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CHANSON


LA CHANSON FRANÇAISE DES ANNÉES 70 ET SES SUCCÈS (1)

Cette page fait suite à : LES CHANSONS FRANÇAISES DES ANNÉES 60.

Après la période yé-yé et ses rimes en ‘yeah’, la chanson française voit débarquer de nombreux chanteurs aux cheveux longs. Antoine et ses élucubrations montreront la voix dès 1966 devant des téléspectateurs ébahis. Vers la même époque, un courant de contre-culture contestataire, mais pacifique, en provenance de la Côte Ouest des États-Unis, semble vouloir envahir notre cher territoire : les hippies. Mais en France, le mouvement non conformiste se détourne quelque peu du chemin tracé. Celui-ci finira par être récupéré à des fins économiques (modes, design, cinéma…).


DE LA POP AU DISCO

Les véritables hippies seront peu nombreux et leur mode de vie se résumera essentiellement à un idéal communautaire et à l’adoption d’une sexualité sans tabou ou presque. Les textes des chansons confirmeront ce changement de valeurs en adoptant des contours philosophiques et des mots tels que paix, partage et amour. La majorité des chanteurs de variété aux cheveux longs se contenteront de suivre la mode vestimentaire. Quant aux véritables hippies, ils continueront de vivre leur révolte pacifique dans un monde où tout n’est pas rose…

ACTUALITÉ

POLITIQUE : aux États-Unis, la guerre du Vietnam s’enlise. L’hécatombe des soldats G.I continue, ce qui va provoquer de nombreuses désertions. Le contraste est saisissant : alors que le protest song (chanson protestataire) devient un acte politique, les missions Apollo se succèdent. Les Américains veulent toujours devancer les Russes dans la conquête spatiale. L’homme va sur la Lune pour faire quelques emplettes et nous ramène des cailloux… Un pas de géant pour l’homme !

En France, l’après 68 ne change rien à l’affaire ou presque. En 1970, quelques années avant que le futur Bébête Show ne les ridiculise, Georges Marchais est élu à la tête du parti communiste et l’année suivante, François Mitterrand, chez les socialistes. À cette époque, les communistes ont encore une grande influence chez les ouvriers. L’union de la gauche espère emporter la mise aux prochaines élections. Tout le monde y pense sans vraiment oser le dire, surtout depuis la mort de Charles de Gaulle.

SOCIAL : les chauffeurs de poids lourds bloquent la circulation. Une attitude qui deviendra vite une habitude. De 68, les Français sont devenus les rois de la grève sauvage. Le pouvoir politique et la télévision font bon ménage et tentent de calmer les esprits échauffés en arrondissant les angles. L’ORTF, avec sa chaîne unique, est à la solde du pouvoir et influe sur les idées véhiculées. Rien d’étonnant alors, qu’un soir, lors d’un débat télévisé, l’écrivain et philosophe Maurice Clavel quitte le plateau en criant : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! ». Une attitude qui ne trompe personne, et en premier les journalistes. Cependant, comme le chantait Serge Lama, ce charivari ne semble pas émouvoir la majorité des français qui continue de danser au son de L’avventura.

LA CHANSON… VERSION COUPLE

Ah, c’est beau l’amour ! Tête contre tête, épaule contre épaule, le couple Stone et Charden fait rêver : « L’avventura / C’est la vie que je mène avec toi / L’avventura / C’est dormir chaque nuit dans tes bras / L’avventura / C’est tes mains qui se posent sur moi / Et chaque jour que Dieu fait mon amour avec toi / C’est l’avventura. »

La blonde Stone et sa coupe de cheveux beatnik n’est pas une débutante dans le métier, tout comme son mari Eric Charden qui a déjà écrit pour quelques artistes (Jacques Monty, Claude François…). La chanson L’avventura est née un peu par accident. D’abord à cause du film de Michelangelo Antonioni (L’avventura – 1960), qui influencera les auteurs Jean-Michel Rivat et Frank Thomas, ensuite durant l’enregistrement (pendant les répétitions, la chanson initialement prévue pour Stone est devenue un duo). Ce sera le plus grand succès du couple, avec 2 millions d’exemplaires vendus en l’espace de 3 mois.

Stone et Charden est un couple heureux dans la vie comme à la scène. Leur réussite va inciter d’autres artistes à faire de même. Ce sera le cas de Sheila et Ringo Willy Cat (difficile d’oublier leur mariage très médiatisé en 1973 !). Il existe même un précédent : le célèbre couple des années 60, Sylvie Vartan et Johnny Hallyday. Mais les deux vedettes issues de la vague yé-yé ne sont déjà plus dans la course, comme effacés par le succès de Stone et Charden. Ce raz de marée médiatique va se prolonger jusqu’en 1975, avec de nombreux autres succès à la clé.

Mais que ce passe-t-il ? La période post-soixante-huitarde semblait pourtant vouloir détrôner une certaine idée du couple. La libération de la femme, on n’entendait parler que de ça à la radio ou dans la rue. Même le cinéma, s’en faisait l’écho à travers des comédies. Cette ‘avventura’, cette chanson à contre-courant était-elle alors le reflet d’un monde conservateur, d’une bourgeoisie se sentant menacé par la répétition d’un mai 68 ? Certainement. Cette chanson-là et bien d’autres de l’époque possédaient des valeurs conformistes. Il ne fallait surtout pas déplaire… Surtout, si leur ambition étaient d’être diffusées sur les ondes, notamment à la télévision.

L’INFLUENCE HIPPIE

Héritée des hippies, une vie libre et communautaire semble vouloir s’installer, plutôt dans le sud de la France. Les causses et leur espace sont des lieux idéaux pour vivre en toute liberté. Rien ne semble devoir menacer ces havres de paix…

En 1972, Maxime Le Forestier chante San Francisco : « C’est une maison bleue / Adossée à la colline / On y vient à pied, on ne frappe pas / Ceux qui vivent là, ont jeté la clé / On se retrouve ensemble / Après des années de route / Et l’on vient s’asseoir autour du repas / Tout le monde est là, à cinq heures du soir / San Francisco s’embrume /San Francisco s’allume / San Francisco, où êtes-vous… »

Ode à un mode de vie qui enflamme les esprits… Je vais chercher ma guitare et je reviens…

Attention, pour un coup de maître… c’est un coup de maître ! Le Forestier a alors 23 ans lorsque son premier 33 tours paraît. Sur la pochette, son look avec barbe de circonstance semble vouloir nous rassurer. Si les paroles de Parachutiste résonnent comme un ‘coup de gueule’, les autres chansons de l’album ont des allures mélancoliques (Comme un arbre dans la ville) évocatrices (Mon frère) ou poétiques (L’éducation Sentimentale). Les mélodies aux contours folks et les textes travaillés laissent entrevoir déjà la verve créatrice d’un grand auteur.

ACTUALITÉ

SOCIÉTÉ : la future extension d’un camp militaire sur le causse du Larzac va révéler l’extraordinaire solidarité de la jeunesse post-soixante-huitarde. Des milliers de personnes de toute la France vont alors converger vers ce lieu pour soutenir la cause des paysans… Le défilé des tracteurs allait commencer et le conflit se prolonger pendant plusieurs années.

DISPARITION : l’actualité de ces premières années 70 est également marquée par la disparition de deux légendes du cinéma : Fernandel et Bourvil, mais également du compositeur Igor Stravinsky et du trompettiste de jazz Louis Armstrong.

INTERNATIONAL : le choléra se répand au Bangladesh, malgré les appels à l’aide qui seront lancés… Et, au même moment, à des centaines de milliers de kilomètres, des astronautes circulent au volant de leur ’Lunar Roving Vehicule’. Le projet de la NASA s’enlise toujours plus et les mois défilent…

C’est alors que Gérard Palaprat, le chanteur prophète, entre en scène : « Je suis devant un mur blanc / Mais je sais que vous êtes présent / Alors faites-moi un signe / Apparais je t’attends / Je ne te demande rien / Rien qu’un seul geste de la main / Alors fais-moi un signe / Montrez-moi le chemin / Dis-moi seulement lève-toi / Et j’irai où tu me diras / Les pieds nus sur la scène / faites-moi un signe / faites-moi un signe / faites-moi un signe. »

Sorti tout droit de la comédie Hair, qui a déjà vu défiler un certain Julien Clerc et un autre chevelu du nom de Gérard Lenorman, Gérard Palaprat, en prolongement de cette aventure musicale, chante son désir de paix sur la terre. Ce ‘George Harrison frenchy’, dont la chanson Fais-moi un signe semble tout droit inspiré de My Sweet Lord, rencontre un vif succès auprès de ceux qui ont déjà un certain karma avec l’existence. D’ailleurs son autre tube - Pour la fin du monde - confirme bien qu’il est le chanteur prophète que le monde hippy n’espérait plus.

ACTUALITÉ

TÉLÉVISION : l’année 72 est l’année de Jésus-Christ superstar, sur les affiches publicitaires et au cinéma. Les téléspectateurs découvrent l’animateur de radio Jacques Chancel en maître de cérémonie du Grand Échiquier : l’émission fleuve qui justifie l’élitisme des arts et le mélange des genres… à moins que cela ne soit le contraire… je ne me souviens plus ! En attendant, l’échéance des élections présidentielles se rapproche et le programme commun PS/PCF est entériné. Enfin… diront certains !

JUSTICE : la France, le pays des droits de l’homme, continue de guillotiner à l’ancienne, puisque la ‘version mécanique Louis XVI’ est toujours idéale. Claude Buffet et Roger Bontems n’auront pas droit au ticket retour. La peine de mort est un sujet grave qui divise toujours, ce qui poussera un certain Robert Badinter à écrire L’Exécution.

INTERNATIONAL : aux États-Unis, le président Nixon est toujours aux commandes pour quatre années encore.  Comme pour le projet lunaire, la guerre du Vietnam se prolonge à coup de dollars avec en primes des milliers de victimes innocentes… Dans la cordillère des Andes, pour continuer à survivre, les rescapés d’un accident d’avion sont devenus des anthropophages. Quelques-uns auront la vie sauve. 

LA CHANSON S’ADAPTE AUX MŒURS

« C’est un beau roman /c’est une belle histoire / Il rentrait chez lui, là-haut vers le brouillard / Elle descendait dans le midi, le midi / Ils se sont quittés au bord du matin / Sur l’autoroute des vacances / C’était fini le jour de chance »… chante Michel Fugain, et puisque l’amour peut tout, il rajoute : « Ils se sont cachés dans un grand champ de blé / Se laissant porter par les courants »… mais nous n’en saurons pas plus ! Faire l’amour au bord des autoroutes n’est peut-être pas une évidence, mais pour leurs auteurs, certainement une providence… surtout quand un disque sort à la veille des grandes vacances ! La belle histoire sera un des tubes de l’été 72.

Le grand Charles Aznavour s’attaque à l’homosexualité avec sa chanson Comme ils disent. Un sujet encore fortement tabou dans la société des années 70 et que la télévision traite entre les pas de danse d’un Jacques Chazot et les spectacles de travesti d’un certain Michou.

La tolérance n’est pas encore à l’ordre du jour et il faut un certain aplomb pour lancer : « J’habite seul avec maman / Dans un très vieil appartement / Rue Sarasate / J’ai pour me tenir compagnie / Une tortue deux canaris / Et une chatte / Pour laisser maman reposer / Très souvent je fais le marché / Et la cuisine / Je range, je lave, j’essuie, / A l’occasion je pique aussi / A la machine / Le travail ne me fait pas peur / Je suis un peu décorateur / Un peu styliste / Mais mon vrai métier c’est la nuit. / Que je l’exerce en travesti : / Je suis artiste / J’ai un numéro très spécial / Qui finit en nu intégral / Après strip-tease / Et dans la salle je vois que / Les mâles n’en croient pas leurs yeux. / Je suis un homme, oh ! / Comme ils disent. »

La chanson a alors un énorme impact. Relation d’amour, relation des êtres, message fort que seul un artiste de la trempe de Charles Aznavour pouvait écrire et interpréter. Le public ne s’y trompera pas et remerciera l’artiste pour avoir osé aborder un tel sujet. Comme ils disent a apporté une certaine dignité aux homosexuels et à l’univers des travestis. 

ACTUALITÉ

INTERNATIONAL : 1973. Après dix années de guerre au Viêtnam, un accord de cessez-le-feu est enfin signé entre américains et vietnamien. Le pays ‘Vietcong’ finira par capituler en avril 1975, mais le retour des soldats américains sur le sol natal n’ira pas sans problème… Ailleurs, une dictature arrive tandis qu’une autre disparaît : au Chili, les militaires destituent le président Salvador Allende, tandis qu’en Grèce, les habitants dansent le sirtaki après avoir renversé le régime des colonels.

ÉCONOMIE : en France, c’est la dictature de l’or noir qui sévit. Le chômage est en hausse et les employés de Lip continuent le combat pour sauvegarder leur emploi, n’hésitant pas à mettre en vente une partie de leur production.


DIVORCE ET LIBÉRATION SEXUELLE

La vie moderne et stressante provoque des changements dans les mœurs. L’amour, ciment du couple, fout le camp et la présence d’enfants n’y change rien. L’individualisme gagne du terrain…La chanson Les Divorcés, interprétée par Michel Delpech, met en avant les problèmes engendrés par le divorce : « On pourra dans les premiers temps / Donner la gosse à tes parents, / Le temps de faire le nécessaire. / Il faut quand même se retourner. / Ça me fait drôle de divorcer, / Mais ça fait rien : je vais m’y faire. / Si tu voyais mon avocat, / Ce qu’il veut me faire dire de toi : / Il ne te trouve pas d’excuses. / Les jolies choses de ma vie, / Il fallait que je les oublie : / Il a fallu que je t’accuse. / Tu garderas l’appartement. / Je passerai de temps en temps, / Quand il n’y aura pas d’école. / Ces jours-là, pour l’après-midi, / Je t’enlèverai Stéphanie. / J’ai toujours été son idole… »

Depuis, l’arrivée du divorce à l’amiable a arrondi les angles et facilité les séparations.

La vie moderne des années 70 s’accompagne également de la libération sexuelle. Celle-ci s’affiche sur les murs sans vergogne. Malgré les protestations et la censure, les films pornographiques envahissent les salles obscures. Pierre Perret en profite pour passer en revue l’anatomie du sexe masculin en écrivant Le Zizi : « Le zizi musclé chez le routier / O gué, o gué / Se reconnaît à un gros col roulé / O gué, o gué / J’ai vu le zizi affolant / D’un trapéziste ambulant / Qui apprenait la barre fixe à ses petits-enfants / L’alpiniste et son beau pic à glace / Magnifique au-dessus des grandes Jorasses / J’ai vu le grand zizi d’un p’tit bedeau / O gué, o gué / Qui sonne l’angélus les mains dans le dos / O gué, o gué. » Nul doute qu’avec un tel texte, l’objet sexuel masculin est enfin désacralisé.



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