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CHANSON

JULIETTE GRÉCO INTERVIEW 'MERCI !' L'ULTIME TOURNÉE

L’animal est pudique, sauvage et inadapté, mais tellement mythique que Boris Vian tentera de l’apprivoiser. La muse de Saint-Germain séduira par son côté rebelle, anticonformiste et même parfois coquin. La féline Juliette Gréco sera toujours la première à affirmer haut et fort la liberté féminine : « Je suis un animal féroce, plutôt qu’autre chose ». C’est vrai, elle a toujours revendiqué sa liberté, son indépendance. Elle aime comme elle veut. Elle a le talent du respect et le public l’aime aussi pour cela.


JULIETTE GRÉCO ET SON ULTIME TOURNÉE

La chanteuse aux yeux de biche aime bien vivre recluse dans sa tanière, même si la scène l'attire autant qu'elle lui fait peur. Tout au long de sa carrière, elle n'aura de cesse d'être entouré par les meilleures plumes. Si par le passé Sartre, Prévert, Gainsbourg sauront la porter aux nues, aujourd’hui Biolay, Miossec et Abd Al Malik s’enflamment pour elle.

Cela fera bientôt 66 ans qu’elle nous prend par la main et nous fait découvrir ou redécouvrir son vaste répertoire. Malgré le temps qui passe, la frêle cigale n’a pas envie d’arrêter de chanter, car pour elle, c’est avant tout une question de survie : « On ne se sent pas inutile et on est bien content d’être encore en vie… Et on voudrait bien que cela dure ! » arbore-t-elle derrière un air malicieux.

Actuellement, la chanteuse continue sa tournée marathon, de folie, pourrait-on dire, intitulée Merci ! Juliette Gréco, qui n’est pas une nostalgique, conjugue son existence au temps présent, voire au futur…


INTERVIEW « PSY » JULIETTE GRÉCO

Pourquoi portez-vous depuis toujours cette couleur de prédilection, le noir ?

Juliette Gréco : je ne sais pas…

Pour vous cacher ?

Oui certainement. J’ai appris ça au Japon. Les Japonais m’ont dit : « Vous savez pourquoi vous vous habillez en noir ? » Oui, parce que je ne veux pas que l’on voit mon corps. Et ils m’on dit : « Vous savez, au Japon, le noir, c’est la couleur de la protection. »

Quel rapport au corps avez-vous ?

À mon corps ? Nul ! Je n’aime pas mon corps depuis toujours. En fait, je ne m’aime pas du tout. Si j’avais pu tout changer, je l’aurais fait.

On a du mal à le croire…

Pourtant, c’est vrai (rires)… C’est comme ça !

Un complexe physique !

Ce fut une très grande douleur pour moi. Maintenant, ça se calme et je n’y pense quasiment plus. Le temps a passé, mais c’est vrai, je me suis toujours trouvé « moche »… Ca me surprenaient tellement de voir des journaux avec des photos, des photos où je ne me reconnaissais pas du tout. Ce que je vois dans mon petit miroir avec lequel je me maquille est un reflet que je n’aime pas. Je suis même très sévère dans ma tête.

La nudité des autres vous gêne ?

Non, pas du tout… mais je suis un peu triste de cette absence de mystère. On voit des filles magnifiques, mais qui ont les jupes au ras du bonheur…

Jolie expression… Vous qui êtes une féministe convaincue depuis toujours, les femmes activistes seins nus, cela vous dérange ?

Pas du tout… C’est une image radieuse de jeunesse, de force, de courage et de beauté.

On connaît vos amitiés avec Brel, avec Brassens, avec qui vous aviez fait la première partie au TNP. C’était des hommes que l’on qualifierait aujourd’hui d’un peu machiste, même misogyne, qui avaient peur des femmes, c’est ça ?

Ils avaient peur des femmes. Cela dit, Brassens a fait une chose absolument inouïe dans le métier quand je suis passé au TNP avec lui. Il a dit à Jacques Canetti (Jacques Canatti est un agent et producteur artistique, ndlr) qui lui montrait l’affiche avec les noms Georges Brassens et en dessous Juliette Gréco : « Non. Juliette Gréco et Georges Brassens. » Qu’est-ce que j’avais fait dans sa tête pour mériter ça, je ne saurai jamais, mais j’ai été bouleversé, vraiment.

Ils étaient des tombeurs ?

Oh, sûrement ! Mais je n’avais aucune d’idée de la sexualité de Brel, ni de Brassens.

Il n’y avait pas d’attirance physique…

Je les aimais trop… Pour moi, ils étaient des êtres de poésie, de musique, de rêves, de combat, de force, de générosité… Des êtres magnifiques.

Intouchables !

Je n’y ai même pas pensé.

Quand vous voyez une photo de vous avec les cheveux longs, jeune femme, qu’avez vous envie de lui dire ?

Allez vas-y, courage ma fille ! (rires) J’étais une insolente et je le suis resté encore.

Quand on était dans les années 60, il y a eu des hauts et des bas pour vous… notamment une tentative de suicide, que vous avez d’ailleurs regretté, jusqu’à vous dire « je ne sais pas ce qui m’est arrivé. »

Si, si je sais… Je sortais d’un dîner chez Régine où il y avait la « cour de la ville » : des acteurs, des gens extrêmement fortunés, des gens très gâtés par la vie... Ils ne parlaient que de rapport avec celle-là ou celle-ci… On ne parlait que d’histoires de lit. Là, encore, je reste polie… Donc, je rentrais à la maison et j’ai vu comme des rayons X à travers ces gens, et ce que je voyais n’était pas très joli. Je me suis dit, ce n’est pas la peine de vivre dans ce monde-là, dans cette vie-là… et j’ai bien failli y laisser la mienne.

Sartre, Ferré, Brel, Vian… Vous avez connu toutes les personnes marquantes du 20e siècle. On sait ce qu’ils vous ont apporté, mais que leur avez-vous donnés en retour ?

Je n’en sais rien. C’est certainement l’une des questions que je me poserais avant de mourir. Pourquoi moi ? Et c’est pour ça que j‘en conçois une extrême humilité.

Oui, mais vous deviez être différente des autres… Vous aviez une distinction vis-à-vis des autres…

Probablement… Cela s’explique peut-être par ma joie de vivre, ma liberté, par ma manière totalement étrange de m’habiller, de maquiller mes yeux, de ne pas coiffer mes cheveux.

Vous aimez la sensualité des femmes ?

Oui, bien sûr.

Vous êtes attiré par elles…

Je suis extrêmement admirative. J’aime la beauté. Elle me rassure… Ça me fait du bien. Une femme belle, c’est comme un cadeau du ciel.

Et un homme beau ?

Bien sûr.

Les hommes qui ont partagé votre vie ont un point en commun ?

Non, pas du tout. Le seul serait qu’ils m’ont bien plu. (rires)

Et des chagrins d’amour, vous en avez connu ?

Bof… Je suis toujours partie. Je n’aime pas que les choses se gâtent, et quand je sens que cela va mal tourner et que je commence à m’ennuyer, je m’en vais.

Vous êtes possessive ?

Sûrement.

Et la fidélité, a-t-elle une résonance en vous ?

Je ne sais pas… Je pense qu’il est possible d’être fidèle pendant longtemps, mais ça ne durera pas toute la vie.

Vous avez été marié à trois reprises. C’est une institution qui correspond à vous ?

Les hommes aiment bien avoir une femme qui porte leur nom. C’est un peu raté avec moi (rires). Je ne me suis jamais fait appeler Mme Piccoli, Mme Lemaire ou Mme Jouannest. C’est très compliqué tout ça… Je m’appelle Juliette Gréco tout simplement.

Gérard Jouannest est avec vous sur scène…

Nous avons une relation très forte.

C’est ce qui vous encourage à poursuivre… d’être à deux sur scène ?

Je pense que si c’était autrement, ça ne serait pas décisif… Avec lui, je suis heureuse, heureuse musicalement… Je sais que je peux commettre plein d’erreurs. Je sais qu’il est là dans le creux de la main.

Cette idée de tournée de remerciements à tous ceux qui vous ont fait confiance, cela peut-il se poursuivre sur des années ?

Non, des années, non. J’ai un corps et il ne doit pas vous abandonner. Il faut donc partir avant, avant de faire pitié.

Mais présentement il est ok, non ?

Parce qu’on le fouette…

Parce qu’il est mené à la cravache…

Absolument. (rires)

Qu’est-ce qui peut vous déstabiliser Juliette sur scène ?

Une porte qui s’ouvre dans le fond du théâtre avec son rayon de lumière, quelqu’un qui fait du bruit… quand le silence se brise.

Vous êtes donc très sensible à toute l’ambiance de la salle…

Une mouche qui pète, je l’entends (rire)… Je suis d’une fragilité horrible. Pour ça, je trouve que je suis courageuse. Pour une fois que je me fais un compliment…

Vous dites même que rentrer sur la scène, c’est presque une douleur… durant les trois premières chansons…

Ce n’est pas de la douleur, mais un gouffre de terreur… une inquiétude folle : « Est-ce qu’ils vont m’aimer ? »

Vous accepteriez de vous produire dans des villes Front National ?

Je suis allée au Chili sous Pinochet… Je suis allée en Espagne sous Franco… Je suis allée en Grèce sous les Colonels… parce qu’il me semble que c’est là où se trouve le champ de bataille qu’il faut aller.

Donc, selon vous, il faut occuper l’espace.

Oui… Il ne faut pas aller où c’est acquis, sauf de temps en temps, bien sûr… Il faut aller surtout où l’on ne vous attend pas. Là où sont les gens malheureux qu’on tue, qu’on torture, qu’on emprisonne, qu’on interroge, qu’on empêche de vivre et de parler. Il faut aller là !

Depuis quelques années, Juliette, vous êtes accompagnée par une jeune génération de paroliers, des gens beaucoup plus jeunes…

C’est pas difficile ! (rires)…

Que vous ne connaissiez pas forcément, d’ailleurs… C’est vous qui les sollicitez ou ce sont les maisons de disques ?

Ça provient souvent de la maison de disques. Personnellement, je n’oserais pas frapper à la porte de ces gens-là. Et puis, je ne sais pas s’ils accepteraient. Quand quelqu’un leur en parle et qu’ils répondent avec plaisir, comme Olivia Ruiz ou Abd Al Malik, j’en suis ravie.


JULIETTE GRECO : SI TU T'IMAGINES

Quand votre fille Laurence dit «  Quand je vois ma mère rentrer sur scène, elle n’est plus ma mère et je deviens une groupie. » C’est beau, non ?

Je suis heureuse qu’elle soit une groupie et je suis heureuse d’être sa mère, mais je ne suis plus sa mère. Je suis quelqu’un d’autre. Je suis quelqu’un qui est une interprète. Je ne suis plus complètement moi. Je suis « les autres ».

Vous préférez les salles intimes ou les grandes salles ?

J’aime bien les très grandes salles parce que je suis toute seule, parce que je suis loin et que la proximité me fait peur.

Dès l’instant où vous voyez le premier rang, des personnes qui ne sont pas dans la pénombre, ça, ça vous gêne…

Cela me rend encore plus inquiète, encore plus troublée. Je suis très contente quand il y a une grande fosse d’orchestre.

Je précise que l’on peut vous voir actuellement en tournée, mais aussi vous entendre à travers un double album contenant 37 chansons, et puis… il y a aussi l’ensemble de votre œuvre, un peu plus de 300 chansons…

Vous voyez, je ne suis pas fainéante (rires).

Et vous continuez, vous continuez, alors ne donnons surtout pas de dates… Surtout, on vous aime avec un grand M.

Propos recueillis par C. Célia (Cadence Info - 12/2015)

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