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CHANSON

STARMANIA, HISTOIRE DE L’OPÉRA-ROCK DE BERGER/PLAMONDON

Le 10 avril 1979, six mois après la parution du double album Starmania, l’opéra-rock se produisait enfin sur scène pour la première fois. Les chansons signées Michel Berger et Luc Plamondon vont alors se révéler comme un défi au temps ; un véritable coup de maître qui va donner le coup d'envoi à de nombreuses comédies musicales en langue française.


STARMANIA, UNE ÉTONNANTE PROPHÉTIE

Starmania est l’aventure de deux auteurs, Michel Berger et Luc Plamondon. Les deux hommes sont prêts à tout pour démontrer qu’un spectacle musical d’envergure ‘made in France’ n’est pas impossible, qu’il peut avoir sa place et qu’il n’est pas seulement réservé aux pays anglo-saxons.

En 1979, cette part de rêve qui anime tout auteur de chansons et entrepreneur de spectacle était encore perçu par le business avec une certaine méfiance, voire indifférence. Les auteurs français ne manquaient pourtant pas d’imagination et d’audace. Souvenons-nous de La Révolution Française, le spectacle découvert par le public français six ans plus tôt, en 1973.

La Révolution française est le premier opéra-rock français. Écrit par Claude-Michel Schönberg et Raymond Jeannot, le sujet nous touche directement, car son argument traverse des moments clés de notre histoire. Pourtant, malgré une distribution qui compte quelques artistes connus dont Antoine, les Martin Circus et Jean-François Michael (ou le débutant Alain Bashung), le succès sera relatif, parfois discuté en soulevant un sujet finalement trop sensible. La Révolution Française n’imprimera pas les esprits autant que le phénomène ascensionnel et intemporel produit par Starmania.

Est-ce les chansons, les interprètes qui ont contribué au succès de Starmania ou faut-il chercher ailleurs les clés de son étonnante histoire ?

Les musiques de Berger allient la diversité. Elles possèdent cette retenue, cette émotion, ce lyrisme qui, à l’instant d’après, vous enivrent de balancements cadencés. Plamondon accroche alors ses mots puissants et fédérateurs. Il trace ce que sera l’avenir à l’an 2000, sans rien cacher, sans rien omettre : le pouvoir centralisé, les mégalopoles inhumaines, l’univers du citoyen anonyme, la quête de la célébrité… Autant de sujets qui produisent leurs effets sur l’auditeur en lui faisant oublier le présent et redouter l’avenir. Cette œuvre, rédigée comme une science-fiction à l’époque de sa création, deviendra au fil du temps la déclaration d’une étonnante prophétie.

Pour les deux auteurs, la détermination de porter le projet jusqu’au bout ne fait aucun doute, même si Plamondon a bien du mal à imaginer un opéra-rock s’imposer en France et encore plus en dehors de l’hexagone. Berger, au contraire, pense que l’opéra-rock en langue française possède des atouts qui lui sont propres, que l'opéra-rock est en mesure d’offrir au public un spectacle au ton singulier, original, que c’est une force tournée vers l’avenir.


LA RENCONTRE BERGER/PLAMONDON

Michel Berger en rêvait de cet opéra-rock, depuis que sa carrière s’était enfin envolée avec Écoute la musique (1974) et des titres écrits pour Françoise Hardy (Message personnel - 1973) ou à destination de sa future femme France Gall (La déclaration d’amour - 1974). Tout comme Claude François, l’ancien directeur artistique de Véronique Sanson regardait du côté des États-Unis, vers cet eldorado dans lequel chaque projet se construit rarement sur des rêves chimériques. La destinée de Starmania va démarrer de là-bas, avec France Gall…

Une ébauche naît : Angelina (1974), une chanson chantée en duo avec France basée sur un fait divers, un kidnapping qui s’est déroulé aux États-Unis, l’affaire 'Patricia Hearst'. Devenu un opéra-rock, le projet est finalement abandonné, mais renforce la détermination de Berger à poursuivre.

La rencontre avec l’auteur canadien Luc Plamondon se produit à la fin de l’année 1975. Les deux hommes ne se connaissent pas. Le premier contact pris à l’initiative de Berger est informel, mais son culot, ses propos, finissent par convaincre l’auteur des textes des chansons de Diane Dufresne de faire sa connaissance, et ainsi de découvrir son univers musical.

Berger est visiblement sensible à l’écriture de Plamondon. Les thèmes utilisés, la tournure des phrases, éveillent en Berger un désir de collaboration. Les deux hommes, qui se rencontrent à Paris au début de l’année 1976, deviennent amis et envisage l’ébauche d’un opéra-rock. Ce futur scénario allait produire Starmania. Un premier titre est écrit, Le monde est stone, puis un autre...

Un même désir, une même vision rapprochent Berger et Plamondon. Cette symbiose magique permet aux principaux personnages de Starmania de prendre vie. Trop en rapport avec l’actualité, l’affaire 'Patricia Hearst' n’est plus qu’un lointain souvenir, d’autant que Plamondon possède cette autre vision, plus universelle, un sens de l’observation qui s’accroche à démontrer que notre futur s’inscrira dans une opposition entre humanisme et capitalisme, terrorisme et démocratie.

De l’ouverture jusqu’au final, plus de 50 titres seront écrits en vue du spectacle (la version discographique n’en retiendra que 16) ; le fruit de deux ans de collaboration intense avec de nombreux aller-retours entre la France et le Canada.


LA 'PROMOTION STARMANIA'

Starmania n’est même pas officialisé sur scène que déjà le parcours du combattant commence. La promotion de l’opéra-rock passe par les radios, mais aussi par la télévision qui, encore à cette époque, est le média le plus puissant. En octobre 1978, Michel Berger et Luc Plamondon essayent de défendre leur projet en adoptant une attitude décontractée. Comme un film ou une pièce de théâtre, la présentation d’un tel spectacle part d’une histoire dont il faut expliquer les intentions. Ce que les gens ignorent, c’est que, même si le disque vient de sortir, le spectacle est encore loin de voir le jour...

En 1978, juste un an après La fièvre du samedi soir, la musique disco tient les rênes du pouvoir. Or, les chansons de Starmania, tant par la musique que par les textes, en sont bien éloignées. Après Tommy des Who en 1969 ou le film de Brian de Palma, Phantom of Paradise en 1974, pour le public français, l’opéra-rock ne répond pas vraiment aux codes en vigueur. Fort heureusement pour Berger, la maison de disque ‘Warner France’ lui fait confiance. Entre elle et lui, c’est déjà une vieille histoire qui remonte à 1971, à l’époque où Berger était encore directeur artistique.

La prise de risque est certaine, car Berger et Plamondon font appel à des artistes encore inconnus, Daniel Balavoine ou Claude Dubois et Fabienne Thibeault, seulement connus du public québécois. Pourtant, rien ne sera remis en question, même si le suprême impératif est de vendre un maximum de disques avant que le spectacle ait lieu sur scène.

Deux mois après sa mise en vente, le disque n’arrive pas à se vendre. C’est un flop ! La critique, une fois de plus, montre ses limites à porter un jugement objectif.

Une ultime chance se présente en décembre 1978. Marie-France Brière, alors animatrice d’émissions de variétés, offre à Berger et Plamondon une émission d’une heure en ‘prime time’ consacrée uniquement à leur opéra-rock. Tout a été mis en œuvre pour que les téléspectateurs assistent à l’émission autrement qu’en écoutant de vagues extraits. Le fil conducteur, la trame de l’histoire sont ainsi respectés et expliqués dans ses grandes lignes. Musiciens et interprètes se sont donnés rendez-vous pour donner le meilleur d’eux-mêmes.

Le lendemain de l’émission, la réussite semble totale, inespérée. Le titre Les uns contre les autres devient même la chanson fétiche, encourageant ouvertement la vente de l’album. Les 100 000 exemplaires sont atteints seulement un mois après l’émission, ce qui conduira l’album à devenir double disque d’or. Celui-ci sera même l’une des 10 meilleures ventes francophones de tous les temps (ce que viendront attester les 5 millions de spectateurs à travers le monde qui se déplaceront pour voir les différentes versions du spectacle).


STARMANIA : "LES UNS CONTRE LES AUTRES" (Fabienne Thibeault)

STARMANIA SUR SCÈNE, L’OPÉRA-ROCK DU « MAL DE VIVRE »

Une première série de spectacles est prévue pour le printemps. En janvier 1979, les techniciens, les musiciens et chanteurs entrent en répétition. Ils ont trois mois pour tout mettre au point. De leur côté, Berger et Plamondon s’activent, car ils n’ont pas encore tout écrit. Pourtant, comme par magie, toutes les difficultés s’effondrent les unes après les autres en étant transportées par ce désir commun de réussite.

Les chansons Les uns contre les autres, Quand on arrive en ville, Le blues du businessman précède le spectacle de leur succès discographique. Tout le milieu du spectacle, la presse également, évoquent Starmania comme l’événement de l’année.

Le 10 avril 1979, la première de Starmania a lieu à Paris. Le public assiste à un spectacle réunissant sur scène une troupe de danseurs, des musiciens, des choristes et quelques artistes complices : France Gall, Daniel Balavoine, Fabienne Thibault, le comédien Étienne Chicot… La distribution compte également dans ses rangs Nanette Workman, la célèbre choriste de John Lennon et d’Elton John, sans oublier à la mise en scène l’Américain Tom O’Horgan qui participa à Hair et à Jésus-Christ superstar.

L’opéra-rock Starmania est désormais en ordre de marche, condamné à réussir son pari… Or, après la première, le spectacle ne fait pas l’unanimité. La presse est divisée, malgré l’évidente preuve que le désir de ses auteurs est d’avoir anticipé les critiques en proposant ce qui se fait de mieux pour l’époque : laser, scène inclinée, écrans géants et une mise en scène « à l’américaine ». Seul le public est satisfait par la performance du spectacle et le 3 mai 1979, la série de représentations s’achève avec le sens du devoir accompli. Pour Berger et Plamondon, il est temps de réaliser ce que sera l’avenir. Starmania donne en effet la cadence au temps qui passe.

L’année suivante, le spectacle est renouvelé pour se produire au Québec. Il fait appel alors appel à une nouvelle troupe avec des musiciens et des interprètes québécois ; la mise en scène étant assurée par Oliver Reichenbach. Le succès est là aussi, au rendez-vous, ouvrant une voie triomphale à ses auteurs.


L’AVENTURE QUI TOURNE COURT

Toucher le public anglo-saxon est pour de nombreux artistes français une sorte de Graal. Michel Berger y pense bien évidemment. En 1980, le succès rencontré par la chanson Donner pour donner interprétée par Elton John et France Gall, Il jouait du piano debout ou encore à travers ses succès personnels : La groupie du pianiste, Quelques mots d’amour et Mademoiselle Chang, lui apporte une certaine assurance pour passer à l’offensive.

En 1982, l’artiste cherche alors à imposer sa musique, ses chansons aux États-Unis. L’album Dreams in Stone (sorte de 'Starmania bis') est une première tentative. Enregistré en compagnie de quelques pointures américaines (les membres de Toto), Berger se heurte à des problèmes de contrat lors de sa sortie, ce qui condamne le disque avant même qu’il ait prouvé ses qualités. C’est également la preuve que de l'autre côté de l’atlantique, le protectionnisme joue son rôle à fond (Michel Polnareff le vivra également).

De son côté, Luc Plamondon récolte les lauriers de son association avec Julien Clerc (Quand je joue, Cœur de rocker) et Catherine Lara (Au milieu de nulle part, Nuit magique), tout en continuant de travailler au Québec avec Diane Dufresne et Robert Charlebois. Là-bas, l’aventure de Starmania se poursuit et rafle au passage quelques prix dont celui du ‘Prix de l’album rock de l’année 1981’ au Gala de L’ADISQ, cérémonie équivalente aux ‘Victoires de la musique’ en France.


LE RETOUR DE STARMANIA

Dix ans après son succès parisien, Starmania revient au devant de la scène dans une version remaniée par ses créateurs en personne : mise en scène, musique…

Nous sommes en 1988. Daniel Balavoine nous a quittés deux ans auparavant. Le rôle qui contribua à le faire connaître (Johnny Rockfort) revient à un certain Norman Groulx dont la tâche difficile sera de faire oublier le chanteur disparu. À ses côtés, une même génération de chanteur plus ou moins connue : Maurane, Sabrina Lory, Martine St-Clair, Luc Laffite…

L’opéra-rock Starmania, loin d’être dépassé par les mutations des paysages citadins et des mœurs, continue au contraire de s’affirmer comme une œuvre d’anticipation. Les phrases écologiques, la multiplication des chaînes privées, les actes terroristes, le désir d’exister à tout prix, sont autant de témoignages en prise avec la réalité et qui démontrent que Starmania, à la grande surprise de ses créateurs, n’est pas un spectacle musical comme les autres.

Au début de l’année 1989, l’aventure se poursuit toujours au théâtre de Paris. Des interprètes disparaissent tandis que d’autres font leur apparition avec toujours comme dénominateur commun celui de chanter avec talent : Rélane Perry, Renaud Hantson, Nathalie Lhermitte, Michel Pascal… Une tournée suivra en 1990 à travers toute la France pour s’achever au Zénith de Paris dans une salle archicomble. Puis le spectacle se produira en Russie, d’abord à Moscou, ensuite à Saint-Pétersbourg (ex Leningrad).


STARMANIA ET SA VERSION EN LANGUE ANGLAISE

En 1990, alors que Berger et Plamondon s’efforce de terminer leur second opéra-rock, La légende de Jimmy, le secret espoir de voir Starmania en langue anglaise leur semble acquit depuis que le parolier Tim Rice a consenti d’adapter les textes des chansons. Baptisé Tycoon, l'opéra-rock verra quelques titres diffusés sur des médias américains. Les spectateurs retiendront surtout cet épisode réunissant Michel Berger et Kim Wilde interprétant le titre Les uns contre les autres devenu You have to learn to live alone.


CYNDI LAUPER : THE WORLD IS STONE

De retour en France, alors que le jeune compositeur s’apprête à faire la promotion de la chanson Paradis Blanc, l’opéra-rock Starmania, retravaillé par Tim Rice, touche à sa fin. Toutes les chansons sont prêtes et il faut réunir des interprètes qui puissent incarner l’esprit originel, tout en y apportant la touche anglo-saxonne.

Le sens du spectacle, si cher aux américains, ne déjoue pas les pronostics. La distribution est prestigieuse et comprend les artistes suivants : Tom Jones, la chanteuse québécoise Céline Dion, Willy DeVille, la chanteuse allemande Nina Hagen, Peter Kingsburry (de Cock Robin) ou encore Cyndi Lauper et Ronnie Spector. Que du beau monde !

De la version anglaise de Starmania, on relèvera le titre The world is stone (Le monde est stone), chantée par Cindy Lauper – qui témoigne, comme dans la version française, d’une rage et d’une prophétie restées intactes.


LA FIN D’UNE HISTOIRE

Pour arriver à cet exploit, entre tractations et déplacements, Michel Berger s’est épuisé. Il l’est d’autant plus qu’il travaille aussi sur un album en compagnie de France Gall. Cette énergie qu’il déploie, légitime, est très usante. Personne alors ne se doute encore des conséquences… Quelques semaines après la sortie discographique de Tycoon et de Double Jeu, l’album en duo avec France Gall, Michel Berger est victime d’une crise cardiaque et décède un jour d’été, après un match de tennis, le 2 août 1992.

Après la disparition de Michel Berger, Starmania continue de vivre durant 8 ans (de 1993 à 2001) à travers une troisième version, encore plus intemporelle et onirique, signée par le Canadien Lewis Furey. Puis, comme une œuvre immortelle, l'opéra-rock connaîtra une version symphonique pour son 25e anniversaire (Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Jacques Lacombe – 2004).

Michel Berger, à qui le public est finalement redevable de l’éclosion d’un nombre important de comédies musicales en France, à partir du milieu des années 90 (1), n’aura pas eu la chance d’assister à ce qui avait animé une grande partie de sa carrière. Une étrange destinée pour cet artiste talentueux d’une grande gentillesse et amabilité qui ne reçu de son vivant aucun prix, aucune récompense de renom (ni même après). Sa seule consolation aura été de faire entrer dans la légende l’un des meilleurs opéras-rock de langue française. Un phénomène unique à plus d’un titre, et toujours émouvant quand l’envie vous prend de l’écouter.

1 - La comédie musicale Notre-Dame de Paris, écrite par Richard Cocciante et Luc Plamondon, sera la première à provoquer une vague déferlante de projets.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 11/2018)

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