L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
MUSIQUE DE FILMS

JOHN CARPENTER, COMPOSITEUR DE MUSIQUE DE FILMS – BIOGRAPHIE/PORTRAIT

Habituellement, les films de John Carpenter sont construits sur des scénarios de « mis en situation  », développant l'idée jusqu'au paroxysme ; une approche qu'il soumettra au public dès son second long-métrage, Assaut, en 1976. Ce manitou de la pellicule, devenu avec le temps l'un des grands spécialistes du cinéma d'anticipation et d'horreur, vouait à la musique une place à part...


LE CINÉMA, LA PRIORITÉ

Carpenter a grandi à Bowling Green, dans l'État du Kentucky. Sa connaissance de la musique, il la doit à son père qui était professeur dans cette discipline. Grâce à lui, le fils va se frotter au violon, au piano, et même à la guitare, ce qui le conduira à jouer dans un groupe de rock au collège durant son adolescence.

John Carpenter, se destinait-il à devenir un compositeur pour le cinéma ? Il y songea, mais de son propre aveu, réaliser des films l'attirait davantage. Son activité de scénariste par lequel il débuta et dont il fit une activité régulière qu'il prolongea dans ses films, faisait de lui le premier superviseur attentif de ses longs-métrages. La musique, la touche finale que l'on conçoit une fois les scènes tournées et le montage réalisé, ne pouvait le laisser indifférent, au point de la prendre en main et de la conceptualiser à l'extrême.

© Del-Uks flickr.com

Le compositeur Alan Howarth travailla avec John durant les années 1980. Il se souvient encore de cette période féconde dans laquelle la musique de son ami produisait quelque chose d'unique. L'une des particularités des compositions de Carpenter est de reposer, pour l'essentiel, sur l'utilisation d'une instrumentation électronique minimaliste à base de synthétiseurs. Son seul concurrent direct dans ce style n'est autre que l'empereur du disco, Giorgio Moroder, adepte tout comme lui de ce genre d'instrument (la bande-son du film Midnight Express).

L'emploi de ce matériel offre immédiatement un climat sonore assez particulier, mais tend, par rebond, à parler du cinéma de Carpenter sur un ton évoquant le passé. C'est le piège que tout compositeur connaît quand il emploie des instruments produisant des couleurs trop spécifiques, liés à un matériel dont la finalité est d'évoluer continuellement. L'originalité et l'audace des idées musicales sont alors cadenassées par les sons produits.


JOHN CARPENTER : "ASSAULT ON PRECINCT 13" (1976)

C'est certain, John Carpenter n'a en aucun cas manqué d'imagination, et même s'il a écrit des musiques, son travail tient surtout de l'autodidacte. Chez lui, tout part généralement d'une idée mélodique sommaire, de quelques notes qu'il retravaille jusqu'à lui convenir. Cependant, a posteriori, c'est à travers un « empilage  » de textures sonores que Carpenter définit au mieux sa « marque de fabrique ». Par ailleurs, une part non négligeable d'improvisation n'est certainement pas à exclure dans l'élaboration de plusieurs thèmes.


BERNARD HERRMANN, L'INFLUENCE MAJEURE

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, son inspiration ne vient pas tant de la musique électronique que de la musique classique et hollywoodienne. Carpenter aime volontiers citer les scores de science-fiction (Planète Interdite), le western spaghetti d'Ennio Morricone et surtout les BO de Bernard Herrmann, le maître d'œuvre des films d'Alfred Hitchcock. Ce musicien atypique avait le don de composer de la musique de manière rationnelle et dont les faits d'armes peuvent se résumer dans la scène au couteau de Psycho ou à travers l'ouverture de North by Northwest (La mort aux trousses).

Cette influence, d'une vive intensité, se retrouve en partie chez John Carpenter. Bien entendu, il ne s'agissait pas pour lui de l'imiter, mais d'aborder sa musique en extirpant les point essentiels qui la caractérisent, comme le staccato. C'est aussi à cause de cela que Carpenter s'est orienté vers une forme minimaliste en utilisant le puissant potentiel sonore des synthés analogiques, agrémentés à l'occasion de quelques samples et de formules rythmiques réalisées avec l'emploi d'une boîte à rythmes. Généralement, la cible était de composer une musique atmosphérique. Pour cela, Carpenter a toujours suivi son instinct. Il savait ce qui pouvait convenir à ses films à travers des intentions musicales qu'il jugeait utile de communiquer.

L'une des plus célèbres musiques composées par John Carpenter est celle d'Halloween réalisée en 1978. On y retrouve les caractéristiques dominantes de son style. Dans le thème central, une rythmique soutenue et répétitive affronte une mélodie à l'ambitus étroit et doté de ce son analogique, d'une extrême densité, capable de préparer le spectateur à vivre des moments d'effroi. Il existe chez lui, une volonté de transporter le spectateur au plus près de l'image, jusqu'à le faire sursauter par un ostinato à peine contourné !


JOHN CARPENTER : "HALLOWEEN" (1978)

Cette musique d'ambiance, proche du sound designer, est devenu culte, mais ne demeurera pas la seule à être remarquée. Nous pourrions citer la bande originale du film Christine, réalisé en 1983, propulsée par un puissant "beat" de rock. De la même façon que pour Halloween, Carpenter installe de profondes sonorités analogiques accompagnées de motifs rythmiques répétitifs. Seule la présence d'une guitare au son saturé indique de façon claire et pertinente son goût immodéré pour le rock et ses tentations.


JOHN CARPENTER : "CHRISTINE" (1983)

LE "TAPIS SONORE" DE JOHN CARPENTER

Comme souvent, la présence d'une musique sert à renforcer les émotions perçues à travers les images d'une scène. La grande difficulté pour tout compositeur est de savoir jongler entre ce qui utile et inutile, et ce qui doit être mis en avant ou non. Quand il réalisait un film, Carpenter ne songeait pas à la musique de façon précise avant que le long métrage ne soit monté. Sa démarche tendra toujours à « respecter  » l'ordre établi prévu.

Composer est une charge qui se rajoute au fait d'écrire, de réaliser et de produire. La musique représente une mainmise pour aller au-delà des images. Elle finalise l'aboutissement d'un long travail d'équipe en constituant la touche finale par laquelle les éléments éparpillés des scènes doivent au final constituer une suite logique, comme une clé magique qui ouvre sur des perspectives jusqu'alors invisibles. Ceci explique grandement le comportement de Carpenter quand le film était enfin achevé et monté. Il se sentait vraiment libéré. Alors, arrivait l'un de ses moments préférés, celui de concevoir la bande-son.

Bien que son usage fasse partie intégrante des films qu'elle illustre, la musique de Carpenter ne reflète en rien les ambitions symphoniques d'un Jerry Goldsmith, d'un John Williams ou d'un James Horner. La plupart de ses bandes-son ont été réalisées dans un studio analogique 24 pistes avec le renfort d'un petit effectif qui le secondait pour les parties instrumentales les plus techniques et pour faire intervenir d'autres joujoux comme la guitare.

La tentation de revenir vers son premier amour, la musique rock, se confirmera en 1986 à travers Big Trouble In Little China (Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin) avec un son très années 80 par l'utilisation de la synthèse FM, au grain si caractéristique. Ambiance rock aussi dans le film d'horreur Prince of Darkness (Prince des ténèbres) en 1987, qui aura pour invité le chanteur de rock très extravaguant, Alice Cooper.


JOHN CARPENTER : "VORTEX" (2015)

LA PORTE OUVERTE À DES ŒUVRES ORIGINALES

En 2011, face à de multiples échecs commerciaux, John Carpenter décide de tirer un trait sur sa carrière cinématographique. Par chance, les parutions en VHS puis en DVD de ses films feront que le cinéaste ne sera pas oublié. Ses musiques auront une seconde vie, jusqu'à influencer de nombreuses personnalités françaises adeptes d'électro (Carpenter Brut, Zombie Zombie...).

© David wikimedia – John Carpenter sur une scène anglaise, en octobre 2016.

La suite ne lui donnera pas tort. John Carpenter, après avoir quitté les plateaux du cinéma, s'enferme dans les studios avec son fils Cody pour s'adonner à sa passion première. En 2015, il publie son premier album de compositions originales, Lost Themes. Fidèle à ce qu'il a développé dans ses films, le désormais musicien de scène septuagénaire continue de lorgner du côté anachronique en revivifiant le son électronique des années 80. N'abandonnant pas ses textures alambiquées, Lost Themes, donnera une suite chronologique avec Lost Themes II (2016) et Lost Themes III, sous-titré "Alive After Death (2021)... "Vivant après la mort". Tout un programme !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2023)


RETOUR SOMMAIRE 'MUSIQUE DE FILMS'
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale