continuité à expérimenter, il sort en 1975 Ananda Shankar and His Music, son album le plus acclamé par la critique pour avoir reflété l'exploration du sitar dans un contexte jazz-funk, avec ce qui faut de guitare rock, de synthétiseurs et de percussions indiennes (tabla et mridangam).
ANANDA SHANKAR : "DAWN" (1975)
Une vaste plage dans laquelle le sitariste conserve encore une grande part de ses origines musicales.
Après avoir travaillé en Inde à la fin des années 1970 et dans les années 1980, la notoriété de Shankar est relancée en Occident au milieu de la décennie suivante avec les interventions de plusieurs DJs, notamment dans les clubs londoniens. De plus, ses divers albums deviennent une ressource inépuisable pour les rappeurs de la côte ouest des États-Unis et pour les groupes de « drum and bass » anglo-asiatiques.
Par ailleurs, toujours dans les années 1990, il se produit au Royaume-Uni avec le DJ londonien State of Bengal, une collaboration qui a abouti à la réalisation de l'album Walking On, mettant en vedette les paysages sonores de sitar de Shankar mélangés avec du breakbeat et du hip-hop.
Quelques temps après son décès survenu en 1999, à tout juste 56 ans, Ananda Shankar était encore considéré comme une inspiration majeure du mouvement « Pop ». Au milieu des années 2000, la récupération de sa musique, en particulier par les rappeurs, aura eu pour conséquence d'attirer un public plus vaste et diversifié. Toutefois, pour bien saisir l'originalité de son jeu et de son évolution artistique due aux courants musicaux qu'il a traversés, nous avons choisi à titre d'exemple deux albums : Ananda Shankar enregistré en 1970 et Walking On, disque posthume sorti trente ans plus tard.
« ANANDA SHANKAR » (1970)
Témoin de son époque, ce disque constitue une première dans l'univers expérimental de la musique rock. Enregistré à Los Angeles avec du matériel conventionnel, l'album éponyme d'Ananda Shankar embrasse à la fois le râga et le psychédélisme grâce à l'utilisation du tabla et du mridangam en conjonction avec des synthétiseurs Moog et des guitares électriques. Les influences psychédéliques sont particulièrement évidentes dans Snow Flower, tandis que Sagar (The Ocean), avec ses treize minutes, est le titre le plus proche du style classique indien.
Pour le concevoir, sans se préoccuper finalement de l'image culturelle dévalorisée de la musique indienne qui s'y rattache, Ananda Shankar a suivi une série de sorties basées sur le sitar par des artistes espérant capitaliser sur la tendance « raga rock » du milieu des années 1960. Initialement conçu comme une collaboration avec le guitariste Jimi Hendrix, mais qui n'aboutira pas, et bien que la fusion du rock ou de la pop avec des influences indiennes aient eu une réelle influence parmi les artistes occidentaux à l'époque psychédélique, en particulier après que les Beatles aient inclus le sitar dans leur chanson Norwegian Wood, Shankar sera parmi les premiers artistes indiens à s'y essayer.
Soutenu par le producteur Alex Hassilev, il imagine alors une forme musicale mêlant la musique classique indienne au rock occidental et aux styles électroniques (d'où l'emploi du synthétiseur Moog par Paul Lewinson, un claviériste qui maîtrisait correctement son fonctionnement). Pour Ananda, rompre avec l'usage traditionnel du sitar était courageux, car personne auparavant ne l'avait encore fait avec autant de détermination.
ANANDA SHANKAR: "LIGHT MY FIRE"
L'un des tubes légendaires du groupe The Doors réarrangé par le claviériste Paul Lewinson.
Recueillant principalement que des instrumentaux, pour Hassilev l'inclusion des reprises Jumpin' Jack Flash des Rolling Stones et Light My Fire des Doors était une sorte de compromis pour garantir que l'album aurait un attrait instantané pour un public rock, à la manière des différents LP à base de sitar résultant de la popularité du « raga rock » depuis 1966.
Ananda Shankar (1970) : Jumpin Jack Flash, Snow Flower, Light My Fire, Mamata, Metamorphosis, Sagar, Dance Indra, Raghupati.
« WALKING ON » (2000)
À sa sortie, le sitariste mélangeait depuis des décennies l'instrumentation indienne et les sons occidentaux, utilisant les tonalités rock et jazz comme des rampes de lancement pour des jams particulièrement inspirés. Le producteur et DJ Sam Zaman l'avait parfaitement compris, et celui-ci fera en sorte de réunir quelques musiciens extrêmement brillants pour l'accompagner.
Walking On est un album très « groovy », dans le vrai sens du terme qu'on lui donnait à la fin des années 60. Le projet, comme on l'appelle de nos jours, est apparu au cours du festival anglais Womad et a continué d'exister jusqu'au moment de la mort de Shankar survenu en mars 1999.
L'album posthume est constitué de sons merveilleusement rétro avec un matériel et un effectif qui côtoient les dernières avancées technologiques. Parmi les titres singificatifs, citons Tori, qui est une pure musique de film d'espionnage des années 60, avec sa flûte tourbillonnante et son backbeat funky. Si Mike Meyers prenaient le parti de poursuivre les aventures d'Austin Powers, voici sa bande originale. Walking On, la chanson titre de l'album, possède quant à elle le groove d'une danse lente et présente de nombreuses interactions entre Shankar et le joueur de Veena, le Dr. Gopal Shankar Misra, sur un fond de batterie et de ligne de basse millimétrée. Enfin, Betelnutters repose sur une évidente rythmique héritée du "drum'n'bass", entre autres.
ANADA SHANKAR : "BETELNUTTERS"
Aux subtiles influences flamenco et reggae s'ajoutent le hip-hop et le funk des années 70. Du rock psychédélique et même un peu de musique concrète font leur apparition sur d'autres morceaux. Tout ceci est livré avec un abandon somptueux et même avec un sentiment de plaisir et de partage.
Walking On (2000) : Walking On, Tori, Pluck, Alma Ata, Jungle Symphony, Betelnutters, Tanusree, Throw Down, Love & Passion, Reverse, Streets Of Calcutta.
Par D. Lugert (Cadence Info - 09/2024)
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