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SUPRÊME NTM, L'HISTOIRE D'UN GROUPE DE RAP PAS ORDINAIRE

NTM, le groupe a l’acronyme sulfureux et animé par Joey Starr et Kool Shen prend place dans le paysage musical du rap français au début des années 90. L’époque est marquée par les émeutes de banlieue, les manifestations contre le CIP ou encore par les premières élections d’élus du Front National. Leur chronique de la société est une charge contestataire aux textes subversifs et incisifs. NTM prône la naissance d’une contre culture hip-hop devenue le baromètre d’une violence répondant à une société en tension. Leurs textes vont devenir les haut-parleurs de toute une génération...


LE « GHETTO » DES BANLIEUES

À la fin des années 80, une mode se répand sur les murs des grandes villes, les tags. Cet art de la rue, alors contesté et perçu comme une dégradation violente des façades, alimente tous les commentaires. Parmi les tags, un acronyme fleuri un peu partout en Seine-Saint-Denis  : « 93 NTM », signé de leurs auteurs Kool Shen et Joey Starr.

Les deux taggueurs venus d’un milieu défavorisé revendiquent leurs origines banlieusardes du département 93, mais un soir dans le métro, leur rencontre avec Johnny Go va changer le cours de leur vie… L’un des premiers rappeurs français les prend à partie et leur signifie que pour être respecté dans le milieu du hip-hop, il ne suffit plus de tagguer, il faut savoir rapper ! Le soir même, Shen et Starr alimentent leur première page blanche de quelques lignes. « On a écrit notre premier texte dans la cuisine de mon père pour leur montrer que l’on pouvait le faire, nous aussi. », raconte Joey Starr.

Pour Shen et Starr, la cause est entendue depuis longtemps. Leurs textes sont devenus prophétiques depuis ce fameux soir d’octobre 90 quand, suite au décès dramatique d’un passager à moto heurté par une voiture de police, les forces de l'ordre tenteront de contenir des émeutiers à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise. C’est la première fois que cette cité est le théâtre de tant de violences. Les habitants sont choqués, des voitures ont brûlé et le mot « ghetto » se répand chez les jeunes du quartier.

Pochette de l'album Authentik (1991)

Depuis maintenant 30 ans, ce genre d’histoire continu d’alimenter de temps en temps les faits divers, avec toujours cette même question qui vire à la rumeur : Les policiers ont-ils intentionnellement provoqué l’accident ? Alors tout s’embrase, sans autre réponse, sans autre solution. L’affrontement est inévitable.

Face à une population discriminée, la jeunesse est stigmatisée par un besoin féroce de changement de mode de vie. Les émeutes de Vaulx-en-Velin ne sont que les premières d’une longue série qui comptera par la suite d'autres tableaux incendiaires : les cités de Sartrouville, du Val Fourée, de Mantes-la-Jolie, puis quelques années plus tard Les Tarterêts en Essonne.

Le groupe NTM avait pressenti ces révoltes urbaines. Leur premier titre écrit quelques mois avant ces événements avait des accents prophétiques : « C’est que depuis trop longtemps des gens tournent le dos aux problèmes cruciaux, aux problèmes sociaux qui asphyxient la jeunesse qui réside aux abords, au Sud, à l’Est, à l’Ouest, au Nord. Ne vous étonnez pas si quotidiennement l’expansion de la violence est telle, car certains se sentent seulement concernés lorsque leurs proches se font assassiner. Est-ce ceci la ‘Liberté, Égalité, Fraternité’ ? » (Authentik – 1991).


NTM : LA FIÈVRE

NTM trouve les mots dans lesquels les « banlieusards » se reconnaissent, dans cette discrimination que les autorités refusent de voir. Ces laissés pour compte ont leur raison d’espérer quand les phrases sonnent justes : « Quelle chance d’habiter la France. Dommage que tant de gens fassent preuve d’incompétence. Dans l’insouciance générale, les fléaux s’installent, normal. Dans mon quartier la violence devient un acte trop banal, alors va faire un tour dans les banlieues. Regarde ta jeunesse dans les yeux, toi qui commandes en haut-lieu.  » lance ironiquement NTM (Le monde de demain).

Ce titre-là est un diagnostic pertinent qui deviendra rapidement un hymne auprès des jeunes de banlieue. Le message est si prémonitoire et si précis que sa réponse court encore de nos jours plus de trente ans après, avec à sa remorque son lot de problèmes sociaux et de mise à l’écart.


LE HIP-HOP, SOURCE D’INSPIRATION

Il faut aussi reconnaître que les membres de NTM ont de quoi trouver de l’inspiration étant eux-mêmes de la banlieue rouge de Saint-Denis, la capitale du 93. Grandissant dans la cité Salvador Allende, ils prennent pour habitude de se retrouver aux pieds de ses tours. Au début des années 80, une nouvelle mode d'expression et un nouveau son venus des États-Unis arrivent à leurs oreilles : le Hip-Hop. Bruno Lopez devient alors Cool Shen et Didier Morville, Joey Starr. Le socle de NTM vient de naître.

Avec une bande de copains de la cité, ils rappent, dansent , font des graffitis et se font appeler les « 93 NTM » ; le 93, un numéro d’un département qu’ils revendiquent. Quant au reste, c’est dans la provocation que l’histoire du groupe va se forger une existence. L’acronyme NTM pour « Nique Ta Mère » n'est-il pas à lui seul une bonne façon de se faire remarquer ? « C’est une expression que l’on utilise tous les jours et qui peut être l’équivalent de ‘Zut’ ou ‘Merde’. Mais il y a des gens qui le prennent au premier degré et c’est regrettable. » (Joey Starr – 1991).

Bien avant que le rap ne s’impose en France, les tags seront les premiers signes avant-coureur de la provocation. Ceux qui feront ça ne sont pas des révolutionnaires, mais des rebelles qui demande justice et équité. Le lieu de résidence, les origines, pourquoi cela ? Pourquoi ce prix ? Les tags ne sont-ils pas une façon de dire « J’existe ». Plus tard, ces inscriptions peintes la nuit sur les murs et les wagons de la SNCF seront vraiment reconnus comme l'une des expressions artistiques majeures à l'origine du mouvement hip-hop. Les graffitis formeront avec la musique rap un couple indissociable, un exutoire représentatif de l’identité culturelle des banlieues.


NTM : LE MONDE DE DEMAIN

Les membres de NTM vivent à l’intérieur de ce monde parallèle, de cette culture hip-hop qu’ils ont intégré et dont ils font partie. Et si leur histoire commence avec des graffitis, ce sera la musique et leurs textes qui leur permettront de marquer leur époque. Joey et Kool sont complémentaires. Joey a ce côté animal, instinctif, qui apporte de sa voix toute la détermination des messages, tandis que Kool est quelqu'un qui incarne la maîtrise et l'acte calculateur. Sans cette addition, NTM n’aurait pas été ce qu’il a été.

En octobre 90, le rap écrit à quatre mains par NTM attire l’attention du journaliste Olivier Cachin. Celui-ci les invite dans son émission musicale ‘Rapline’ pour tourner le clip de leur nouveau morceau. Du clip, se dégage une énergie positive. « Sans détour aucun, je vais et viens, car le défi est lancé. À tous ceux qui pensent dominer leurs frères, les empêchant, oui encore, de lever la tête, donc en trois lettres, je dis "non". » (Le pouvoir).

En 1990, le rap n’est pas encore bien implanté en France auprès des maisons de disques, mais comme il existe une demande, les directeurs artistiques - qui sur le fond ont grandi en écoutant du rock - finissent par s’incliner en imaginant le rap comme une musique sans lendemain. Alors, tout en bousculant les codes en vigueur, NTM signe des contrats avec l’intention de faire connaître leur envie comme leur espoir. Finalement, dira-t-on, le rock n’est plus et le rap est le reflet des musiques actuelles.

À la sortie de leur premier album, NTM franchit un cap en devenant des précurseurs, au point que l’animateur Michel Denisot leur consacre une émission grand public sur Canal plus ('Mon zénith à moi' en mai 1991). Cet exemple frappant démontre alors que NTM, emporté par le succès, devient aussi le porte-voix d’une certaine jeunesse.


NTM  : ON EST ENCORE LÀ

PARLER À LA JEUNESSE

Après la défaite de la gauche aux législatives en 1993, une cohabitation se met en place. François Mitterrand nomme Édouard Balladur Premier ministre. Sa première préoccupation est alors le chômage des jeunes qui dépasse par endroits les 20 %. Balladur lance alors la réforme du CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) qui doit faciliter l’intégration dans le monde du travail, avec la mise en place d’un CCD pour les moins de 26 ans rémunéré à 80 % du SMIC. La réaction dans la rue ne se fait pas attendre et, au bout de quelques semaines, le gouvernement renonce à poursuivre.

Le CIP soulève la question de l’avenir de la jeunesse ; une situation qui aujourd’hui est encore d’actualité et qui le sera à coup sûr demain et après-demain. « Laisser à l’abandon une partie des jeunes de la nation ne sera pour la France qu’une nouvelle amputation, car quand la faute est faite, la fête est finie. Fini de rire, pire, j’ai peur pour l’avenir. Mais toi, qu’as-tu à dire pour contredire mes dires ? » chante alors NTM dans Qui paiera les dégâts ? NTM touche ici au message politique et c’est là aussi une des grandes forces de ce groupe de rap français. NTM disait avec leurs mots critiques, mais dans un esprit artistique, ce que socialement une partie de la jeunesse vivait.

Dans ces années chaotiques, NTM incarne aussi le choc des cultures en incarnant la voix des banlieues. L’arrivée de Jacques Chirac à la présidence en 95, sans compter le score historique du front national au premier tour, n’a rien d’enthousiasmant ni de rassurant ! « On est chez nous » clameront alors les partisans de Jean-Marie Le Pen.

Pochette de l'album Suprême NTM (1998)

Anti FN dans le sang, NTM ne manquera aucune occasion de faire résonner leurs slogans avec un ton très personnel et une conviction à toute épreuve. Les concerts seront des occasions rêvées pour transmettre leurs paroles vitriolées et mettant « le feu » dans le public venu les écouter. « Les années passent, pourtant tout est toujours à sa place. Plus de bitume, donc encore moins d’espace vital et nécessaire à l’équilibre de l’homme. Non, personne n’est séquestré, mais c’est tout comme. C’est comme nous dire que la France avance alors qu’elle pense par la répression stopper net la délinquance. » (Qu’est-ce qu’on attend – 1995).

Mais si NTM critique, conspue, ce n’est évidemment pas du goût de tout le monde, et en premier lieu du goût de la police et de la justice qui se sentent personnellement visées et attaquées par le groupe de rap. « Police, machine matrice d’écervelés mandatés par la justice sur laquelle je pisse. » (Police – 1993). La police se sent visée, pas seulement pour ces propos, mais aussi pour ceux que tiendra le groupe sur scène. La haine anti-flic a un prix, surtout quand la provocation est gratuite et qu’elle est source de division. La police ira jusqu’à porter plainte pour outrage suite à un concert donné dans le Var et NTM écopera de 6 mois de prison dont 3 mois ferme avec 6 mois d’interdiction de concert (en appel, à Orange, le jugement de la peine sera réduit à 2 mois de sursis et 50 000 Fr d’amende).

Ce jugement ne sera pas sans conséquence sur la carrière du groupe. En effet, leur maison de disques s’inquiète de la tournure des événements. Après le jugement, le groupe restera un long moment muet. En novembre 1996, sur le plateau de l’émission ‘Le monde de Léa’ sur TF1, NTM est invité pour s’en expliquer et répond aux questions sur un ton courtois, comme une leçon apprise malgré les attaques portées à leur encontre. Tout l’inverse de la tonalité prise par le groupe quand il se produit sur scène.

En réalité, NTM est remonté dans leur conviction par cette attaque des institutions, et sur scène le ton est donné : « Deux mois de sursis et cinq barres d’amende, on est condamné pour être là après tant d’années pour les avoir tant tannés instantanément, de façon spontanée. On en paye le prix aujourd’hui mon gars. Mais ce n’est pas un hasard, ça correspond au climat bizarre, à l’odeur étrange qui émane du côté d’Orange.  » (On est encore là – 1998).


NTM : LAISSE PAS TRAÎNER TON FILS

LA FIN DE L’HISTOIRE

Après cet épisode tourmenté, le groupe s’enferme pendant un an dans un studio pour sortir ce qui sera leur ultime album. Musicalement, ce que produit NTM ne sonne plus exactement de la même manière que par le passé. C’est l’album de la désillusion, du désenchantement. « Que voulais-tu que ton fils apprenne dans la rue ? Quelles vertus croyais-tu qu’on y enseigne ? T’as pas vu comment ça pue dehors, comment ça sent la mort ? Quand tu respires ça mec , t’es comme mort-né. Tu finis borné à force de tourner en rond. » (Laisse pas traîner ton fils – 1998).

Les membres de NTM se positionnent alors en adulte responsable, en père qu’ils seront peut-être demain. L’âge avançant, de nouvelles certitudes prennent places et, après 15 ans de combat, les rebelles idéalistes qui comptaient mettre le feu finissent par poser les armes. Une façon de nous dire adieu. L’album Suprème NTM sera un succès et se vendra à plus d’un million d’exemplaires. En 1999, après une longue tournée, le groupe épuisé a rendez-vous avec leur manager avec le désir profond de passer à autre chose.

C’est un cri de jeunesse qui prend fin. NTM s’est arrêté au sommet de leur notoriété en ayant assumé leur réussite comme leurs erreurs. On peut tous changer. Si Kool Shen est devenu joueur professionnel de poker et Joey Starr un acteur de cinéma, ils ont tous deux continué la musique, mais cette fois séparément.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 08/2020)

DISCOGRAPHIE STUDIO ET LIVE

  • 1991 : Authentik
  • 1993 : 1993... J'appuie sur la gâchette
  • 1995 : Paris sous les bombes
  • 1998 : Suprême NTM
  • 2000 : NTM Live... du Monde de demain à Pose ton gun
  • 2009 : On est encore là : Bercy 2008

SUPRÊME NTM C'EST AUSSI...

Les choristes Zeedya, Yazid et Mr Kast ; Franck Loyer (DJ Concepteur Detonateur S alias DJ S) : il participe aux deux premiers albums Authentik et 1993... J'appuie sur la gâchette ; les anciens membres du groupe Assassin : DJ Clyde, Rockin' Squat et Solo ainsi que de nombreux DJ's dont James, Max, Naughty et Spank.

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