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MUSIQUE & SOCIÉTÉ.


WOODSTOCK ET ALTAMONT, GLOIRE ET DÉCHÉANCE DU MOUVEMENT HIPPIE

Pour la jeunesse des années 60, la musique a certainement été l'élément le plus représentatif de l'univers pop. Ayant pour principale fonction de divertir, l'industrie du disque avait créé divers objets de consommation afin d’attirer une clientèle la plus large possible. Les films réalisés à l’occasion des concerts et festivals pop : Woodstock, Gimme Shelter (Altamont), Monterrey pop, etc., aidèrent à la bonne marche du commerce tout en offrant aux historiens, matière à disserter...


LE POURQUOI DES GRANDS FESTIVALS POP

Dans les années 60, la musique pop, parce qu'elle récuse la commercialisation qui lui apparaît comme le fruit d'une société de consommation, est considérée comme l'une des principales manifestations de la protestation « contre-culturelle ». En 1964, Joan Baez, pendant les sittings pour la liberté d'expression, chantera en public We Shall Overcome (Nous vaincrons). Mais la décennie soixante sera surtout celle des drogues qui vont se répandre dans la jeunesse à un rythme inquiétant. Timothy Leary, alors professeur de Harvard, redécouvre le L.S.D. et en prêche l'usage à ses étudiants en ventant les bienfaits thérapeutiques et spirituels (non sans imprudence puisqu'il sera condamné à plusieurs reprises à de la prison).

Les jeunes gens estimaient que les valeurs de la société dans laquelle ils vivaient ne les rendaient pas heureux, les « aliénaient » et les inséraient dans un engrenage dans lequel ils n'étaient, en tant qu'individus, qu'un rouage de plus. Appelé ‘flower children’ (les enfants des fleurs), ils appartenaient au mouvement hippy et ils voulaient, avec une incontestable naïveté, une vie à base d'amour envers toute chose, immédiatement, sans hypothèque sur l'avenir. Leurs occupations consistaient en des travaux le plus souvent manuels, allant de l'artisanat à l'agriculture, mais sans jamais oublier de se dorer au soleil, en absorbant des substances modifiant les états de conscience et, surtout, composer de la musique et en écouter. C'est, dit-on, à cause de la combinaison L.S.D. et marihuana que naîtra l’acid rock, une sorte de rock à la vertu psychédélique qui se caractérise principalement à travers des instrumentaux et de longs solos improvisés, et d'où surgirent les Pink Floyd, The Doors, Jefferson Airplane, Iron Butterfly ou encore Jimi Hendrix et Grateful Dead.

© Woodstock Whisperer (Festival de Woodstock le 17/08/1968, au moment où Joe Coker se produit sur scène)

Toutefois, à ses débuts, le mouvement hippie ne combattait pas pour une existence basée sur de l'oisiveté, mais pour du travail en étroit contact avec dame Nature. La lutte, qu'ils estimaient devoir mener, était celle de la solitude, d’un combat à même de réaliser leur idéal de vie dans la rue, sans famille, sans foyer, voire sans argent. La jouissance apportée par la musique produira son effet en poussant une bonne partie d’entre eux à intégrer des mouvements communautaires, favorisant et renforçant ainsi leur détermination.

En 1967, le mouvement hippie atteint son point culminant. San Francisco et Londres en sont le berceau et capitalisent avec la plus grande vitalité l'esprit de la Pop-music. C’est l’époque des albums Revolver et Sgt. Pepper des Beatles. La musique devient une « religion électrique ». Les musiciens de rock recherchent désespérément la fonction magique du chaman des tribus antiques, celui qui transmettait à la communauté le pouvoir de ses expériences par le rituel de la musique.

Les "Dieux" s’appelleront les Who, les Doors, Santana, Traffic, Crosby, Stills and Nash... La liste pourrait se poursuivre, et si les plus connus, n'ont pas toujours été les plus grands, il ne fait aucun doute que les Beatles, les Rolling Stones et Bob Dylan ont eu une importance incontestable. Quant à Jimi Hendrix et Janis Joplin, à cause de leur destiné tragique, ils ont revêtu une signification particulière.

Les festivals de Woodstock et d'Altamont, en raison de leur dimension musicale et de leur trace sociologique laissée dans l’histoire du 20e siècle, sont certainement les meilleurs représentants des « rites » de la « contre-culture », tant ils portent en eux deux aspects particulièrement frappants du même phénomène, mais aux conséquences différentes.


ALTAMONT, LE DÉBUT DE LA FIN DU MOUVEMENT HIPPIE

Le festival de Woodstock, qui se déroula non loin de New York en septembre 1969 - précisément à Bethel sur les terres d’un fermier -, allait devenir pour l’histoire l’exemple inouï d’une manifestation musicale massive de la « contre-culture ».

Qu’ils soient un rebelle du Nebraska, un non-conformiste de l'Alabama ou un vétéran échappé de la guerre du Vietnam, ils avait découvert qu'ils luttaient seuls dans leur village, alors que le monde était plein d’idéalistes qui pensaient et désiraient la même chose qu'eux.

L’effet fut immédiat, comme une bombe à retardement. Ils vinrent de partout jusqu'à désorienter les organisateurs qui se trouvèrent totalement dépassés par l'ampleur du phénomène. Quelque 400 000 jeunes, voire plus, passèrent trois jours à écouter de la musique sans interruption. Richie Havens, Janis Joplin, Crosby, Stills and Nash, Jefferson Airplane, The Doors, Grateful Dead, Jimi Hendrix... 32 formations s'étaient données rendez-vous pour garantir le spectacle. Même la nuit, sous la pluie, une rumeur intense, douce et pleine, à la fois irréelle et magique, symbolisait le monde que les jeunes souhaitaient habiter.

L’idée qui avait surgi dans la tête d’un certain Michael Lang, jeune hippie et déjà organisateur du 'Miami Pop festival' - qui avait réuni autour de 100 000 personnes - avait été excellente. Outre les énormes retombées médiatiques, cette manifestation de la nouvelle culture sera l’objet d’un double album et d’un film fleuve (plus de trois heures) tourné par la Warner Brothers. Le documentaire musical Woodstock deviendra au fil des années un film culte, une référence dans l’histoire de la Pop-Music. Malheureusement, la belle histoire au reflet de "pierre de Lune" allait être compromise par le festival 'Gimme Shelter' d'Altamont qui allait se dérouler quatre mois plus tard en Californie du nord, le 6 décembre 1969.

L'aspect du festival d’Altamont faisait penser à la préparation du tournage d'un film de Cecil B. De Mille sur quelque sujets bibliques. Venu de par-delà les collines couvertes d'herbe sèche et jaunâtre, des groupes de jeunes gens affluaient, s'approchaient de la scène sur laquelle de nombreux corps étendus étaient là, dormant à même le sol. De la scène improvisée s'élevaient des tours métalliques couvertes de haut-parleurs. Des projecteurs et des appareils de prises de vues de cinéma et de télévision étaient également présents. Tout cet ensemble constituait une image surréaliste en se dressant dans cette vallée quelconque.

Dynamité par les Rolling Stones qui portent la responsabilité de l'organisation, le festival d’Altamont présentait les signes évidents que le mouvement de la « nouvelle culture » devait décliner. La lune était au Cancer et le changement n'était pas propice à la musique... La présence du Jefferson Airplane, du Grateful Dead, de Crosby, Stills and Nash ou de Santana, pourtant tous présents à Woodstock, n’y changera rien. Loin d’y songer, d'imaginer que le rêve allait prendre fin, un sentiment de violence allait surgir subitement et s'exprimer lors du concert des "Rolling Stones.

© Monterrey Rock - Festival d'Altamont (sur scène les Rolling Stones quelques instants avant le drame)

À midi, 300 000 personnes environ composaient une ambiance tout à fait hippie. Le festival commençait mais, en dépit de la grande qualité de la musique, quelque chose manquait, l'atmosphère semblait tendue. Les quelques Hells Angels (les Anges de l'Enfer) présents contestaient les Stones qu’ils jugeaient trop conservateurs à leur goût.

Dans les six heures qui séparent le commencement du festival de l'apparition des Stones, vers 18 heures, plusieurs bagarres éclatent. La tension est à son comble lorsque, pendant que les Rolling Stones interprètent Sympathy for the Devil, un jeune Noir (Meredith Hunter) tente d'escalader la scène. Soudain frappé par les Hell's Angels, Hunter reçoit un coup de couteau mortel et s'écroule. Trois autres personnes tombent à leur tour, soit accidentellement, soit victimes de la drogue et, à la fin du festival, c'est une centaine de personnes qui sont conduites dans les hôpitaux environnants.

Quelque chose avait mal tourné à Altamont, et le concert gratuit des Rolling Stones avait annoncé le commencement de la fin de l'ère hippie. Quelques mois plus tard, comme une condamnation pressentie, l'année 1970 sera marquée par le décès de deux des plus importantes figures de la Pop-music : Jimi Hendrix et Janis Joplin.

Ces deux légendes de la musique rock avaient pourtant tout pour réussir. Jimi Hendrix, le premier, jouait merveilleusement de la guitare électrique, faisait des acrobaties, irradiait force et énergie ; il était chanteur, compositeur et, pour une partie de la jeunesse, un symbole de la force érotique, un chaman, un véritable « guitar héro ». Victime d'un excès de drogue, il décèdera à Londres à 27 ans. De son côté, Janis Joplin possédait une voix qui exprimait les sentiments de la frustration et du désespoir d'une certaine jeunesse. Ses blues représentaient les chants les plus authentiques pour un Blanc, mais sa voix éraillée, forte et déchirante sera fatiguée de vivre. Elle se suicidera à 27 ans dans un motel de Hollywood, d'une piqûre d'héroïne.


CINQUANTE ANS APRÈS

De nos jours, le lien qui relie notre culture au mouvement pop de nos aïeux est comme un héritage dont on ne peut faire l'impasse ; les grands groupes de la Pop-music demeurant encore une source d'inspiration pour de jeunes musiciens, tant pour le son, les compositions que pour la scène. Nombre d'entre nous ne rêveraient-ils pas d'entendre un jour les "nouveaux Beatles" avec un son audacieux sur des musiques inventives et des paroles réjouissantes ? Mais est-ce encore possible ? Déjà, les quelques groupes qui ont survécu à la Pop-music et au mouvement hippie n’y sont parvenus qu’en acceptant quelques transgressions commerciales : Pink Floyd, Carlos Santana et même Dylan !

Tout en ne renonçant pas à produire une excellente musique, ceux qui se sont installés durablement dans les années 70, à l'image d'Emerson Lake and Palmer ou de Genesis, ne chercheront pas tellement leur originalité et leur caractère propre dans l'énergie qui se dégage d'une force vitale liée à une nouvelle conception du monde, mais plutôt à travers une perfection technique et une vision artistique maniériste. Plus proche de la musique de laboratoire que de la musique live dans lequel les auditeurs vibraient et s'identifient avec elle, la disparition du mouvement hippy semblait avoir libéré totalement la musique rock de ses clichés et emprises. Aurait-il existé un avant et un après ? En 1967, la créativité musicale allait de surprises en découvertes... mais aujourd'hui, 50 ans plus tard, qu'en est-il vraiment ?

Woodstock, surtout, continue d'alimenter les scénarios de l'impossible. Des ouvrages récents et des spectacles sont là pour témoigner de l'impact que ce festival a eu sur la société et la jeunesse. Le regard que nous portons aujourd'hui est peut-être parsemé de nostalgie vis-à-vis d'une époque révolue, quand la révolution culturelle exigeait que les gens changent leur façon de vivre. Or, cette croisade vers la liberté, l'amour et une paix fraternelle n'a eu qu'un temps. Les mouvements pop, qui se sont valus des critiques de la société de consommation, ont été, en fait, récupérés jusqu'à être absorbés. On peut donc affirmer sans crainte que le « monde pop », en dépit de ses protestations, s’est presque trouvé toujours à son aise dans le monde de la consommation, et que de là sont apparus de nouveaux sons, des techniques, des innovations, des conceptions et des signes qui font parties désormais de notre culture comme de notre existence.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 08/2019)
(source : La musique Pop - Collection les grands thèmes - Ed. Grammont)

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