DU DOCUMENTAIRE AU LONG-MÉTRAGE
L'artiste se livrait peu. Ce simple fait encourageait la curiosité du public. Dans les années 1950, alors que l'information circulait à grand-peine, des réalisateurs épaulés par des documentalistes imaginaient déjà recueillir des confidences de Brassens. Encore fallait-il qu'il accepte d'être filmé loin de la scène, dans l'intimité du quotidien.
Au fil d'une carrière qui dura une trentaine d'années, quelques occasions se présenteront, excepté le fait que la majorité des documentaires le concernant verront le jour uniquement après sa disparition. L'un des rares qui contredit ce « point de détail » sera un documentaire réalisé par Jean-Marie Périer et Claude Barrois en 1973 pour l'ORTF, Pourquoi t'as les cheveux blancs ? De fait, tous les autres reposeront uniquement sur des archives accompagnées de témoignages d'amis, d'extraits de concert et de reportages télévisés. À titre d'exemple, citons le tout dernier documentaire consacré à l'artiste, Brassens par Brassens de Philippe Kohly, en 2019, qui répond parfaitement à cette mission.
Pour autant, revoir l'artiste devant l'œil de la caméra est toujours réjouissant, même pour ceux qui le connaissent sur le bout des doigts. Par exemple, dans Le regard de Georges Brassens, de Sandrine Dumarais, présenté en 2011, nous découvrons un Georges Brassens cinéaste amateur, avec des rusches extraits de sa collection privée et constitués de petits films qu'il a tournés en 8 mm. Visiblement, Brassens aimait « faire l'acteur » pour se délasser, sans autres ambitions.
© René Château
Sur grand écran, ses participations seront rares, puisqu'elles se résument à une seule apparition, dans le film Porte des Lilas, réalisé en 1957 par le vétéran René Clair. L'action se déroule dans un troquet situé "Porte des Lilas" dans l'Est parisien. Dans ce long-métrage tourné en noir et blanc, Brassens (l'Artiste) est l'ami de Juju (Pierre Brasseur) et de Maria (Dany Carrel). Son rôle, loin de surprendre, est celui d'un guitariste chanteur qui interprète, entre deux courtes répliques, quelques chansons qui deviendront populaires comme Au bois de mon cœur et L'amandier.
Réalisé avec les inconvénients d'un studio de cinéma, Brassens est échaudé par cette première expérience dans laquelle il ne se reconnaît pas. Rien n'y fera. Malgré le "Grand prix du cinéma français" accordé au film et l'accueil chaleureux du public, Brassens comprendra qu'il devait tourner le dos à une future carrière d'acteur. « Moi, je suis fait pour faire des chansons », répétait-il à qui voulait l'entendre.
UNE TRILOGIE CINÉMATOGRAPHIQUE
Faute d'avoir Brassens acteur, il devenait plus simple de récupérer son image populaire en incarnant sa vie à travers une fiction. Ce sera le cas avec Brassens la mauvaise réputation de Gérard Marx, diffusé à la télévision en 2011, avec l'acteur Stéphane Rideau prêtant son physique et sa voix pour incarner la vie du chanteur. Ce biopic évoque notamment la jeunesse passée à Sète, son arrivée à Paris sous l'occupation, sa découverte de la littérature, sans oublier l'interprétation de ses premières chansons face au couple qui l'avait accueilli, Jeanne Le Bonniec (Marie-Anne Chazel) et Marcel Planche (Bruno Lochet).
© espacebrassens.ville-sete.fr – Affiche du film "Les amis".
Cependant, il existe un moyen plus fiable de fidéliser Brassens à l'écran, en lui confiant la musique de quelques films, où du moins une partie. Dans ce cadre, le chanteur retrouvait l'estime de soi et la place qui lui revenait dans le septième art puisque, de son propre aveu, la chose unique qu'il faisait de bien, c'était d'écrire des chansons.
Trois occasions se présenteront. La première concernera le film d'Yves Robert, Les Copains, réalisé en 1964, d'après un roman de Jules Romains. À l'affiche, une belle distribution qui comprend, entre autres, Philippe Noiret, Pierre Mondy, Michael Lonsdale, Guy Bedos et Claude Rich. Le pourquoi de Brassens ? Quand on prend connaissance du scénario : « Sept amis inséparables qui mettent au point des canulars visant l'église, l'armée et l'administration », on comprend immédiatement les raisons qui l'ont poussé à accepter. D'une part, l'amitié est un sujet qui lui tenait à cœur, d'autre part, l'église et l'armée sont des thèmes qu'il a « gentiment égratignés » de sa plume à l'occasion. Cette première participation sera révélatrice de son talent de mélodiste en composant Les Copains d'Abord. Un succès devenu intemporel et repris à tous les tons.
Sept ans plus tard, le dialoguiste des "Tontons flingueurs", Michel Audiard, passait derrière la caméra pour la sixième fois avec Le drapeau noir flotte sur la marmite. Son choix se porte alors sur Georges Brassens pour quelques notes de guitare dans une comédie où il est question de bateau avec un Jean Gabin en vieux loup de mer. La musique se fera discrète et n'aura aucun ascendant pour sauver un film finalement très moyen.
Point final de cette trilogie musicale consacrée aux musiques de film : Heureux qui comme Ulysse d'Henri Colpi, en 1970. Pour épargner le vieux cheval Ulysse du sort qui lui est réservé en étant destiné à un picador dans l'arène, Antonin (Fernandel), un ouvrier de ferme, désobéit à son patron et se sauve avec l'animal. Dans l'unique chanson du film écrite par Colpi et Georges Delerue pour la musique, toute la sensibilité de Brassens s'exprime et rattrape celle de Fernandel – dont c'est le dernier film – dans ce chemin interminable qui conduit vers la liberté, la Camargue.
BRASSENS FACE À LA POPULARITÉ
© Robert Belleret (wikimedia) – Brassens interviewé dans sa loge, en 1973.
Puisque le cinéma sert de fil conducteur, vous savez certainement que quand la popularité est là, il est extrêmement rare que celle-ci ne rattrape pas l'artiste un jour où l'autre, pour avoir été de son vivant ou non une référence incontournable. Vous désirez des exemples ? La présence de ses disques dans Antoine et Colette de François Truffaut, en 1962 ; son effigie affichée sur les murs d'une rue dans Le bonheur d'Agnes Varda, en 1965 ; l'écoute de ses chansons dans un générique, d'abord pour le film Le dîner de cons de Francis Weber, en 1998 (Le temps ne fait rien à l'affaire), ensuite dans Miele de Valeria Golino, en 2013 (Les sabots d'Hélène).
Pour d'autres raisons, Brassens s'écoute aussi en fond sonore : Les fautes d'orthographes de Jean-Jacques Zilbrmann, en 2004 (Les amoureux des bancs publics) ; se chante également, comme dans Sœur Sourire de Sijn Coninx, en 2009 (Le gorille). Parfois même, ses chansons servent de support pour justifier des scènes : Le crâneur de Dimitri Kirsanoff, en 1955, dans lequel Chanson pour l'Auvergnat est utilisé pour faire passer une audition à Marina Vlady ; avec amusement aussi, lors d'un enterrement dans Pleins feux sur l'assassin de Georges Franju, en 1961 (Les funérailles d'antan) ou encore dans ce poignant passage avec Danielle Darieux chantant la fort belle chanson Il n'y a pas d'amour heureux dans le film de François Ozon, Huit femmes (2002).
Le tour d'horizon de "Georges Brassens fait son cinéma" ne serait certainement pas complet, si l'on omettait de mentionner les artistes qui interprétent ses chansons : Daniel Gelin dans Rue de l'Estrapade de Jacques Becker, en 1953 (Le Parapluie) ; Patachou et Philippe Graziano dans Une nuit ordinaire de Jean-Claude Guiguet, en 1997 (J'ai rendez-vous avec vous) ; Catherine Ringer dans le film Reine d'un jour de Marion Vernoux, en 2001 (Le vent). Incluons à cela diverses versions arrangées de quelques titres qui démontrent, fort justement, la reconnaisance et l'attachement des jeunes artistes à son répertoire comme en témoigne les reprises de la chanson Les passantes par La Banda Municipal de Santiago de Cuba dans le film d'Agnès Jaoui, Parlez-moi de la pluie, en 2008, ou Brave Margot avec son refrain entraînant par des musiciens de rue dans le film d'Abdellatif Kechiche, La Faute à Voltaire, en 2000.
Par Elian Jougla (Cadence Info - 09/2024)
RETROUVER BRASSENS EN DVD
- 1996 : 15 chansons mythiques (chez Universal).
- 2002 : Georges Brassens : l'anticlérical modéré - Les images de sa vie, réalisé par Armand Isnard.
- 2004 : Elle est à toi cette chanson, coffret 3 DVD (chez Universal – réédition 2011).
- 2005 : Maritie et Gilbert Carpentier présentent Numéro 1 Georges Brassens (chez LCJ-éditions/Ina).
- 2006 : Porte des Lilas, film de René Clair (aux éditions René Château).
- 2011 : Brassens ou la liberté, coffret CD/DVD (chez Ina Éditions).
- 2020 : Brassens par Brassens, Philippe Kohly (Hauteville Productions)
À CONSULTER
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Si les textes des chansons de Georges Brassens sont souvent cités en exemple, il ne faudrait pas sous-estimer l'écriture de ses musiques pour lesquelles il prenait le plus grand soin.
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