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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

BIOGRAPHIE PIERRE BOULEZ, PORTRAIT D'UNE GRANDE FIGURE MUSICALE DU 20e SIÈCLE

« La recherche, c'est la forme la plus résistante et parfois la plus folle de l'utopie. C'est ce qui me permet, plus encore, me pousse irrésistiblement à rêver ma révolution, au moins autant qu'à la construire. », dira un jour Pierre Boulez. Depuis ses jeunes années, son désir le plus ardent a été de marier la musique d'hier avec celle du présent, et surtout ouvrir cet art "à toutes les classes" sociales. Le compositeur, qui s’était installé en Allemagne depuis bien longtemps, jouissait à l'étranger d'une aura encore plus grande qu'en France, où il souffrait depuis son "exil" volontaire d'une réputation de dogmatisme et d'aridité. Rendons-lui hommage et revenons sur la partition très riche de cet homme au parcours d'aventurier...


QUI ÉTAIT PIERRE BOULEZ ?

Né en 1925, Pierre Boulez est sans conteste le plus illustre des compositeurs français nés à l'heure de la découverte de l'« École de Vienne » ; il restera dans l'histoire pour avoir développé la logique sérielle jusqu'à ses ultimes limites.

Au terme de ses études secondaires, il hésite entre les mathématiques et la musique ; et s’il choisit la musique, il conservera toujours pour les mathématiques une certaine attirance. Élève de Messiaen et de Leibowitz, il écrit ses premières œuvres dès 1946/47 (Sonatine pour flûte et piano, Première Sonate pour piano, Visage nuptial, Soleil des eaux ; dans ces deux dernières œuvres où il est fait largement appel à la voix, Pierre Boulez utilise des poèmes de René Char, dont il apprécie la force des images ; il en utilisera à nouveau d'autres plus tard pour Le Marteau sans maître en 1954.

C'est vers cette époque que Pierre Boulez est engagé par Jean-Louis Barrault pour remplir la fonction de directeur de la musique de scène du théâtre de l'Odéon. Ce poste lui offre l'opportunité de se former au métier de chef d'orchestre. En 1953, Pierre Boulez fonde les Concerts du Petit-Marigny qui deviennent, en 1954, le Domaine Musical, en même temps qu'il se transporte au Grand Théâtre Marigny ; cette action, rendue possible grâce à l'hospitalité de Jean-Louis Barrault, accuse bien une des données de tempérament caractéristiques de Pierre Boulez : son besoin d'agir, sa volonté d'efficacité.

Bien entendu, la vocation du Domaine Musical est claire : faire connaître la musique contemporaine — et tout spécialement la musique de l'École de Vienne — au public parisien. Pierre Boulez en restera le directeur jusqu'en 1967. Gilbert Amy lui succédera alors, jusqu'à la dissolution du Domaine en 1973.


PIERRE BOULEZ, CHEF D’ORCHESTRE ET EXPLORATEUR SONORE

La pratique de la direction au Domaine Musical a frayé pour Boulez la voie vers la direction d'orchestre ; pendant une dizaine d'années, il y fera une carrière brillante et internationale, notamment à la tête du New York Philharmonie et de l'orchestre de la BBC. Dès lors, Boulez se consacre à ce nouveau métier de manière quasi exclusive jusqu'en 1977, après qu'en 1966 il eut avec violence quitté la France, ulcéré du refus opposé par André Malraux aux propositions du plan de restructuration de la vie musicale française qu'il avait élaboré avec Jean Vilar et Maurice Béjart.

Incité par l'œuvre de Messiaen, Mode de valeurs et d'intensités, à étendre le principe sériel à tous les paramètres du son — hauteur, durée, intensité et timbre — Boulez fait également de la série le moteur générateur des structures formelles. Parallèlement, il poursuit la voie ouverte par Debussy vers la recherche de sonorités nouvelles : la formation instrumentale du Marteau sans maître (1954) rend compte d'une volonté de rompre avec les organisations sonores traditionnelles de l'Occident. « Le xylophone transpose le balafon africain, le vibraphone se réfère au gamelan balinais, la guitare se souvient du koto japonais, [...] toutefois ni la stylistique ni l'emploi même des instruments ne se rattachent en quoi que ce soit aux traditions de ces différentes civilisations musicales. » commentera Pierre Boulez.

Le Marteau sans maître entend poursuivre, dans son rapport de la voix à l'ensemble instrumental, la recherche de Schoenberg dans son Pierrot lunaire. Un peu plus tard, avec Pli selon pli (1957-1960), où Boulez utilise des textes de Mallarmé, autre source importante et littéraire de sa création, il établira entre la soprano et l'orchestre ce même type de recherche dans une nouvelle relation entre le texte poétique et la musique, allant de « l'irrigation à l'amalgame ».

Après la Deuxième Sonate pour piano (1948), le Livre pour quatuor (1949), le premier livre des Structures pour deux pianos (1952), - trois œuvres capitales de l'ère sérielle -, Pierre Boulez s'ouvre à un nouveau domaine d'investigation et pose le problème des relations entre le compositeur et son interprète ; il introduit dans la forme de sa Troisième Sonate pour piano (1957) la notion d'aléa, laissant au libre choix de l'interprète la disposition de certains éléments mobiles.

Plus tard, tenté à nouveau par l'appareillage électro-acoustique, auquel il s'était déjà affronté dans les années 1950 (Poésie pour pouvoir, qui fait référence à Henri Michaux, 1958), il cherche à établir dans Explosante-Fixe (1972) pour huit instruments et halaphone, et par ce moyen, une réciprocité d'influence d'un instrument à l'autre. C'est le même principe combinatoire qui avait présidé à la conception de Domaines (1968) où une clarinette suscite le dialogue avec divers groupes instrumentaux.


PIERRE BOULEZ ET L’IRCAM

En 1972, Pierre Boulez accepte la proposition que lui fait Georges Pompidou de fonder et de diriger un institut qui lui permette de mener et de coordonner les recherches qu'il ne cesse de dire nécessaires. Cet institut, actif dès 1975, est l'IRCAM, Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique, installé à Paris, au Centre Pompidou.

« Depuis dix ans, presque quinze, le temps m'a été chichement compté pour mes travaux personnels. La direction d'orchestre m'avait impliqué dans une situation qui m'éloignait de la composition ; je veux aujourd'hui revenir à ce qui est ma préoccupation essentielle, la composition », disait Boulez, évoquant sa nouvelle installation à Paris. C'est vrai que ses nouvelles œuvres s'étaient faites rares en raison de l'importance de ses fonctions de chef d'orchestre. On lui doit cependant des « reprises » et des « extensions » d'œuvres plus anciennes comme le Livre pour cordes (1968), d'après le Livre pour quatuor de 1949, Éclats Multiples (1970), d'après Éclat pour 15 instruments (1964), ou Notations (1980), provenant de pièces pour piano inédites de 1945. À ceci s’ajoute quelques œuvres tout à fait nouvelles, comme le Rituel in memoriam Maderna pour orchestre (1975) et le Cummings ist der Dichter (1970), partition bâtie sur des textes du poète américain Edward Cummings que lui fit découvrir John Cage, destinée à être le premier maillon d'une œuvre de beaucoup plus grande envergure.

Il ne faudrait pas croire pour autant que le métier de chef d'orchestre ne lui ait rien apporté par rapport à son œuvre propre, au contraire. Pierre Boulez : « Les rapports entre l'individu et la collectivité dans un groupe d'interprètes sont une chose qui peut se résoudre par des solutions beaucoup plus souples, plus efficaces et plus subtiles que celles qu'on avait envisagées jusqu'alors : la simple obéissance à un chef qui coordonne d'une façon centrale l'activité d'un certain nombre de musiciens. C'est la grande expérience que j'ai faite, et je crois qu'elle a influencé toutes mes œuvres suivantes. »

Conçu et réalisé en fonction des possibilités techniques nouvellement offertes par l'IRCAM (notamment un nouvel ordinateur musical extrêmement rapide pour l’époque, la machine 4 X, inventée et réalisée par Giuseppe Di Giugno et son équipe), la composition Répons (1981-1984) offre une « alternance du jeu collectif et du jeu individuel. [...] Le traitement électro-acoustique qui s'applique aux solistes (sons naturels, sons amplifiés, sons transformés) rend plus complexe le jeu de "réponses" entre les sons instrumentaux purs de l'ensemble instrumental et les sons artificiels des bandes magnétiques. » dira Pierre Boulez.

PIERRE BOULEZ IN MÉMORIAM

Répons semble résumer, tout en la portant à un nouveau point d'incandescence, toute la démarche logique et rationnellement contrôlée de la création de Pierre Boulez, laquelle ne prend cependant son sens que sous-tendue par un ardent désir (son utopie) de prospection et de rencontres de nouvelles terres inconnues.

Renversant la formule de Rimbaud, Boulez affirme : « II s'agit d'arriver à l'inconnu par le RÈGLEMENT de tous les sens. Le " Musicien "se fait voyant par un long, immense et raisonné RÈGLEMENT de tous les sens. »

Pierre Boulez, comme on le voit, avait aussi le goût de la formule, le goût de l'écriture littéraire. Il n'est que de lire ses textes, réflexions d'un compositeur d'aujourd'hui par rapport à un acquis musical : Penser la musique aujourd'hui (1963), Relevés d'apprenti (1966), Par volonté et par hasard (1975), Points de repère (1981), pour s'apercevoir que Pierre Boulez, en même temps qu'un théoricien remarquable, était un excellent écrivain.

Figure majeure de la musique contemporaine, le compositeur et chef d'orchestre français Pierre Boulez s'est éteint à l'âge de 90 ans le 5 janvier 2016.

Par J-Y. Bosseur (Cadence Info - 01/2016)

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