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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

LA SYMPHONIE FANTASTIQUE DE BERLIOZ, UN TÉMOIGNAGE D'AMOUR

1830, l’année de la fameuse « bataille d’Hernani », est une année-charnière dans la carrière du compositeur Hector Berlioz. Après trois tentatives infructueuses, il obtient enfin le Grand Prix de Rome (pour sa cantate Sardanapale) et organise le premier grand concert de ses œuvres. Celui-ci, donné le 5 décembre dans la salle du Conservatoire, fait notamment entendre la Symphonie Fantastique, à laquelle il ajoutera un sous-titre autobiographique et imaginaire : « Épisode de la vie d’un artiste. »


L'ŒUVRE D'UN GRAND ROMANTIQUE

Hector Berlioz est un grand romantique et sa Symphonie Fantastique n'y échappe pas, puisque l'argument repose sur un jeune musicien, d'une sensibilité maladive et d'une imagination ardente, qui s’empoisonne avec de l’opium dans un accès de désespoir amoureux. La dose de narcotique, trop faible pour lui infliger la mort, le plonge dans un sommeil profond accompagné des plus étranges visions, et pendant lequel ses sensations, ses sentiments, ses souvenirs se traduisent dans son cerveau malade en pensées et en images musicales. La femme aimée elle-même est devenue pour lui une mélodie et comme une idée fixe qu’il retrouve et qu’il entend partout.

© wikimedia – Hector Berlioz, sa vie et ses œuvres: Symphonie Fantastique - Un bal, par Henri Fantin-Latour.

Berlioz conçoit la Symphonie Fantastique comme un témoignage de son amour, une déclaration pour une admirable interprète de Shakespeare : la « bien-aimée » Harriett Smithson. Malheureusement, la vie sépara les deux jeunes gens. Berlioz n’en composa pas moins son œuvre en la transformant. Elle devint « l’épisode de la vie d’un artiste », le récit musical d’une passion malheureuse, ainsi que Berlioz le précise dans son argument. Toutefois, une phrase de l’avant-propos précise : « En conservant seulement le titre des cinq morceaux, la symphonie peut offrir en soi un intérêt musical indépendant de toute intention dramatique. »


LES CINQ PARTIES EXPOSÉES

1re partie. Rêveries, passions (largo-allegro agitato ed appassionato assai). Le musicien se rappelle d’abord ce malaise de l’âme, cette vague des passions, ces mélancolies, ces joies sans sujet qu’il éprouva avant d’avoir vu celle qu’il aime, puis l’amour volcanique qu’elle lui inspira subitement, ses délirantes angoisses, ses fureurs vengeresses, ses retours de tendresse, ses consolations religieuses.

2e partie. Un bal. Valse (allegro non troppo). Le musicien retrouve l’aimée dans un bal au milieu d’une fête brillante. La fièvre le gagne : elle danse aux bras d’un autre.

3e partie. — Scène aux champs (adagio). Un soir d’été à la campagne, il entend deux pâtres qui dialoguent et le léger bruissement des arbres doucement agités par le vent. Un calme inaccoutumé qui procure à ses idées une couleur plus riante. Mais l’aimée apparaît de nouveau, son cœur se serre, de douloureux pressentiments l’agitent : si elle le trompait ! Le soleil se couche tandis que le bruit du tonnerre s'éloigne jusqu'au silence.

4e partie. — Marche au supplice (allegretto non troppo). Le musicien rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, qu’il est condamné à mort, conduit au supplice. Le cortège s’avance aux sons d’une marche tantôt sombre et farouche, tantôt brillante et solennelle, dans laquelle un bruit sourd de pas succède sans transition aux éclats les plus bruyants. À la fin, l’idée fixe réapparaît un instant, comme une dernière pensée d’amour interrompue par le coup fatal.

5e partie. — Songe d’une nuit de Sabbat (larghetto, allegro). Il se voit au sabbat, au milieu d’une troupe affreuse d’ombres, de sorciers, de monstres de toute espèce réunis pour ses funérailles. Bruits étranges, gémissements, éclats de rire, cris lointains auxquels d’autres bruits semblent répondre. La mélodie aimée reparaît de nouveau, mais elle a perdu son caractère de noblesse et de timidité. Ce n’est plus qu’un air de danse ignoble, trivial et grotesque. C’est « elle » qui vient au sabbat… Rugissements de joie à son arrivée… Elle se mêle à l’orgie diabolique. Glas funèbre, parodie burlesque du "Dies irae" et Ronde du Sabbat en conclusion.


LE BAL (second mouvement de la Symphonie Fantastique op.14)
Orchestre National de France conduit par Cristian Mācelaru. Extrait du Concert "Offenbach et ses amis" enregistré et filmé le 30 décembre 2021 à l'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique à Paris.

LA SYMPHONIE FANTASTIQUE DANS SON CONTEXTE

Hector Berlioz vit de manière très intensément émotive toutes les découvertes artistiques qui se présentent à lui. De 1830 à 1860, avec une remarquable constance, nombre d’œuvres puiseront leur substance de l’univers shakespearien. Outre la Symphonie Fantastique suivie de Lelio, ou le retour à la vie, citons Le Roi Lear, Roméo et Juliette, La Mort d'Ophélie, Béatrice et Bénédict, etc. À l’univers goethéen appartiendra le grand thème faustien, central dans les préoccupations de Berlioz à partir de 1828 et qui aboutira en 1846 à La Damnation de Faust.

Subtil commentateur de l’œuvre de Berlioz, Maurice Le Roux définira la Symphonie Fantastique comme une œuvre de « rupture traditionnelle ». Berlioz livre à vingt-sept ans un ouvrage qui stupéfie le monde. « Par ce geste de rupture, il renouvelle celui de la Symphonie héroïque », dira le chef d'orchestre. Plusieurs audaces jalonnent cette œuvre : l'introduction d’un thème cyclique, balisé par l’idée fixe, la nouveauté des rythmes, du langage harmonique, la superposition d’un « argument » à la trame musicale. Ce poème symphonique, tout en se référant à un enchaînement de mouvements venu de la tradition (encore que la symphonie en comporte cinq au lieu de quatre) en fait éclater les cadres. À vingt-sept ans, avec l’une des plus parfaites et des plus cohérentes de ses œuvres, Berlioz est entré dans l’histoire.


À PROPOS D'HECTOR BERLIOZ

© Jean-Pierre Dalbera flickr.com – Toile de François-Xavier Dupré (1830), Rome, Académie de France, Villa Médicis.

Hector Berlioz est né près de Lyon, à La Côte-Saint-André, en 1803. Son père l’oriente vers la médecine, mais à Paris, il interrompt ses études pour entrer au Conservatoire et finira par obtenir le "Grand Prix de Rome" en 1830, l'année de sa présentation de sa Symphonie Fantastique. Celle-ci sera différemment appréciée. Mendelssohn n’en appréciera guère la démesure, tandis que Franz Liszt, présent à la création, y applaudira des deux mains. Berlioz cherche alors à l’étranger le succès qu’il ne retrouve plus en France après la Symphonie Fantastique. On le voit en Allemagne, en Autriche, en Russie.

Sa vie sentimentale, qui lui inspira la plupart de ses œuvres, ne sera jamais radieuse. Il épousa, puis abandonna, l’héroïne de la Fantastique : Harriett Smithson et achèvera sa vie dans une solitude maladive. Il meurt en 1869.

Berlioz est l'un des grands romantiques français du 19e siècle. Il a légué de nombreuses œuvres pour orchestre : la Symphonie Fantastique, la Symphonie funèbre et triomphale, Roméo et Juliette, des ouvertures, dont celle du Carnaval Romain ; pour la scène : Benvenuto Cellini, Les Troyens ; des Cantates, des Oratorios (La Damnation de Faust, L’Enfance du Christ) ; de la musique religieuse (Requiem, Te Deum) et des œuvres théoriques, dont un Traité d’Orchestration.

Par Patrick Martial (Cadence Info - 06/2023)


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