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CHANSON


PORTRAIT CHARLES AZNAVOUR, DU CINÉMA À LA GLOIRE INTERNATIONALE

Cette page fait suite à BIOGRAPHIE CHARLES AZNAVOUR (1)


AU BOUT DU TUNNEL : LE CINÉMA SE PRÉSENTE

Alors qu’il désespère de ne pouvoir percer dans la chanson, son passé de comédien le rattrape. Aznavour débarque au cœur des images cinématographiques en décrochant un premier rôle où sa présence est remarquée. En 1959, le film La tête contre les murs de Jean-Pierre Mocky, sera suivi d’un autre, Les dragueurs, tournée la même année par le même réalisateur. François Truffaut, alors jeune réalisateur et icône de la "Nouvelle Vague", lui offre son premier grand rôle dans un film noir, Tirez sur le pianiste, en 1960. Puis, l'année qui suit, ce sera le fameux film de Denys de la Patellière Un taxi pour Tobrouk et ses fameux dialogues signés Michel Audiard. Bien des années après, Aznavour renouera avec un cinéma tantôt aventureux : Le tambour de Schlöndorff en 1979, tantôt populaire avec Edith et Marcel de Claude Lelouch en 1983. Dans sa carrière, il aura tourné plus de cinquante films.

Charles Aznavour possède une gueule. Il a la tête de l’emploi, comme on dit. Le destin vient de frapper, mais pour une fois avec bonheur. Les rôles qu’il interprète, il s’y glisse à l’intérieur naturellement, habilement, parfois avec malignité. Le public est saisi par ses prestations et oublie avec une facilité déconcertante le déversoir des mots nauséabonds du passé… Aznavour est à la croisée des chemins, à des moments où faire des choix est une mission difficile, délicate. La chanson, le cinéma… Il faut choisir. Si le cinéma lui réussit plutôt bien, pour la chanson, il en va autrement. Il est même sur le point de laisser tout tomber. Mais un soir de décembre 1960, à l’Alhambra, il ose chanter une chanson rejetée par d’autres, Je m’voyais déjà


JE M’VOYAIS DÉJÀ...

La chanson, finalement banale, parle d’un vécu dans lequel se mêle l’espoir d’une conquête, celle d’être une grande vedette. Je m’voyais déjà contient des mots simples, des phrases limpides, sans ornement inutile. C’est « L’envers du décor » comme il dit quand il évoque la chanson.

Ce soir-là, à l’Alhambra, il va miser à la façon d'un va-tout sur le jeu des éclairages (qui sont à l'époque, il faut l'avouer, le parent pauvre des spectacles de music-hall). Il compte produire un choc sur le public pour donner à l’illustration de sa chanson plus de poids et de vérité. Aznavour avait alors demandé qu’au moment où la chanson prend fin, on ouvre les rideaux derrière lui et que l’on allume des spots en direction du public, comme pour saisir l'instant où l'artiste entre sur scène et qu'il ne voit que du noir. Cette trouvaille provoqua chez le public une réaction inattendue, mais très positive, suscitant même des ‘bravos’… Le déclic, la communion avec les spectateurs venaient de se produire.

Il aura fallu 27 années de combat pour que Charles Aznavour s’impose enfin sur les planches. Dès lors, tout change. Le chanteur Charles Aznavour, adulé par le public et la critique, amorce un virage à 180 degrés. Au début des années 60, il rejoint le palmarès des chanteurs qui l’ont devancé. À l’instar de Bécaud ou de Brel, le voici bel et bien en haut de l’affiche !

Devant lui, des succès l’attendent. Une quantité impressionnante de chansons inoubliables vont se succéder, sans démentir, en aucune manière, le feu intérieur qui l’anime. L’orgueil du patrimoine français rejoint celui de l’artiste. La liste est longue et ne fera que s’allonger : Les comédiens, Emmenez-moi, La mamma, La bohème, Désormais, Hier… encore, Non, je n’ai rien oublié, Mourir d'aimer, Les plaisirs démodés, Comme ils disent, Tu t’laisses aller, For… me Formidable, Mes emmerdes, Il faut savoir, Pour toi Arménie… Tous ces succès feront redécouvrir aussi de plus vieilles chansons comme : J’aime Paris au mois de mai, Merci mon Dieu, Plus bleu que tes yeux, Pour faire une jam ou encore Ma main a besoin de ta main et Sur ma vie.

Après avoir écrit pour Piaf, Juliette Gréco ou Gilbert Bécaud, sa notoriété lui vaut l’intérêt de jeunes artistes. Avec son beau-frère, le compositeur George Garvarentz, ils vont collaborer et écrire des chansons destinées à des artistes encore débutants. Leurs noms apporteront un certain crédit au courant yéyé. Entre leurs mains, les chansons guimauves ne le seront plus vraiment : Sylvie Vartan (La plus belle pour aller danser), Johnny Hallyday (Retiens la nuit)...

Pour Charles Aznavour tout va bien, d’autant plus que l’irréductible célibataire porte bien la quarantaine. Il plait aux femmes et s’impose comme un séducteur : « C’est fou l’effet que ça me fait quand tu m’embrasses. » chante-t-il. À la vie sentimentale erratique va succéder une existence plus stable avec une jeune suédoise Ulla. Elle a 18 ans de moins que lui. Ulla deviendra vite l’amour de sa vie. Trois ans plus tard, un mariage célébrera leur union à Las Vegas. Mais si, à présent, le « grand » Charles occupe le devant de la scène, sa vie familiale sera toujours bien à l’abri des regards indiscrets. En 1969, naîtra une première fille, Katia. Puis deux garçons suivront, Mischa en 1971, et Nicolas en 1977.

© Roland Godefroy - Charles Aznavour (1988 - Deauville)


CHARLES AZNAVOUR RENCONTRE LA GLOIRE INTERNATIONALE

Charles Aznavour a fini par séduire la France, et la France est séduite par lui. Seulement, le chanteur souhaite renouer avec son ambition première : conquérir les États-Unis. Il ne peut se satisfaire du territoire hexagonal, peut-être trop étroit à son goût. La séduction opérera-t-elle de la même façon qu’en France ?

Il aborde les États-Unis avec un plan de bataille qui a été élaboré bien à l’avance, en toute discrétion. Il chante d’abord dans quelques universités pour pas grand-chose ; des chansons en Anglais pour, bien-sûr, être dans le ton. Patient et méthodique, une par une, Charles gravit les marches qui le séparent des salles les plus prestigieuses. Ces tournées, qu’il appelle « campagnes napoléoniennes », vont le conduire finalement là où ses désirs les plus ardents lui disaient d’aller, des salles dans lesquelles il rêvait de se produire un jour comme le Carnegie Hall de New York.

Bien avant que d’autres artistes français ne tentent cette même aventure outre-atlantique, Charles Aznavour reste encore l’un des rares à avoir réussi ce tour de force dans un pays bien connu pour son protectionnisme. Il fera la une des journaux et sera invité par les chaînes télévisées pour participer à des émissions populaires. Cette réussite, il la reproduira ailleurs, à Tokyo, à Moscou, à Buenos Aires… Au plus fort de sa carrière, il bouclera jusqu’à cinq tours du monde. Charles Aznavour est au cœur des années 60 un ambassadeur, le sésame de la culture française ! « Le respect que l’on me prête à l’étranger est nettement plus fort que celui qu’on me prête en France. », raconte Aznavour. Cette simple phrase résume à elle seule la puissance et l’immensité de l’artiste.

Quand il chante à l’étranger dans des salles prestigieuses, il sait qu’il est le seul artiste français à l’avoir fait de cette façon, aussi puissamment et aussi longtemps car, encore aujourd’hui, on ne l’a pas oublié… Ses chansons sont et seront reprises en chœur par les plus grandes stars de la chanson, du music-hall et même de la « pop ». Nulle ombre au tableau quand ce sont Liza Minnelli, Frank Sinatra, Ray Charles ou Elton John qui les chantent.


L'ÉTERNEL MONSIEUR DE LA CHANSON FRANÇAISE

Maintenant, l'artiste a bien grandi, tout seul, sans maître pour l’épauler. Une leçon de vie magistrale pour un enfant qui a arrêté l’école à neuf ans, mais un enfant qui a su grandir en écoutant, en posant des questions, « quitte pour cela à passer pour un imbécile », dira-t-il. Où est le mal, d’ailleurs ? Il savait qu’il avait des lacunes et qu’il lui fallait apprendre ; apprendre à lire, à communiquer, à comprendre une époque qui ne lui avait pas fait de cadeaux. La chanson Hier encore, parabole sur le temps qui passe, illustre parfaitement les souvenirs encore à fleur de peau. Les chansons de Charles parlent au cœur des hommes, car elles possèdent presque toutes un vécu, un fond qui s’inscrit dans l’époque… voire un peu trop pour certains, comme quand il froisse la sensibilité et brave l’interdit avec sa chanson sur le monde des travestis, Comme ils disent.

Charles Aznavour occupe une place à part dans la chanson française, pas seulement en raison du succès mérité de ses mélodies et de ses textes, mais aussi par le train de vie qu’il a mené. Car, ne l'oublions pas, dans les années 60/70, l’image qu’il renvoie n’est pas celle d’un Brassens, d’un Brel ou d’un Léo Ferré. Sa célébrité internationale mélangée à l’image d’un homme peu cultivé dérange. Si dans son enfance l’homme a manqué de tout, à présent, avec la réussite, il souhaite tout avoir... et l’argent en premier lieu ! Celle de posséder, de montrer qu’il avait réussi (il ira jusqu'à acheter cinq Rolls-Royce, un peu par compulsion, sans trop réfléchir). Cette attitude sera aussi un pied de nez, une revanche sur les détracteurs d'hier.

Avec le temps, Charles Aznavour est devenu une légende. Lorsqu’il s’avance vers le public, il est là pour se battre comme un boxeur sur le ring, contre une presse dont il se méfie, car même s’il n’a plus rien à prouver, si toutes ses chansons sont ovationnées, il sait bien qu’aucun artiste n’est à l’abri d’une défaillance ou de quelques idées toutes faites.


LA FIN DE L'HISTOIRE

Alors que sa résidence principale était située à Genève, le chanteur venait faire de longs séjours dans sa maison de Provence qu’il avait fait construire il y a maintenant plus de 25 ans. C’est là, entre deux séries de galas qu’il venait se ressourcer, dans le calme et la sérénité. Le "monsieur âgé" arpentait alors les vieilles allées avec ses 90 printemps passés. Était-il nostalgique ? Peut-être, mais pas au point d’oublier et de lâcher la scène définitivement. Cela lui semblait impossible… Hélas, le rideau du music-hall s’est depuis refermé sur lui, comme ça, sans se faire annoncer par une belle journée d'octobre. Les projets enflammés d'une nouvelle tournée ou d'un prochain disque se sont éteints à jamais. L'artiste avait 94 ans.

Charles Aznavour : « Mourir en scène, depuis Molière, on le dit, mais depuis Molière, on le dit un peu trop. Personne n’a envie de mourir sur scène. Je préfère que ce soit entouré de mes enfants, avec toute ma famille autour de moi, autour du lit, à l’ancienne, comme un vieux patriarche. » (1)

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2015 - mise à jour 10/2018)
1 - Source : Aznavour par M. Drucker

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AZNAVOUR BIOGRAPHIE

'Charles Aznavour ou le destin apprivoisé' est une biographie détaillée et précise, nourrie par une belle enquête dans les archives et un grand nombre d'entretiens avec témoins et proches du chanteur.


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