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CHANSON


LES CHANSONS FRANÇAISES À L’EUROVISION : ENTRE FLOP ET RÉUSSITE

"One point, two points…" telles sont les notes attribuées aux chansons françaises qui participent au concours de l’Eurovision depuis plusieurs années. Comment s’explique un tel résultat ? Serait-ce une question de look, de talent artistique ? La qualité des chansons serait-elle en cause ? Décryptons ensemble ce labyrinthe musical aussi flou qu’énigmatique…


"L’OISEAU ET L’ENFANT" - MARIE MYRIAM

Si nous parcourons la liste des gagnants de l’Eurovision, il faut remonter à l’année 1977 pour trouver la dernière victoire française, celle de Marie Myriam interprétant L’oiseau et l’enfant. Si cette chanson est la dernière en date, elle n’est pas la seule à avoir remporté l’Eurovision. Quatre autres se partagent l’affiche : Un jour, un enfant (1969) par Frida Boccara, Un premier amour (1962) par Isabelle Aubret, Tom Pillibi (1960) par Jacqueline Boyer, et enfin Dors, mon amour (1958) par André Claveau.

Si L’oiseau et l’enfant est une chanson entraînante, elle ne peut toutefois être classée dans la catégorie des chansons gaies et libérées. Elle a seulement réussi, et même très bien, le pari de mélanger naïveté et optimisme. Son texte est une galerie d’images simplistes, voire puériles :

Comme un enfant aux yeux de lumière
Qui voit passer au loin les oiseaux
Comme l'oiseau bleu survolant la Terre
Vois comme le monde, le monde est beau

Beau le bateau, dansant sur les vagues
Ivre de vie, d'amour et de vent
Belle la chanson naissante des vagues
Abandonnée au sable blanc

Blanc l'innocent, le sang du poète
Qui en chantant, invente l'amour
Pour que la vie s'habille de fête
Et que la nuit se change en jour

Etc.

Quant à la musique, elle possède une tonalité majeure évidente, une allure presque d’hymne national. Il ne manque plus que la garde républicaine avec ses tambours ! Cette "ringardise musicale" affichée est, à l’époque, dans l’air du temps. L’orchestration, avec ses violons sirupeux, ses chœurs puissants et bien sûr les incontournables transpositions de relance, sont les signes d’une chanson de « variété » sans surprise, très classique pour l’époque.

En 1977, le concours de l’Eurovision est encore un événement très suivi par les téléspectateurs. En France, son rayonnement médiatique est bien plus important qu’aujourd’hui : économiquement, parce que le marché du disque se porte plutôt bien, et artistiquement, puisque l'interprète d'hier ne se défend pas avec les mêmes armes que celui d'aujourd'hui. Pour le chanteur ou la chanteuse qui remporte la victoire c’est normalement une consécration artistique assurée, et le plaisir, l’émotion de transporter dans ses bagages un « objet culturel » (et commercial) représentant son pays.

Les effets de mode, le côté In ou le côté « déjanté » de ces dernières années auraient été en 1977 en complet décalage. Il suffit de regarder la tenue vestimentaire très soignée de Marie Myriam à l’Eurovision pour se sentir renvoyé dans les années 60, mais attention, pas du côté yé-yé ou rock’n’roll ! L’oiseau et l’enfant n’est pas du tout, mais alors pas du tout une chanson « branchée » ! Ce n’est ni du Da Dou Ron Ron version Frank Alamo ou du Noir c’est noir par un Johnny Hallyday naissant.

En 1977, aux antipodes d’une musique punk effervescente, L’Oiseau et l’enfant semble être une chanson d’un autre temps. Elle porte en elle une certaine magie, bien conforme à l’esprit du circuit musical de l’Eurovision. La mélodie est facile à retenir, c'est une rengaine qui plait à la majorité des téléspectateurs. Personne ou presque n’oubliera la chanson et encore moins son interprète ; ce qui n’est pas le cas de tous les gagnants de l’Eurovision.


DES CHIFFRES POUR MÉMOIRE

Pour ôter un certain doute, sachez que les différentes victoires françaises n’ont jamais été dues à un certain favoritisme ou à une géolocalisation favorable. En 1977 et en 1960, le concours se déroula au Royaume-Uni, tandis qu’en 1969, c’était en Espagne. Depuis l'année de son lancement, le concours de l’Eurovision a considérablement évolué, surtout en ce qui concerne ses règles - avant 1975, le vote dépendait uniquement d’un jury restreint - et du nombre de pays participants, passant de sept la première année à cinquante en 2008 !

Nous avons eu cinq gagnants Français depuis l’existence du premier concours en 1958. En près de soixante ans, la récolte semble bien légère !

Arrêtons-nous un instant pour ne pas devenir ce français lambda qui se plaint toujours, et regardons cela avec un œil optimiste, d’autant plus que d’autres pays ont eu des résultats moins encourageants : L’Allemagne, l’Autriche et l’Espagne ont totalisé seulement deux victoires, tandis que la Grèce, la Russie et la Belgique, une seule. Contrairement à ce que nous pensons généralement, nous sommes donc parmi les meilleurs participants avec l’Angleterre, le Luxembourg et la Suède ; l’Irlande étant le seul pays à avoir remporté six victoires.


DES CHANSONS FRANÇAISES QUI AURAIENT DÛ GAGNER

Depuis 1977, nous espérons voir figurer au palmarès une nouvelle chanson française, de ne plus rire ou d’être déconcerté à chaque nouvelle livraison. Comme d’autres pays participants, dans le domaine de la chanson « bide » nous avons, nous aussi, frappé fort !

Certes, nous avons eu des raisons d’espérer en nous classant quatre fois second et sept fois troisième. Par exemple, en 1990, quand le chanteur italien Toto Cutugno remporte le concours avec la chanson Insieme, la chanson française White and black blues écrite par Serge Gainsbourg est à "deux doigts" de la détrôner. White and black blues était peut-être une chanson trop parfaite commercialement ou trop typée « musique des îles » pour rentrer dans le moule de l’Eurovision. Néanmoins, la science infuse de l’ami Serge et le professionnalisme de son interprète Joëlle Ursull (alors membre de Zouk Machine) fera que, contrairement à toutes les autres chansons participantes, White and black blues deviendra un des tubes de l’année 90.


JOËLLE URSULL : WHITE AND BLACK BLUES

C’est à cette époque qu’un certain scepticisme vis-à-vis du concours d’Eurovision et de son organisation enfle. On évoque des fraudes, des victoires faussées par des décomptes suspicieux. Par la suite, l’arrivée de nombreux pays de l’Est n’ira pas sans poser quelques problèmes d’ordre politique.

En 1992, comme pour échapper au mauvais sort, la France mise sur une autre langue que sa "langue maternelle" avec le concours du chanteur martiniquais Kali et sa chanson créole Monté la riviè. La chanson se classera huitième. Finalement, la chanson en créole n'est pas la bonne solution. Deux ans plus tard, arrive la chanson Je suis un vrai garçon, interprétée par Nino Morato. Un autre virage est tenté, plus serré, en semant sur sa route un message équivoque. Un nouveau souffle envahit la scène et tente une rupture avec l’académisme du concours. La chanteuse mise sur une certaine mise en scène chorégraphique et sur un groupe de musiciens qui fait bloc autour d’elle. Le texte sort des sentiers battus :

J'vais pas rentrer chez moi, lui raconter pourquoi
Pourquoi j'aurais pas dû et comment j'ai pu
Je sais j'suis son amour, forcément y'a des jours
Où c'est lourd, c'est lourd

Je suis un vrai garçon
Je suis un vrai garçon, je suis celle qui t'ensorcelle
Elle... elle...

Etc.

Malgré les signes d’un changement dans l’approche artistique de plusieurs participants, la chanson de Nina Morato se classera septième. Les vainqueurs, le duo Charlie McGettigan & Paul Harrington et leur chanson aux intonations folk, Rock’n’roll kids, ne peuvent surprendre les habitués de cette manifestation télévisuelle, une fois de plus sage et convenue.

En 1996, la France fait appel à de la musique celte et à l'un de ses meilleurs représentants, Dan Ar Braz, un auteur-compositeur-interprète adepte de ce courant musical depuis les années 60. Malheureusement, sa chanson se classe dix-neuvième et ne reste pas dans les annales. En dehors de la langue utilisée et de quelques sonorités instrumentales typiques, cette ballade aux couleurs irlandaises est assez fade, sans véritable ressort qui soit en mesure de capter l’attention du plus grand nombre. Cette chanson est déjà le signe annonciateur de ce qui va suivre les années suivantes. On cherche, on cherche la bonne recette, mais on ne la trouve pas !


LES « FLOPS » DE QUELQUES CHANSONS FRANÇAISES À L’EUROVISION

Là, nous allons friser le ridicule, mais n’ayons pas peur, car dans le domaine de la chanson, il ne suffit pas d’appliquer une règle qui a déjà fonctionnée pour que celle-ci marche une nouvelle fois. Comme dit le proverbe : "Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.", alors ne lançons pas à tue-tête : « Eurêka, c’est super. Nous allons gagner ! »

En 2001, après le court passage en anglais de la chanson Je n’ai que mon âme, interprétée par Natasha St-Pier - très classique aussi bien par le fond que par la forme - nous allons assister chaque année ou presque à des changements de cap, à des tentatives musicales parfois étonnantes à défaut d’être victorieuses.

Comme nous ne sommes pas arrivés à trouver la formule gagnante, l’imagination fertile de quelques auteurs et compositeurs, mais également de producteurs - et j’en passe - va consister à réveiller le « TILT ! » qui sommeille en nous. L’Eurovision serait-il un drame franco-français ? Peut-être bien, car si je vous demandais de citer les derniers artistes français qui ont concouru à l’Eurovision et le titre de leur chanson, vous en seriez bien incapable ! (moi aussi, parce que j'ai dû plonger dans de la documentation pour que de vagues souvenirs me reviennent en mémoire).

Premier exemple avec Les Fatals Picards qui chante L’amour à la française en 2007. Sans faire le difficile, il ne suffit pas de se lancer dans un certain humour, une bonne dose de décontraction appuyée par une rythmique rock (qu’un quelconque groupe aurait pu produire), pour que ça marche et que ça provoque des applaudissements mérités.

Second exemple l’année suivante, avec un barbu aux cheveux longs, une sorte d’Antoine qui se serait perdu en route, un Jésus-Christ qui cache ses yeux derrière d’épaisse lunette noire (au cas où l’on se mettrait à « flasher ») et qui propose Divine, une chanson pop-électro entraînante. A l'écoute, Divine est un produit honorable. On a entendu pire ailleurs ! Pour les responsables de la sélection française, il fallait envoyer un OVNI, et cet OVNI sera Sébastien Tellier, un dandy branché. La chanson se classera dix-neuvième.


SÉBASTIEN TELLIER : DIVINE

En 2009, retour à des valeurs sûres. Le choix de la chanteuse Patricia Kaas avec son professionnalisme et sa voix n’est pas au départ une mauvaise idée, mais sa chanson, Et s’il fallait le faire, sans véritable refrain, place tout de suite celle-ci dans les ersatz à oublier.

2010, autre tentative, avec Jessy Matador qui, avec le titre de sa chanson Allez ola olé, forme déjà un jeu de mots ridicule (Matador : ola olé... pour ceux qui sommeillent). Toutefois, ne devenons pas médisant. D’ailleurs, le titre de la chanson est-il ad hoc ? Heu… non, pas vraiment, car la chanson est loin de courir après quelques « espagnolades », mais plutôt après une sorte de zouk mélangé à de la dance électro. Allez ola olé aura en tout cas misé sur un aspect festif et entraînant avec sa chorégraphie et ses danseurs. De quoi réveiller le pays organisateur habitué aux rigueurs hivernales, la Norvège.

En 2011, enfin on y croit. Nous partons armés comme des conquérants avec une voix d’opéra, celle du ténor Amaury Vassili. Tous les espoirs sont permis, et l’on se met à rêver… Amaury Vassili sera certainement le successeur de Marie Myriam. Sognu (Je rêve) est déjà un joli titre. La musique symphonique, puissante, en forme de marche, enrobe majestueusement la voix du ténor. Mais le soir de l’Eurovision, tout foire ! Dans les coulisses, le chanteur est furieux « C’est un résultat de merde. Les gens sont contre moi… » La chanson se classe pourtant quinzième. Les explications sont peut-être ailleurs. Il est fort possible que la jeunesse, la fougue, mais aussi la prétention du jeune chanteur aient tout emporté sur son passage, en bien comme en mal. En fait, la chanson est une succession de mélodies détournées... On n'invente plus. On nivèle vers le bas. Tout ça n'est vraiment pas très original. On se demande réellement à quelle sauce nous dégusterons la prochaine chanson : rock, hip-hop, rap... diable !

Une question se pose alors : « Est-ce que les David Guetta, Daft Punk et autres Shaka Ponk feraient mieux ? Seraient-ils en mesure de remporter l’Eurovision ? » Oui, peut-être, si l’on considère que les lignes de la culture musicale du concours ont bougées. Mais est-ce vraiment le cas ? Au fil des années, l'Eurovision est devenue, grâce aux nombreux moyens techniques déployés un spectacle, une grande farandole - si ce n'est une mascarade - qui ne ressemble plus du tout à un concours de chant "traditionnel". Doit-on le regretter ou pire encore, le supprimer ? Pour nous Français qui attendons depuis des lustres qu'un artiste vienne nous réveiller en faisant sonner les cloches, il paraît difficile de nous en défaire.

Si l’on est attentif aux prestations d’Anggun (Echo – You and I en 2012 – classé 23e) et d’Amandine Bourgeois (L’enfer et moi en 2013 – classé 23e), ce ne sont pas les interprètes qui sont directement en cause, mais plutôt notre vision artistique surannée ou mal adaptée. Ces chansons n’ont même pas eu de succès en dehors du concours ou très peu, preuve s’il en est qu'elles manquent d’originalité. Ces chansons tournent à vide, et ce n’est certainement pas en ayant recours à un beat surcompressé ou à des artistes propulsés au moyen d’un lance-pierre que la victoire sera au bout de la route !

2014 aura été l'année la plus sombre en nous classant dernier. Notre position au prochain concours ne peut pas être pire ! Toutefois, si un même classement devait se reproduire, j’irais de ce pas tenter ma chance !

Par Elian Jougla (Cadence Info- 01/2015)


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