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MUSIQUE DE FILMS

'THE EXORCIST' ET 'TUBULAR BELLS', LA MUSIQUE DE MIKE OLDFIELD ASSOCIÉE À UN FILM CULTE

Bien qu’aux États-Unis, en Grande-Bretagne et plus tardivement en France, le succès du film L’exorciste (The Exorcist) a contribué largement à populariser l’album Tubular Bells de Mike Oldfield, plusieurs autres solutions avaient été envisagées par le réalisateur William Friedkin afin d’illustrer les scènes d’horreur qu’il contient, notamment en faisant appel à des spécialistes comme les compositeurs Bernard Herrmann et Lalo Schifrin...


'THE EXORCIST', UNE RAMPE DE LANCEMENT POUR L’ALBUM DE MIKE OLDFIELD

Sortie aux États-Unis en décembre 1973 et dans les cinémas européens en mars 1974, L'exorciste est un film d’horreur qui a pour personnage central une jeune adolescente, Regan (Linda Blair), dont les troubles comportementaux sont semblables à ceux d’une personne envoûtée par le démon. Les parents impuissants, tout comme la médecine, font alors appel à un jeune prêtre, le Père Karras. Aidé d’un confrère, les deux hommes vont se lancer dans des séances d'exorcisme pour la délivrer du mal qui ronge la jeune adolescente…

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Affiche du film 'L'exorciste'

La BO dans lequel figure le nom de Mike Oldfield est associée à divers auteurs de musiques de films : Jack Nitzsche, Lalo Schifrin (deux compositeurs qui ont travaillé surtout avec Clint Eastwood) et David Borden, un compositeur spécialisé dans la musique minimaliste. Le choix sera difficile, d'autant que le réalisateur avait pressenti dans un premier temps Bernard Herrmann qui était l’incarnation même des films d’angoisses depuis qu'il avait rejoint Alfred Hitchcock (L’homme qui en savait trop, La mort aux trousses, Psychose…) Dès lors, il devenait logique dans l’esprit du réalisateur de faire appel à cet illustre compositeur pour ses compétences. Mais Herrmann, contrairement à son attente, devait décliner la proposition sous prétexte qu’il ne souhaitait plus travailler à Hollywood.

L’autre nom qui s’impose à Friedkin est Lalo Schifrin. Le compositeur argentin, devenu populaire depuis le film Bullitt et la série TV Mission impossible, était connu pour sa perméabilité à se fondre dans divers scénarios. Les deux hommes s’étaient rencontrés peu de temps après que le réalisateur eu signé un documentaire sur la peine de mort (The People vs. Paul Crump, en 1962). Schifrin, convaincu par le sujet du film, compose dans un temps record une vingtaine de minutes de musique. Friedkin l’encourage à poursuivre, sauf que le jour de la projection privée, le réalisateur déchante, comme déçu de ne pas trouver à son goût la musique qu'il juge trop « bruyante » et mal adaptée. L’histoire raconte même que le metteur en scène, comme prit soudain d’une rage incontrôlable, s’empara des bandes pour les jeter violemment à l’extérieur de la salle de projection. Quelques mois plus tard, Friedkin s’en défendra dans ses termes : « Je préfère que Lalo Schifrin me dénonce en première page du Los Angeles Times jusqu’à la fin de mes jours plutôt que d’utiliser une seule minute de son score dans mon film. »

Après sa « déconvenue » avec Schifrin, le metteur en scène des films 'French Connection' et 'Killer Joe' se retrouve encore sans aucun matériau sonore pour son film. Bien décidé à résoudre son problème, Friedkin décide de puiser dans des œuvres préexistantes au lieu de faire appel à un nouveau compositeur pour produire une musique originale. Dans un premier temps, il rachète les droits de quelques pièces du compositeur polonais de musique contemporaine Penderecki, puis de la musique de chambre écrite par George Crumb avant de dénicher celle qui va tout changer…


MIKE OLDFIELD : 'L'EXORCISTE' (version radio)
Cette vidéo est constituée d'extraits du film et laisse entendre la version éditée du classique de Mike Oldfield pour la programmation radio et télévision. La musique écoutée correspond à un fragment de l'ensemble de l'œuvre de l'album appelé Tubular Bells.

LE CHOIX DE LA MUSIQUE DE ‘TUBULAR BELLS’

La promotion la plus importante du disque Tubular Bells de Mike Oldfield est venue du film The Exorcist, quand son introduction fut choisie pour figurer dans le film de William Friedkin. Sa présence, aux dires du critique de cinéma Mark Kermode, était le résultat d'un pur hasard. Le réalisateur, faut-il le rappeler, avait décidé de supprimer la partition originale composée par Lalo Schifrin et cherchait désespérément une musique pour la remplacer. « Je voulais que la musique de l’Exorciste vous saisisse comme si une main froide s’emparait de votre cou » dira-t-il. Dans cette intention, Friedkin s’était rendu dans les bureaux d'Atlantic Records que présidait son ami Ahmet Ertegun pour éventuellement trouver la perle rare, une musique qui soit suffisamment prenante pour son film.

Parmi la sélection de disques distribués par la compagnie aux États-Unis, sur le bureau d'Ertegun, figurait l'album Tubular Bells. Aussitôt placé sur le tourne-disque, instantanément, Friedkin trouva cette musique idéale pour illustrer son film. Le plus étonnant est, que suite à cette décision, Mike Oldfield devait déclarer qu’il ne souhaitait pas regarder le film, imaginant que vu son contexte, trop effrayant, sa musique ne pouvait pas cadrer avec la violence de certaines images. Or, contrairement à l'idée que s'en faisait Oldfield, le motif rythmique et les complexes entrelacs de sa musique avait été un choix plutôt judicieux de la part de Friedkin ; le thème à la fois hypnotique et en constante progression valorisait parfaitement les scènes qu’elle illustrait.

Une scène du film 'L'exorciste'

Malgré la défense du compositeur anglais, un premier single est distribué par Atlantic Records, faisant entendre une édition des trois premières sections de la première partie. La face A présente le thème arrangé dans une version plus pastorale et mettant en vedette le hautbois (joué par Lindsay Cooper) comme instrument principal ; version que l’on retrouve dans la réédition 2009 de Tubular Bells.

Bien que la musique de Mike Oldfield ne figure que brièvement dans deux scènes du film, l’introduction de Tubular Bells est devenue rapidement pour le grand public la musique qu'il a coutume d’associer au film. Sorti d’abord aux États-Unis et au Canada en février 1974, le single publié sous le nom de "Tubular Bells (Thème de l'Exorciste)" allait culminer au septième rang du classement américain Billboard Hot 100 quelques semaines plus tard, faisant pour le coup de Mike Oldfield un compositeur remarquablement doué.


LALO SCHIFRIN : 'THE EXORCIST'
Musique composée pour le film 'The exorcist' mais qui sera finalement rejetée par le réalisateur William Friedkin.

À PROPOS DE MIKE OLDFIELD

Considéré en 1973 comme le nouveau prodige de la Rock-Music grâce à son fulgurant succès, l'Anglais Mike Oldfield n'était pourtant pas un inconnu… Dès 1970, il s'était distingué au sein du groupe 'Whole World' de Kevin Ayers (membre du Soft Machine) où ses dons exceptionnels de guitariste et de pianiste apportaient une note particulière à la « couleur » du son Ayers.

C'est en 1972, grâce à la jeune marque Virgin, que l'occasion lui est donnée d'enregistrer le chef-d'œuvre qu'il avait longtemps mûri. La capture de près de 30 minutes d'une musique instrumentale lénifiante, éthérée et originale, lui prendra plusieurs mois de travail. Basée sur la multiplication et la superposition de guitares, pianos, orgues et diverses percussions dont les fameuses tubular bells (carillon tubulaire en français), la musique de Oldfield reprend le principe de l’orchestration du Boléro de Maurice Ravel. Mike Oldfield avait pratiquement tout enregistré lui-même, sauf pour la réalisation d'un documentaire d'une demi-heure consacré à la réalisation de l’album et pour lequel il avait pris soins d’inviter quelques amis musiciens en renfort, le guitariste Mick Taylor et le claviériste Mike Ratledge.

De g. à dr. : le réalisateur William Friedkin sur le tournage de L'Exorciste (source : N26825 - wikipedia), la pochette originale du simple et Mike Oldfield dans son studio d'enregistrement (album 'Ommadown' - source : amarok-mag)

Depuis cet extraordinaire succès, Mike Oldfield s'attachera le plus souvent à créer des œuvres similaires. Malgré quelques belles réussites (Ommadawn en 1975, Discovery en 1984 et Music of the Spheres en 2008), le guitariste n’est encore jamais parvenu à rééditer le succès de Tubular Bells. La vente de ce disque à plus de 15 millions d’exemplaires dans le monde ne pouvait que conduire Oldfield à enregistrer d’autres suites : Tubular Bells II (1992), Tubular Bells III (1998) et The Millennium Bell (1999). (1)

Toutefois, conclure cet historique de la BO de L’exorciste sur la musique de Mike Oldfield serait incomplet et fort injuste, d’autant que les effets sonores s’avèrent encore plus éprouvants que la musique composée par le guitariste anglais. Dans ce genre de film, les effets sonores comptent pour beaucoup en provoquant la sensibilité du spectateur et, dans ce rôle, le bruiteur Gonzalo Gavira, qui avait fourni un excellent travail dans le film El Topo de Jodorowsky, devait réaliser pour L’exorciste d’efficaces trucages sonores très saisissants, comme la scène dans laquelle on voit la tête de la jeune Regan faire un tour complet seulement bruitée, faut-il encore l’imaginer, avec des cartes de crédit !

1 - Une version « symphonique » de Tubular Bells verra le jour en 1975 par le chef d'orchestre David Bedford sous le titre « The Orchestral Tubular Bells ».

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2021)


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