QUAND L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AIDE À COMPOSER LES MUSIQUES DE DEMAIN

La jeune guitariste Ava Toton s'est lancée dans un pari assez fou, plus par jeu que dans l'intention de révolutionner l'approche de la guitare avec l'IA. Elle a justifié sa démarche sur "Reddit", le site web communautaire américain de discussion, et dont voici la traduction : « J’ai décidé d’utiliser ChatGPT pour tester sa capacité à traiter les demandes musicales, mais il m’a fallu une éternité pour qu’il me donne une réponse utilisable ! ChatGPT m’a donné les notes, mais je les ai interprétées avec les longueurs et ce qu’il fallait accentuer. J’ai également écrit la guitare rythmique, les harmonies, la basse et la batterie. Je pense que c’est une bonne démonstration de la façon dont on peut utiliser ces outils pour aider sa créativité, mais cela dépend de l’artiste pour que ce soit intéressant. D’un point de vue musical, cela montre également que le choix des notes n’est pas aussi important que leur phrasé, car ChatGPT m’a donné plusieurs notes qui n’étaient pas dans la tonalité. »

Ci-dessous, dans un style hard-rock, le très court solo de guitare suggéré par le programme d'OpenIA et interprété à la guitare par Ava Toton.

I asked ChatGPT to write a guitar solo
by u/avatoton in ChatGPT

Pour info, je rappelle qu'au départ, ChatGPT n'a jamais été conçu pour résoudre des problèmes d'ordre créatif, toutefois si on élude l'apport personnel de la guitariste, à savoir la construction de la rythmique et, côté IA, l'obtention de notes qui ne soit pas « out », le résultat est acceptable. On imagine aisément que les "imperfections de jeunesse" des algorithmes s'estomperont progressivement, comme il est certain que des projets conçus spécialement pour aider à la composition musicale se multiplieront dans un avenir extrêmement proche. Néanmoins, cette expérience singulière démontre l’avancée technologique de l'IA et sa souplesse relative, puisque cette "intelligence" apprend de nous que ce que nous voulons bien lui apporter (pour l'instant).

ACCUEILLIR LES MUSIQUES DE DEMAIN

Que seront les œuvres musicales de demain ? L'intelligence artificielle risque fort de transformer en profondeur la relation du musicien avec la créativité et plus globalement l'homme avec les arts. Plusieurs pistes peuvent dès à présent être avancé :

1. L'assistanat. Plus que probable, il grandira dans une sorte de collaboration inédite et complémentaire entre le musicien et les algorithmes. Le jeu en vaut la chandelle, très certainement, mais à condition que l'apport interactif entre la machine et l'homme aboutisse à produire du neuf (pas du réchauffé ou de l'imitation). Dans ce cas, notre regard sur ces « nouvelles musiques » pourrait transformer notre conditionnement actuel à apprécier autrement certaines combinaisons rythmiques et harmoniques. Cependant, je ne pense pas que l'innovation proviendra de la mélodie, car son usage demeure trop subtil et trop centralisé sur la sensibilité de chacun.

En second lieu, pour effectuer un tel virage technologique, si la première étape consiste à l'accepter – ce que nous faisons à l'heure actuelle –, nous sommes malheureusement portés à critiquer parce que nous pensons en termes de comparaison. Or, comparer, c'est déjà regarder dans le passé, et comme il en fut de la naissance des premiers sons électroniques, il en est présentement des premières réalisations musicales de l'IA. Faire abstraction des repères, de sa culture artistique et de l'éducation reçue est chose difficile !

2. L'enseignement. Celui-ci pourrait être impacté en transformant le rôle du professeur. Celui-ci deviendra le guide suprême, puisque les tâches routinières de l'éducation seront développées, commentées et détaillées sous la forme de tableau, de questionnaire ou de jeu par l'IA. Lecture, correction, évaluation seront entre ses mains. Les programmes IA serviront aussi de répétiteur à domicile. Pour suivre un cours et étudier, il deviendra superflu d'aller à l'encontre de l'enseignant. Des lieux comme les écoles et conservatoires perdront de leur suprématie et seront exclusivement réservés aux échanges, au travail collectif ou, exceptionnellement, à des cours de rattrapage pour celles et ceux qui éprouvent certaines difficultés.

3. De nouveaux instruments. Ils seront pilotés en grande partie par l'IA, mais par-dessus tout, ils révolutionneront notre rapport au jeu et aux sons. Quand l'homme sera parvenu à imiter les instruments traditionnels en tenant compte de leurs spécificités techniques et d'expressions, il existe de fortes probabilités pour que les touches du piano, le manche de la guitare ou du violon jusqu'aux cordes manqueront de suffisance pour répondre aux nouveaux enjeux d'interprétation suggérés et produits par l'IA.

4. La production musicale. C'est, à ce jour, celle dans laquelle l'IA deviendra certainement la plus active, en grande partie pour la simple raison que le matériel numérique, avec ses automatisations, facilite déjà la création sonore, le mixage, sans compter tout un tas de corrections préprogrammés face à des productions musicales complexes. L'avantage est déjà visible dans les studios en apportant un gain de temps dans la réalisation, ce qui permet aux artistes, techniciens et producteurs d'envisager plusieurs solutions pour au final n'en retenir que la plus efficace.

En conclusion, chaque nouveau pas en lien avec l’intelligence artificielle, telle la jeune guitariste Ava Toton avec ChatGPT, démontre, derrière sa tentation toute personnelle, l'impasse dans laquelle la pure créativité musicale se trouve depuis plusieurs années. Dans l'avenir, l'IA deviendra à coup sûr un moyen très efficace pour favoriser et développer l’expression artistique. Toutefois, et n'en déplaise à tous ceux qui courent après la révolution cybernétique, ne pensez-vous pas qu'il est certainement plus préoccupant de voir dans son usage, notre renoncement à stimuler nos neurones et, peut-être, par voie de conséquence, à minimiser nos émotions. Toute la question n'est-elle pas là ?

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2023)

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