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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

BIOGRAPHIE/PORTRAIT DU COMPOSITEUR RUSSE TCHAÏKOVSKI

Artiste hypersensible et quelque peu névrosé, le compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski a eu une carrière extrêmement féconde accompagnée d'une existence assez déconcertante. En Russie, les musiciens qui, logiquement, devaient être ses adversaires les plus déclarés de son esthétique, auront pour lui une admiration sans bornes.


ENFANCE ET PREMIÈRES ŒUVRES

Né en 1840 dans l'Oural, d'un père ingénieur des Mines, directeur d'une usine de métallurgie, et d'une mère d'origine française, Piotr Ilitch Tchaïkovski gardera toute sa vie un profond attachement à sa famille, et en particulier à sa sœur Alexandra dont le foyer restera son meilleur refuge dans les moments difficiles, comme à ses deux jeunes frères. Modeste et Anatole.

Tchaïkovski (portrait 1893)

Ses études à l'École de droit de Saint-Pétersbourg le conduisent tout naturellement à une brillante carrière mondaine. Pourtant, en 1863, Tchaïkovski abandonne son poste au ministère de la Justice pour se consacrer entièrement à la musique. D'élève, il devient vite professeur en 1866 au Conservatoire de Moscou où il enseigne la composition. C'est l'époque de sa Première Symphonie à laquelle le déroulement dramatique des mouvements donne le caractère d'un poème symphonique.

À 27 ans, Tchaïkovski découvre Berlioz au cours d'une tournée triomphale du musicien français en Russie, compositeur pour lequel il est redevable à beaucoup d'égards, notamment dans l'écriture de l'une de ses dernières œuvres, Manfred. L’année suivante, en 1868, Tchaïkovski commande un livret d'opéra à Ostrovski : le Voïévode, qu'il détruira plus tard, ne conservant que la fameuse Romance du rossignol. À cette occasion, il fait ses premières armes de chef d'orchestre : expérience assez lamentable qui lui permet néanmoins d'entrer en relations avec Rimski-Korsakov et le « Groupe des Cinq », à l'égard duquel il a des sentiments très confus.

À la même époque, il forme le projet d'épouser une cantatrice, Désirée Artôt, projet contrarié par l'intéressée elle-même. Peu importe ! Tchaïkovski se remet très vite de cette déception et, encore sous le charme de son bref amour, il en profite pour composer son premier chef-d'œuvre : l’Ouverture-fantaisie de Roméo et Juliette, dans laquelle coexistent trois thèmes chers au compositeur : l'amour, la mort et le destin ; une œuvre placée sous l'influence de Liszt et même de Wagner, malgré le manque d'intérêt que Tchaïkovski manifestait pour le maître de Bayreuth. Ce Roméo et Juliette dévoile un grand symphoniste, davantage fait pour la fresque orchestrale que pour la musique lyrique ou la musique de chambre, en dépit de la réussite que représente son Premier Quatuor, opus 11.

En 1874, son premier Concerto pour piano en si bémol mineur lui apporte une certaine notoriété. Puis, une commande du Grand Théâtre de Moscou est à l'origine du ballet Le lac des cygnes, partition que Tchaïkovski traîne avec lui pendant son voyage à Paris en 1876 et qu’il termine dans l'euphorie provoquée par la découverte des œuvres de Massenet et surtout de Bizet.


'CONCERTO POUR PIANO N°1
Anna Fedorova (piano) et le Nordwestdeutsche Philharmonie dirigé par Yves Abel (14/10/2018, Royal Concertgebouw d'Amsterdam).

UN COMPOSITEUR PRISONNIER DE SES SENTIMENTS

Pyotr Tchaïkovski et son amour Valdimir Davydov

Tchaïkovski était prisonnier de sa vie sentimentale. En 1877, le compositeur se marie à une élève du conservatoire, mais cette union est très malheureuse. Alors que sa femme finira ses jours dans un asile d'aliénés, Tchaïkovski sera au bord du suicide. Le compositeur n'a jamais réussi à assumer son drame humain. Dans sa correspondance, il parle complaisamment de ses crises de larmes, ne dépassant pas, dans l'interprétation et la description de ses sentiments, la donnée immédiate et violente.

De sa vie tourmentée, on ne peut éluder les très curieuses relations du compositeur avec Mme Von Meck. Veuve d'un ingénieur des ponts et chaussées, à la tête d'une grande famille et d'une immense fortune, Mme Von Meck se passionne d'autant plus pour la musique que cet art représente pour elle un exutoire à sa crainte panique des relations affectives. Elle propose un curieux marché à Tchaïkovski, qu'elle intronise son musicien favori, lui versant une pension confortable en échange d'une correspondance quotidienne, évitant surtout de rencontrer le compositeur.

Cet amour platonique et fabriqué de toutes pièces va durer quatorze ans (de 1876 à 1890) au terme desquels Mme Von Meck en interrompt brusquement le commerce, ayant sans doute été informée par de mauvaises langues des « amitiés particulières » de son protégé (Tchaïkovski vivait son homosexualité dans la honte, jusqu'à la névrose). Le compositeur ressentira cet abandon comme une trahison, non pas tant pour avoir perdu son amie, mais pour avoir mesuré la frivolité de l'amour que Mme Von Meck prétendait vouer à sa musique.


'CASSE-NOISETTE' (extraits)
1. Danse russe (Trépak) 2. Danse chinoise 3. Danse des mirlitons. Enregistré à la Salle Philharmonique de Liège, le 24 novembre 2016. Orchestre Philharmonique Royal de Liège sous la direction de Christian Arming.

DES ŒUVRES À SUCCÈS

L'œuvre de Tchaïkovski provoque les réactions les plus contradictoires, l’engouement des uns s’opposant au dédain des autres. Pour les premiers, Tchaïkovski représente le musicien slave le plus authentique, digne successeur des romantiques ; pour les seconds, il n’est qu’un « pleurnicheur », traître à l'âme russe, dont l'œuvre est étayée par un bagage culturel occidental.

Une telle opinion a toujours scandalisé des Russes aussi peu suspects de conformisme que Serge de Diaghilev ou Igor Stravinsky pour qui Tchaïkovski est un maître très supérieur à tous ses rivaux, ce qui tendrait à prouver que sa musique renferme des éléments secrets de slavisme qui échappent aux Européens. Certes, Tchaïkovski utilise des éléments du folklore russe - « Je suis russe, russe, russe jusqu’à la moelle des os ! » disait-il, contrairement à Moussorgski qui refusait les structures consacrées par l'enseignement traditionnel.

La musique de Tchaïkovski est d’un constant paradoxe sur le plan du style : à côté d'œuvres bien menées, il en est d'autres qui frôlent la légèreté pour ne pas dire la vulgarité. Ceci est sans doute le reflet d’une personnalité somme toute assez ordinaire, mais pourvue de très grands dons pour la musique.

Son œuvre entière tourne autour d'un grand thème, celui du fatum (le destin), grand thème rétréci à la mesure d'un esprit moyen dont le malheur ne peut être que matériel et tangible : pas de grandes aspirations vers un humanisme supérieur. Ce que cherchait Tchaïkovski, c'était la tranquillité terrestre d'un bonheur bourgeois. « Regretter le passé, espérer en l'avenir, n'être jamais satisfait du présent — voilà toute ma vie. » proclamait-il.

En 1880, Tchaïkovski a 40 ans et c’est pour lui l'âge de la consécration. Le compositeur est considéré comme le « musicien national ». Il partage dorénavant son temps entre la composition musicale, de nombreux voyages (jusqu'aux États-Unis en 1891), et une petite propriété qu'il vient d'acquérir à la campagne.

En 1884, Balakirev l'incite à composer une œuvre d'après le drame Manfred de Lord Byron. Cela devient une symphonie en quatre mouvements cimentés par une phrase tragique qui tient lieu de leitmotiv et représente le héros. Cette fois-ci, et sur les instances de Balakirev, Tchaïkovski se montre plus exigeant envers lui-même, renonçant à son fameux romantisme distingué. Manfred est sa plus belle réussite symphonique.


'LE LAC DES CYGNES'
Orchestre Philarmonique de Strasbourg dirigé par Marko Letonja. Filmé au Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg en 2019.

À l’étranger, son succès est éclatant. Ses ballets, ingénieusement rythmés, admirablement écrits pour la danse, bénéficient des merveilleuses orchestrations dont Tchaïkovski a le secret. Ils sont à la base de tout spectacle chorégraphique.

Jusqu'à sa mort, provoquée par une épidémie de choléra en 1893 - même si l'hypothèse d'un suicide sera envisagée -, Tchaïkovski composera sans relâche, à commencer par son éblouissant Casse-Noisette (d'après un conte d'Hoffmann), dans lequel il fait des prouesses d'instrumentation et emploie notamment le célesta pour la première fois en Russie. Son touchant et nostalgique Lac des Cygnes et sa Belle au Bois dormant ne quitteront jamais longtemps l'affiche. C'est l'époque également où il compose ses dernières symphonies dans lesquelles il adopte toujours la même évolution dramatique, figurant la lutte de l'homme contre son destin.

Ses opéras n'ont pas encore pu s'acclimater en France, alors qu'ils sont joués dans toutes les grandes capitales d'Europe et d'Amérique. Son meilleur, Eugène Onéguine, mais aussi La Dame de Pique, sans compter Le Forgeron Wacula, la Sorcière, Mazeppa, la Vierge d'Orléans ou Yolanthe contiennent des pages remarquables et des situations dramatiques traitées avec beaucoup d'émotion. Toute la musique de Tchaïkovski est sensible, même lorsqu'elle adopte des formes abstraites comme ses sept Symphonies, ses six Suites d'orchestre, ses Ouvertures, ses Fantaisies et ses Concertos pour piano.

Sa musique de chambre présente les mêmes caractères. Ses trois quatuors à cordes, son trio pour cordes et piano, ses pièces pour violon se rattachent presque toujours à un sentiment, un souvenir ou une pensée. Certains portent des titres significatifs : Souvenir d'un lieu cher, À la mémoire d'un grand artiste, Souvenirs de Florence, attestant ainsi sa préoccupation constante d'enfermer des éléments concrets dans des cadres abstraits. Des chœurs, des cantates, des quatuors vocaux et des mélodies révèlent les dons un peu disparates mais indiscutables d'un musicien qui tiendra dans l'histoire de son temps une place de premier plan.

Par L. Reverdy (Cadence Info - 12/2020)

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