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VANGELIS, LE MAGICIEN DES SONS - INTERVIEW 'MUSIQUE AU CŒUR'

L’émission ‘Musiques au cœur’, animée par Eve Ruggieri, n’était pas seulement consacrée à la musique classique. Un soir, le programme fut entièrement dédié au compositeur grec Vangelis Papathanassiou. Nous sommes en 1992. À cette époque, le musicien est une sommité dans le monde de la musique électronique, ne lâchant pratiquement jamais ses claviers du regard, évoluant de disque en disque en fonction des avancées technologiques et des inspirations. Derrière une modestie affichée, une grande sagesse, le musicien se livre au jeu des questions/réponses sans parler la langue de bois et cela fait du bien.


PRÉSENTATION DU MUSICIEN

Musique de scène, musique de films, documentaire, œuvre ambitieuse ou de commande, le « Ravel de la musique électronique » baigne depuis sa petite enfance dans l’univers des sons. Durant le générique de l’émission, une musique planante et majestueuse, telle que l’affectionne le compositeur, impose sa signature. Vangelis est aux commandes et joue en direct dans son grand studio de Neuilly… les cloches résonnent quand la voix d’Eve Ruggieri s’élève : « Il était une fois un homme qui était la musique. Seul, dans sa maison bulle, cernée par les buildings, il créait l’univers sonore de l’an 2000. », et de poursuivre : « Au moment où l’on ressort ‘Blade Runner’, le film culte des années 80, signé Ridley Scott pour les images et Vangelis pour la musique, l’homme aux disques d’or ne croit qu’en la musique simultanément créée, jouée, enregistrée. Entouré de synthétiseurs d’usage courant, mais dont seul il connaît la clé de l’organisation, il laisse jaillir de son inspiration un monde complexe et poétique d’émotions qui mettent en scène une multitude d’instruments aux couleurs sonores infinies… Diable d’homme qui se dresse avec fougue devant un enseignement musical trop souvent castrateur et qui dénonce, non sans humour, le jargon des chiens de garde d’une certaine musique contemporaine qui élaborent longuement, dans le secret, des musiques purement cérébrales. Vangelis, c’est l’inspiration à l’état brut, c’est l’émerveillement candide de l’enfance retrouvée. »


INTERVIEW VANGELIS

LE RAPPORT AUX SONS

E. Ruggieri : qu’est-ce que c’est ce lieu, sur le toit, à Neuilly ?

Vangelis : un laboratoire… Moi qui voyais la musique toujours comme de la science, me voilà artiste… C’est drôle !

E. R. : vous m’avez dit que lorsque vous étiez enfant, vous aviez appris à identifier les objets, les êtres par la musique.

Vangelis : par les sons. Chaque personne a un son très spécifique. Pas seulement les êtres, mais les objets. Tout. Chaque objet contient sa propre vibration.

E. R. : le premier son qui est resté mémorisé par Vangelis qu’est ce-que c’est ? C’est en Grèce ?

Vangelis : peut-être le ventre de ma mère… C’est très beau d’écouter un ventre.

E. R : les premières musiques, ça ressemblait à quoi ?

Vangelis : très simple, parce que j’avais des mains très petites. (rires)

E. R : et c’était de la musique enseignée, tout de même ?

Vangelis : non, non jamais. J’avais quatre ans à cette époque… Je n’écris pas la musique. Je ne l’ai jamais écrite.

E. R. : vous me disiez aussi : « moi, à quatre, cinq ans, j’avais déjà inventé les pianos préparés ».

Vangelis : quand on utilise un instrument acoustique, avec un son très déterminé, pour pouvoir obtenir d’autres sons, il faut changer certaines choses. Donc, quand j’étais enfant, je mettais des chaînes, des clous, des billes, des punaises… C’était extraordinaire pour moi, mais ce que je ne savais pas, c’est qu’il y avait des gens qui allait le prendre tellement au sérieux. (rires)

E R. : en fait, vous échapper à toute définition technique, de comportement, vous êtes la musique. La musique vous habite.

Vangelis : c’est le son tout court. Après, je ne sais pas ce qui se passe. On ne peut pas mettre de la musique en parole. C’est très difficile… Je ne veux pas être prisonnier dans les formes ou les étiquettes de musique. Il y a des gens qui disent : il ne faut pas faire ça, et quand on fait ça, il ne faut pas, etc. Ce qui est important, ce n’est pas l’emballage, mais le contenu. Peu importe si c’est un langage de musique d’une certaine période. Aujourd’hui, je pense que l’on peut s’exprimer librement.

E. R. : et ça vient spontanément ?

Vangelis : quand on ne pense pas, on devient comme un fil, un tuyau, tout arrive. On n’est pas conscient. Je crois que quand cela se passe de cette façon, c’est beaucoup plus honnête et universel. Je ne peux pas juger ce que je fais, ce que je sais, c’est que 24 heures sur 24, je peux faire de la musique sans arrêt.


LE RAPPORT À LA MUSIQUE

© France 2 (1992)

E. R. : la vie de Vangelis, ça se passe comment ?

Vangelis : la musique. C’est tout !

E. R. : … et quand on vous en sort, cela vous embête ?

Vangelis : ce qui m’embête, c’est que, quand on fait de la musique, il faut toujours avoir une excuse, parce que faire de la musique, ça ne suffit pas toujours à caractériser ce qu’on fait ; la raison du pourquoi on a fait une musique : pour un film, un ballet, pour l’opéra… mais lorsque on fait de la musique pour de la musique, il ne se passe rien… pour les autres, car pour moi, il se passe beaucoup plus !

E. R. : vous dites : « la musique, il ne faut pas l’organiser ».

Vangelis : il faut se laisser organiser par la musique.

E. R. : mais cela va à l’encontre de toutes les théories enseignées. Vous vous rendez compte : crime de lèse-majesté !

Vangelis : y’a plein de choses que l’on dit, mais presque toutes les valeurs sont fausses, alors ! C’est pour ça que l’on est dans une impasse aujourd’hui. Mais la musique est tellement grande, importante, qu’il faut la servir, la suivre. Il faut se laisser faire, être disponible. Peu importe quel genre de musique on fait. La musique est « une ». Je vois « une musique ». Faut pas avoir peur, c’est tout ! Il y a des gens qui ont peur de la mélodie, de peur que cela soit trop sentimental, et d’autres qui ont peur d’autres choses…


VANGELIS ET LES SYNTHÉTISEURS

E. R. : alors ces claviers tout autour de vous, c’est vous qui les avez composés ? (organisés)

Vangelis : ces claviers, on peut les acheter partout. Ce sont des instruments que l’on fabrique aujourd’hui. La façon comme je les assemble est personnel.

E. R. : c’est garanti sans ordinateur…

Vangelis : je crois que l’être humain est le meilleur ordinateur pour créer ou pour être disponible. Quand le message arrive, il faut être prêt. Donc, la technique, l’intuition, pas l’analyse, mais l’organisation doit se passer visiblement. Si on a fait appel à un ordinateur, on doit faire les choses une par une. Là, devant moi, je n’ai rien d’autre que les couleurs, la palette, et je suis prêt à faire la peinture…

Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’imiter un orchestre symphonique. Que l’on joue avec un orchestre symphonique ou avec ça (les synthétiseurs), on tombe toujours sur les mêmes sons. Peu importe si c’est fabriqué par un instrument acoustique ou électronique. Ce n’est jamais exactement pareil. Vous ne pouvez pas trouver un violon qui sonne exactement comme un autre violon.

Ce qui est important, c’est l’expression, et ce qui est supérieur, c’est l’expression des instruments acoustiques. Pourquoi ? Parce qu’on peut immédiatement s’exprimer. Vous prenez dix violonistes, ils vont vous jouer le morceau de dix façons différentes. Les synthétiseurs ne sont malheureusement pas conçus comme cela, pas parce qu’il n’y a pas la technique, la technologie, parce qu’ils sont conçus pour un marché amateur, parce qu’ils ne sont pas très chers et parce que les constructeurs sont très négligents… N’empêche qu’ils font ça pour les enfants, les jeunes ; parce que ça plait à un enfant d’appuyer sur une touche, d’avoir un son tout prêt même s’il n’apprend rien.

Il y a une autre chose aussi avec ses instruments-là (les synthétiseurs), on peut aller plus loin qu’un orchestre symphonique, parce qu’ils émettent des sonorités que l’on ne peut pas reproduire avec les instruments acoustiques. J’espère demain qu’il y aura des gens qui construiront un synthétiseur qui sera un instrument très sérieux. Certains instruments acoustiques ont pris des siècles pour vraiment être perfectionnés, comme le piano a pris des siècles pour devenir un piano. Mais il n’y a pas un synthé qui soit conçu de la même manière, parce que chaque année, chaque six mois, il y en a un autre qui sort beaucoup plus compliqué, beaucoup plus stupide.


UNE IMPROVISATION DURANT L'ÉMISSION
Cet extrait est symptomatique du talent de Vangelis qui improvise ici une musique aux aspects symphoniques en utilisant seulement ses claviers. Ici pas d'ordinateur, seul l'homme entouré de ses machines accomplit cette prouesse musicale jouée en direct live.

VISION D’UNE VIE

E. R. : quand on dit Vangelis, on imagine un homme qui prend des jets, qui va des studios parisiens, des studios londoniens à ceux hollywoodiens, des grandes limousines qui l’attendent au bas des bureaux et, en fait, quand on vous regarde vivre, on a l’impression que c’est juste le contraire, que ce n’est pas vous qui courez autour du monde, mais le monde qui court autour de vous…

Vangelis : je voyage, mais quand on change de pays très très vite, je crois que l’on perd beaucoup d’énergie. J’aime toujours, même si je vais dans les hôtels ou si j’ai un appartement quelque part, avoir tous mes instruments autour de moi. De toute façon, quand je suis en train de faire de la musique, je voyage, et ce voyage va plus loin que d’aller à Los Angeles ou New York… Ce qui est important, c’est d’être prêt à le faire quand le message arrive (l’inspiration)

E. R. : j’aimerai que vous me disiez comment vous envisagez le paradis ? Une autre vie pour vous, c’est quoi ?

Vangelis : harmonie et équilibre.

E. R. : c’est une belle définition.

Vangelis : c’est tout. Tout le reste, ce sont vraiment des histoires.

E. R. : c’est une belle définition parce que, en fait, cela prouve que l’on peut l’avoir sur terre, si l’on veut.

Vangelis : évidemment qu’on peut... C’est toujours une promesse pour faire travailler, pour avoir de la culpabilité… Il est là le pari. Il peut être là… Personnellement, je peux faire du mal comme faire du bien, alors il faut sans cesse se poser la question. Et quand on rentre dans une situation de star, de vedette à succès, c’est très dangereux parce qu’on fait un autre métier. C’est-à-dire on se sert de la musique alors que l’on doit servir la musique. Donc, c’est une lutte constante où il faut garder un équilibre parfait.

Retranscription par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2018)


LES 10 ALBUMS INDISPENSABLES DE VANGELIS

Si vous connaisez mal l'univers artistique de Vangelis, il est temps de réparer cela ! Voici une sélection discographique très « open » issue de sa carrière solo.

  • L'apocalypse des animaux (1972 - documentaire)
  • China (1979)
  • Les chariots de feu (1981 - musique de film)
  • The friends of Mr. Cairo (1981 - avec Jon Anderson)
  • Blade Runner (1982 - musique de film)
  • Rapsodies (1986 - avec Irène Papas)
  • 1492 : Christophe Colomb (1992 - musique de film)
  • Oceanic (1996)
  • Mythodea (2001 - musique pour la mission de la NASA)
  • Rosetta (2016 - version studio - compositions célébrant la mission Rosetta)

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