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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

JOHN ELIOT GARDINER :
"MUSIQUE AU CHÂTEAU DU CIEL"

En octobre 2014, le célèbre chef anglais a publié un remarquable ouvrage sur Jean-Sébastien Bach. Il y raconte un homme et un artiste au caractère bien trempé, éclairé par une foi très incarnée. L’histoire est vraie, mais si romanesque !


JOHN ELIOT GARDNER, AU NOM DE BACH

Un homme arrive un beau jour, en vélo, chez les Gardiner. Dans ses bagages, un rouleau de toile qu’il demande à ses amis anglais de conserver précieusement. Venu d’Allemagne, ce musicien et musicologue a emporté avec lui le portrait de Jean-Sébastien Bach peint par Haussmann que possédait sa famille. Il veut soustraire ce trésor aux dangers des années de guerre… « Il est revenu le chercher en 1951, se souvient John Eliot Gardiner, mais quand j’étais petit, je passais devant ce tableau avec crainte, impressionné par le regard sévère du vieil homme en perruque. »


BACH, FIGURE MAJEURE DE SA VIE ET DE SA CARRIÈRE

Il ne savait pas alors que Bach deviendrait l’une des figures majeures de sa vie et de sa carrière, qu’il lui consacrerait en 2000 toute une année de pèlerinage, interprétant l’intégrale de ses cantates à travers le monde (1). Et qu’il passerait douze années à élaborer et écrire Musique au château du ciel, une somme de 740 pages dont la traduction française est récemment sortie en librairie (2). « Il existe peu de sources biographiques sur Jean-Sébastien Bach, explique John Eliot Gardiner. Sa personnalité demeure une énigme, mais l’on sait qu’il avait des problèmes avec l’autorité, celle de son père, puis celle de son frère aîné et enfin celle de ses employeurs et des théologiens de son temps. »


« UN ÊTRE TENDRE, ENGAGÉ, CONVIVIAL »

Au terme de son enquête, nourrie par la connaissance intime d’une œuvre qu’il interprète avec les English Baroque Soloists et le fabuleux Monteverdi Choir (qu’il a créé il y a 50 ans !), le chef affirme que l’homme en perruque au regard sévère était en réalité « un être tendre, engagé, convivial, accueillant dans son domicile à Leipzig ses collègues musiciens de passage. Il se tenait informé de la culture de son temps, s’intéressait aux styles venus de France et d’Italie ; il fut en relation avec François Couperin… »

Évoquant à nouveau le fameux portrait qui a marqué son enfance, John Eliot Gardiner souligne « l’expression de la bouche charnue qui laisse deviner un homme sensuel. Voyez également la page de musique qu’il tient à la main. C’est un canon à six voix, mais on n’en voit que trois… Il faut regarder la partition à l’envers pour lire les trois autres ! Ce genre d’énigme sophistiquée manifeste l’autorité intellectuelle du compositeur. » De ce génie, le chef anglais fréquente inlassablement la musique vocale, essentiellement religieuse.

C’est d’elle et de la relation, profondément humaine, du Cantor à la foi chrétienne que parle en grande partie son livre. « Luther est pour lui un véritable parrain, comme le révèlent ses cantates. En même temps, il éprouve une grande sympathie pour ceux qui doutent et fait preuve de sévérité face aux hypocrites. Il a l’expérience de la mort (il a perdu sa femme, dix enfants…) mais sans amertume ni dépression. Sa musique funèbre est lumineuse, telle la cantate pour le 16 e dimanche après la Trinité dont le thème est la mort des enfants : Bach figure les jeunes âmes avec des timbres aigus de cloches. »


UNE ACADÉMIE POUR FORMER LES JEUNES CHANTEURS

Estimant qu’un concert « doit toujours être un événement et que l’on joue beaucoup trop de notes inutiles », John Eliot Gardiner a l’enthousiasme aussi prompt que le coup de griffe. Ce dernier est réservé aux institutions musicales lourdes ou frileuses qui découragent les projets au lieu de les soutenir, aux artistes routiniers ou dogmatiques, aux pouvoirs publics qui ignorent les bienfaits de la culture. « Je rêve que beaucoup suivent l’exemple de la ville de Leipzig qui consacre 10 % de son budget à la musique classique ! »

Mais, dès qu’il s’agit d’évoquer les instrumentistes de ses orchestres (3) ou les voix de ses choristes, le voici à nouveau tout sourire. Et de préciser comment il a formé une Académie pour jeunes chanteurs dont les plus valeureux intègrent le Monteverdi Choir. « Il y a peu, j’ai recruté une jeune Galloise à la voix d’ange, entendue lors d’un banquet en Écosse. Elle a interprété, a cappella, des chants traditionnels dans une salle à l’acoustique impossible. La grâce incarnée. » Et une nouvelle fée dans les rangs du meilleur ensemble vocal au monde…

LA FRANCE, TERRE D'ÉLECTION

Depuis ses classes chez Nadia Boulanger, formidable et exigeante pédagogue, jusqu’à ses fréquents séjours dans l’Aubrac où il choisit les vaches de son élevage anglais, John Eliot Gardiner – qui parle notre langue à la perfection – a noué une relation affectueuse et critique avec la France. Il envisage d’ailleurs, un jour, de rassembler « sous une forme ou sous une autre » ses expériences hexagonales. Il y eut, notamment, la direction musicale de l’Opéra de Lyon (1983-1988) et des productions lyriques mémorables qui permirent au public français de redécouvrir avec éblouissement des joyaux de leur patrimoine : Les Boréades de Rameau au festival d’Aix-en-Provence en 1982 ; Les Troyens de Berlioz au Châtelet en 2003. À noter aussi que cet amateur de rognons bien cuisinés et de vin rouge ponctue volontiers ses séjours en France de quelques pauses gastronomiques…

par Emmanuelle Giuliani (Cadence Info - 02/2015)

(1) Enregistrements disponibles sous son label discographique Soli Deo Gloria.
(2) chez Flammarion, 35 €.
(3) Il vient de signer un CD sur Beethoven électrisant avec L’Orchestre révolutionnaire et romantique.

À CONSULTER

JEAN-SÉBASTIEN BACH, LA BIOGRAPHIE D'UN ILLUSTRE COMPOSITEUR

On a tout dit et tout entendu à propos de Jean-Sébastien Bach dressant de lui le portrait d'un compositeur doué ayant écrit une œuvre d'une immense force, celui d'un bourgeois à la vie apparemment lisse, ses 20 enfants, etc. Bach est certainement le plus magistral démenti à l'art maudit et inadapté en ayant adopté les traits du génie.

L'ART DE LA FUGUE SELON JEAN-SÉBASTIEN BACH

Avec Jean-Sébastien Bach, l'art de la fugue porte bien son nom. Inventivité, créativité, richesse, ces trois mots ne peuvent suffire à définir tout le potentiel du compositeur allemand. Jean-Sébastien Bach a œuvré toute sa vie pour que la musique resplendisse avec une modestie touchante et aimante.


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