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CHANSON

JANE BIRKIN, BIOGRAPHIE/PORTRAIT. L'ICÔNE DES ANNÉES ÉROTIQUES

Elle est arrivée en France avec ses grands yeux rêveurs, son sourire et son accent anglais. Son nom Jane Birkin. D'un naturel incomparable, fustigeant avec sa douceur angélique l'interdit ou la maladresse comme s'il s'agissait d'une carte de visite, la chanteuse et actrice aura réussi à réconcilier jusqu'au bout du chemin toutes les facettes de la féminité avec simplicité et charme.


UNE ADOLESCENCE DIFFICILE

© Majalah Aktuil wikimedia - Jane Birkin (1970)

À son arrivée en France, Jane est une parfaite inconnue qui a multiplié les rôles mineurs et alimenté diverses campagnes publicitaires. Personne ne se doute alors que cette jeune fille timide et frêle allait devenir une icône en redéfinissant l'image de la femme moderne.

La mince silhouette apparaît un jour de 1969 sur le petit écran. À ses côtés, Gainsbourg la présente aux téléspectateurs. Intimidée, pour Jane, son engagement dans la chanson est une première. La voix fragile et haut perchée se lance et interprète Jane B., un titre aux accents pop...

Quand les journalistes l'interrogent, la jeune femme se définit comme ayant été fort sage durant son enfance. Issue d'une famille d'aristocrate anglais, elle appartient à la génération du baby-boum. Sa mère, Judy Campbell, est une actrice célèbre et son père David Birkin, un officier de la Royal Navy. À 12 ans, comme d'autres jeunes enfants anglais, Jane est envoyé dans un internat. Elle y séjournera durant quatre ans. Dans la pension située dans l'Île de Wight, la petite Birkin est appelée par son numéro, le 99.

L'adolescence est difficile. Les notes sont passables. Son physique androgyne, qui s'accompagne d'un appareil dentaire, soulève les moqueries des autres pensionnaires. Cette poitrine qui ne pousse pas et pour laquelle Gainsbourg fera illusion dans la chanson Di Dou Dah (« Les autres filles ont de beaux nichons / Et moi, moi je reste aussi plate qu'un garçon / Que c'est con. ») ne servira qu'à renforcer son incapacité à affronter le regard des autres. Malgré tout, une petite flamme la guide de l'intérieur et lui permet de se fabriquer une image à défaut d'entrevoir une destinée. Dès lors, Jane Birkin quitte sa campagne pour tenter sa chance à Londres, suivant les pas de sa mère en choisissant de devenir actrice.


JANE BIRKIN : "DI DOU DAH" (1973)

UN CERTAIN JOHN BARRY

Jane écume les auditions théâtrales grâce aux relations de sa mère. Elle a 18 ans quand elle décroche son tout premier rôle en août 1964 (Carving A Statue - Théâtre Royal Brighton). Par la suite, elle va enchaîner d'autres petits rôles sur les planches et pour le grand écran. Grâce aussi à différentes séances photos publicitaires, son visage devient familier.

Nous sommes en 1966. L'époque est en pleine effervescence des tenues vestimentaires pop, et Jane n'y sera pas indifférente. C'est au cours d'une soirée en discothèque qu'elle fait la connaissance de John Barry, un compositeur anglais très en vogue, notamment pour ses musiques illustrant les premiers James Bond.

Le musicien a 32 ans. Il possède du charme, mais c'est un homme arrogant, exigeant et infidèle. Pourtant, Jane accepte de l'épouser avec empressement. À tout juste 20 ans, la jeune mariée occupe l'emploi de femme au foyer dans une demeure cossue de Londres et celui de maman d'une petite fille. En un mot, Mme Barry devient un joli accessoire désœuvré. Son manque de confiance en elle n'arrangeant rien, elle incarne la femme-objet dans toute sa "splandeur misérable" !

En 1966, elle apparaît à l'affiche du film de Michelangelo Antonioni, Blow Up. Le tournage de ce film arrive à point nommé pour rompre son ennui. L'une des scènes la montre dans une tenue déshabillée, comme si l'œil de la caméra lui avait permis de surmonter sa timidité. Cette volte face devant l'objectif allait se traduire comme le premier scandale d'une carrière à peine entamée, mais surtout comme un défi lancé à l'intention de son mari, ce qui contribuera à accélérer la séparation du couple.


BIRKIN ET GAINSBOURG

© Lunar Camel Co flickr.com - Jane Birkin posant pour le magazine Oui en 1975.

Jane arrive en France. Exit alors John Barry. Une chance, car de ce côté-ci de la Manche, une rencontre capitale va bouleverser sa vie. « La première fois que je l'ai vue, je me suis dit qu'est-ce que ce boudin anglais ? », dira Gainsbourg. « La première fois que je l'ai vu, ce n'était pas vraiment son visage, c'était sa façon d'être horrible ! », répondra Birkin (Discorama 1969). Les essais pour le film Slogan de Pierre Grimblat, en 1968, vont devenir le témoin de cette rencontre. À l'image d'une parfaite comédie romantique, le tournage permettra à l'un comme à l'autre de s'aguerrir de leur peine respective tout en se rapprochant. Lui, après son aventure avec Brigitte Bardot, et elle souhaitant divorcer à tout prix de John Barry. Slogan donnera naissance à un amour et transformera brusquement la fiction en réalité.

Un autre film, celui-ci plus important dans le lancement de sa carrière en France (La piscine de Jacques Deray, en 1969), va intervenir tout de suite après la fin du tournage de Slogan. À ses côtés, Alain Delon, Maurice Ronet et Romy Schneider dans un film devenu iconique en ayant réuni des figures légendaires du cinéma français. Par chance, Jane encore débutante définit un stéréotype en symbiose avec l'époque et cela convient parfaitement à l'histoire.

La petite Anglaise court vêtue et le génie en devenir de la chanson française deviennent le couple le plus en vue dans les médias. Dans la rue, constamment accompagnée de son panier en osier et de tenues plus ou moins audacieuses, Jane joue l'innocence et la femme impudique... soi-disant par étourderie. Chez elle, les complexes se sont envolés comme par magie. À 22 ans, la muse de Gainsbourg entame une seconde vie.

Serge lui propose de chanter. Dans les tiroirs, il existe un titre enregistré en duo avec Bardot, mais jamais publié : Je t'aime moi non plus. La voix d'angelot et les gémissements successifs de Jane construisent la légende de cette chanson intemporelle. Après Blow Up, Birkin venait d'épingler avec Je t'aime moi non plus un second scandale. Banni par le Vatican, interdit à la BBC, la chanson réunissait effectivement, malgré la censure, tous les ingrédients pour devenir un succès international en ayant le tempo d'un bon slow et un texte fort imagé à l'érotisme torride.


JANE BIRKIN : "EX-FAN DES SIXTIES" (1978)

À nouveau maman d'une petite Charlotte Gainsbourg, Birkin inaugure une nouvelle forme de féminité, naturelle et libre. Au début des années 70, elle impose son image dans les magazines de charme, posant singulièrement pour "Lui" ; la nudité faisant partie intégrante de sa position de femme libérée, sans être graveleuse, et l'humour s'alliant alors avec une certaine innocence. Jane est la parfaite représentation iconique de la féminité des seventies, à la fois simple et décomplexée.

Le personnage se met progressivement en place grâce aux chansons écrites sur mesure par Serge. Les textes dessinent tour à tour les différentes facettes de Jane jusqu'à l'autodérision. Avec cette pointe d'accent qui lui colle à la peau, sa jeunesse et son sourire désarmant, Birkin plaît au public. Celle qui était venue en France pour devenir actrice, n'aurait nullement imaginé que le spectacle proviendrait de sa nature ! Il y avait certes le cinéma et la chanson pour singulariser la carrière de Jane, mais c'est avant tout son personnage atypique qui fera date avec ses tenues vestimentaires et son style de vie : sa famille et le couple qu'elle forme avec Gainsbourg qui, le premier, choisira d'exposer leur vie privée à tous les regards. Autant dire que les documents filmés ne manquent pas et que la disparition de Jane suscite dès à présent la diffusion d'un nombre considérable de vidéos sur les plateformes du Web.

Serge Gainsbourg a pris sous son aile Kate Barry et l'élève, tout comme Charlotte, avec exigence, tandis que de son côté Jane demeure une mère attentive, maternelle, voire vraiment copine avec ses filles. Tout parait évident, du moins en apparence. En attendant, Jane et Serge constituent un couple idéal pour la presse, refusant très rarement les sollicitations. Toutefois, au-delà de la réduction du rapport sentimental et existentiel d'un Pygmalion avec sa muse, nul doute que l'auteur de La Javanaise avait trouvé là l'occasion de transformer son image de chanteur aux yeux du grand public en épousant une barbe de trois jours et en portant des jeans délavés !

© Olivier Pacteau wikimedia - Jane Birkin et sa fille Charlotte Gainsbourg (2010)


BIRKIN, ARTISTE POPULAIRE

Côté 7e art, la comédie La moutarde me monte au nez, de Claude Zidi, avec Pierre Richard, permet à Jane de franchir un pas décisif dans sa carrière cinématographique. Le film est une réussite au box-office et elle devient aussitôt une comédienne populaire, ce qui sera suivi d'effets sur le petit écran en étant régulièrement invité dans les émissions de variété.

Pourtant, Jane est lucide : « On me demande toujours pour mon nombril, mais on ne me demande pas pour mon cerveau... pour le moment. » La pin-up n'est nullement dupe. Elle est parfaitement consciente de l'image véhiculée. Si la lolita sait qu'elle amuse, qu'elle divertit, par ailleurs, elle n'ignore point que son heure de vérité n'est pas encore venue et qu'elle n'a, en aucun cas, et malgré les succès récents, trouvé sa véritable voix en tant qu'actrice. La chanson, c'est autre chose. C'est plus vaporeux. Jane se définit avec justesse comme une comique triste, mélancolique et drôle en même temps.

En 1976, elle tente autre chose avec le film Je t'aime moi non plus, le premier long-métrage réalisé par Gainsbourg. Ses cheveux sont courts, coupés à la garçonne. Ce n'est pas un hasard, car le film est une parabole expérimentale construite autour de son androgynie. Ce film lui permet de découvrir des terres artistiques autrement radicales dans lesquelles elle se sent à l'aise.


JANE BIRKIN : "LES DESSOUS CHICS" (1983)

L'APRÈS GAINSBOURG ET LE CINÉMA D'AUTEUR

Les années défilent et se noient dans les tentations de se réinventer, de trouver de nouveaux chemins. Jane est la passeuse rêvée de l'œuvre de "L'homme à tête de chou". Elle en est consciente. Malheureusement pour elle, sa vie privée se résume à présent dans les excès des vapeurs d'alcool et les scènes de violence du compagnon devenu « Gainsbarre », torpillant par son double destructeur l'équilibre du couple. La rupture est imminente, et comme l'annonce un jour le titre de couverture de Paris Match : « Ils se sont aimés 12 ans : la fin brutale d'un amour. »

En 1980, le réalisateur Jacques Doillon, qu'elle rencontre à l'occasion du tournage du film La Fille prodigue, déclare sa flamme et devient son nouveau compagnon. Devant la caméra amoureuse, Jane explore un autre cinéma, celui-ci plus intimiste, centré sur la violence des sentiments et dans lesquels la comédienne devient comme une éponge subissant les douleurs murmurées. Birkin avouera se sentir proche de Doillon, peut-être pour avoir su comprendre, mieux que d'autres, ses désirs, sa vie présente et passée. Dans chaque film de Jacques, elle se livre totalement, même quand le scénario aborde l'homosexualité féminine. En 1984, La Pirate, au sujet encore sensible pour l'époque, fera scandale au Festival de Cannes.

Mère d'une troisième fille, Lou Doillon, Jane est définitivement affranchie de son personnage de « babydoll gainsbourienne ». Elle entame à 38 ans une nouvelle carrière en devenant l'une de ces héroïnes du cinéma d'auteur, souvent un personnage à fleur de peau ou parfois s'en éloignant, comme avec Jane B. d'Agnès Varda en 1988.

La comédienne ne cache plus ses réelles ambitions. La demande théâtrale proposée par Patrice Chéreau dans La Fausse suivante de Marivaux, en 1985, représente un cas d'école en évoquant ce que peut être un changement de direction dans la carrière d'un ou d'une artiste. En retour, cette expérience sur les planches permet à Birkin de revenir à la chanson pour les défendre autrement, avec une personnalité plus recentrée sur le souffle des mots.

Malgré leur séparation, Gainsbourg continue de lui écrire des chansons, peut-être ses plus belles, entre amour et regrets, avec de temps en temps des récits autobiographiques. Pour marquer le coup, l'ex-lolita se présente sans fioritures au Bataclan, en 1987, avec aucun maquillage et les cheveux courts. La voix est intacte comme au premier jour, reconnaissable entre toutes, avec ce petit plus, cette redéfinition de l'interprétation qui n'appartient désormais qu'à elle.


JANE BIRKIN : "LES CLÉS DU PARADIS" (1998)

LES DERNIÈRES ANNÉES, L'ÂGE DE LA MATURITÉ

Face au temps qui passe, Jane Birkin démontre toute son intelligence à s'en moquer. En totale harmonie avec son âge, ses tenues vestimentaires continues néanmoins d'être scrutées comme au premier jour, car Jane demeure cette icône d'une mode sans repère formel. Les médias souligneront ainsi les pulls amples et les débardeurs. Rien d'extraordinaire au demeurant, mais, comme souvent avec elle, ce qui semble futile se révèle, en vérité, riche de sens.

À l'abandon du superficiel, vient celui des engagements humanitaires. Terres en guerre, combats civiques ou écologiques, Jane est sur tous les fronts : porte-parole pour "Amnesty International", marraine du "Téléthon français" en 2001, sans compter les diverses participations au "Concert des Enfoirés". Birkin sait qu'elle n'est plus considérée par le public comme le personnage frivole et léger des années passées, tout comme elle sait qu'elle parvient dorénavant à faire entendre sa voix d'une tout autre manière, avec raison et responsabilité.

© Mariusz Kubik wikimedia - Jane Birkin en concert (Warsaw, Pologne, 19 avril 2017)

S'exprimer pour elle-même devient aussi son mot d'ordre, passant de l'écriture à la réalisation. Jane accouche d'un téléfilm : Oh ! Pardon tu dormais, en 1992 (titre qui deviendra également porteur de son 14e et dernier album studio réalisé par Étienne Daho et Jean-Louis Piérot, en 2020). Le second, Boxes (2006), tourné dans sa maison familiale, en Bretagne, revisite les souvenirs, s'entourant d'acteurs qu'elle apprécie pour jouer ses parents (Michel Piccoli et Géraldine Chaplin) et ses trois filles (Natacha Régnier, Adèle Exarchopoulos et Lou Doillon, sa propre fille, tenant le rôle de Camille).

Gainsbourg, son fantôme le plus envahissant n'étant plus de ce monde, côté chanson, Jane prend alors une décision qui pouvait s'avérer lourde de conséquences : faire appel à de nouveaux auteurs et compositeurs pour servir un répertoire répondant à d'autres inspirations. À la légère, en 1998, est le premier album de la chanteuse à ne contenir aucun titre de Serge Gainsbourg. Des amis tels qu'Alain Chamfort, Miossec, Art Mengo, Souchon et Voulzy, entre autres, se prêteront au jeu des écritures. Même s'il est essentiel de considérer toute l'importance des chansons de Gainsbourg dans la carrière de Jane, leurs omniprésences dans son répertoire ne se justifiaient certainement pas sur le long terme, d'autant que l'album À la légère recevra un accueil encourageant de la part du public et des critiques.


JANE BIRKIN : "L'INGÉNUE ANGLO-FRANÇAISE" (doc)

En 2013, alors que l'avenir continuait de s'ouvrir à différents projets, la vie de Jane allait basculer une fois de plus vers le tragique, une fois de trop avec la disparition soudaine, à l'âge de 46 ans, de sa fille Kate Barry. Mais Jane est une battante, et pour survivre aux souvenirs, la main innocente et tendue de la musique sera là pour servir d'exutoire au malheur qui vient de la frapper. Cet amour pour le chant deviendra désormais le compagnon de route, déclinant aux différents albums réalisés en studios, de précieux enregistrements capturés en public lors de ses tournées, et ce, jusqu'en 2022 avec Oh ! pardons tu dormais... le concert.

Dorénavant, rien que pour nous, sa générosité, sa simplicité naturelle ne peuvent se clore aussi vite qu'un livre que l'on referme après avoir feuilleté brièvement plus de cinquante d'une carrière à cœur ouvert. Son décès, survenu à l'âge de 76 ans, durant la période estivale, a ému bien des gens simples, de ceux qui s'attachent aux personnalités sincères et dont les maladresses malheureuses – pour elle, la langue française – ne font que renforcer l'estime. Jane Birkin faisait partie de ceux-là. Et si désormais son statut d'icône doit lui paraître assez étrange, et même sans doute magique où qu'elle soit, sa grande réussite en tant que mère aura été de transmettre un peu de son aura à ses deux filles, Charlotte et Lou, qui ont hérité tout comme elle, de sa passion pour la musique et le cinéma.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 07/2023)

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