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INSTRUMENT ET MUSICIEN

LA BATTERIE DANS LE JAZZ, MOTEUR DE L'ORCHESTRE

Elle est le “battement de cœur” de l’orchestre, son« ciment ». Sa régularité rythmique, ses marquages et accentuations ont une incidence directe sur le jeu des autres instruments. La batterie est un maillon essentiel dans l’histoire de la musique de jazz jouée en formation. Cette page évoque succinctement l’usage des différentes percussions qui entourent le batteur et comment l’instrument à évoluer.


DE L’IMPORTANCE DU BATTEUR

La qualité d’un orchestre de jazz dépend souvent des qualités rythmiques du batteur, de son intelligence de jeu à pulser métronomiquement et à anticiper les effets, les habitudes, voire les manies des autres musiciens quand ils improvisent. Si la première des qualités du batteur est d’apporter l’unité, la cohésion, la seconde est d’être constamment à l’écoute de ce qui se produit dans les moindres détails. Il est en quelque sorte le gardien du swing et il pousse les autres instruments à redoubler d’imagination pendant les solos.

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En fonction du style de jazz interprété et de la formation qu’il accompagne, le batteur a plus ou moins de liberté à s’exprimer. C’est particulièrement évident avec les big bands où sa priorité est d’avoir un jeu sobre et cadré pour éviter tout débordement. De sa maitrise dépend la bonne marche de l’orchestre. Alors que la contrebasse développe l'harmonie (cas typique de ce qu’on appelle la “walking bass”), le batteur tient plusieurs rôles à la fois : il conduit, influence et temporise les ardeurs des autres musiciens.

Jusqu’à la fin des années swing, la mission essentielle du batteur était de soutenir le tempo comme un métronome. Le grand changement s’opérera avec l’arrivée du be-bop, non pas que le tempo devenait plus flottant, mais les batteurs songèrent à répartir autrement les fonctions rythmiques. Si l'essentiel du battement régulier de la mesure se faisait avec la cymbale, la caisse claire comme la grosse caisse seront utilisées pour inventer des échanges rythmiques désignant la syncope et le contretemps comme les éléments clés du jazz moderne.

Pour bien saisir le jeu d'un batteur, il faut déjà comprendre que chaque percussion joue un rôle complémentaire. Pour faire simple, nous dirons que la grosse caisse sert le plus souvent à accentuer les temps forts, la caisse claire les temps faibles et les accents syncopés. Concernant les autres percussions : les toms donnent libre cours à l’imagination du batteur (roulement, relance rythmique…), la cymbale ride et le charleston soutiennent de leur régularité de frappe la pulsion rythmique, tandis que la cymbale crash intervient pour signaler les cassures rythmiques (breaks), pour ponctuer une mesure ou encore la fin d'une partie.

En frappant la surface des peaux et des cymbales avec des baguettes, des balais ou des mailloches, le batteur produit des contrastes sonores d’une grande amplitude dynamique, bien plus importantes que les autres instruments. Tout est dans le toucher, car il ne suffit pas de frapper fort pour affirmer que l’on est un bon batteur, c’est même tout le contraire. Le contraste peut s’opérer dans la douceur et dans la continuité des parties interprétées par les autres membres de l’orchestre.


UN PEU D’HISTOIRE

Avant que naisse la batterie, les percussions africaines ont laissé de nombreuses traces de leur passage aux États-Unis. Un exemple nous est donné en 1821 et provient de La Nouvelle-Orléans, quand un architecte nommé Benjamin Henry visita la ville et qu'il dessina des tambours africains que les esclaves utilisaient pendant leurs fêtes au Congo Square. De ses croquis ne devaient pas naître la batterie, mais ils ont certainement forgé l’idée selon laquelle l’utilisation quasi exclusive de percussions était capable de donner vie à des “musiques primitives”.

Historiquement, la naissance de la batterie se déroule en deux temps. D'abord en prenant sa source auprès de percussions qui seront utilisées indépendamment les unes des autres, pour être ensuite assemblées et former l'instrument. La fanfare itinérante est l’un des exemples les plus significatifs de l'utilisation de la “batterie en kit” où la grosse caisse, le tambour et les cymbales sont utilisés par les mains de différents musiciens.

© Nunez family collection (wikimedia) - Le 'Louisiana Five jazz band' en 1919. On remarque l'aspect sommaire de la batterie utilisée par Anton Lada.

Toutefois, avant de se retrouver parachutée dans les orchestres de la Nouvelle-Orléans, la première batterie digne de ce nom est apparue dans les théâtres. L’une des raisons évoquées était le manque de place réservé à l’orchestre. L’étroitesse des lieux devait conduire à n’utiliser qu’un seul percussionniste qui jouait alors en même temps de divers tambours. Les batteurs de ces premiers groupes de jazz (Buddy Bolden, John Robichaux…) utilisaient uniquement la grosse caisse et la caisse claire.

En 1909, William Ludwig et son frère Théo, cofondateurs de la société Ludwig & Ludwig, déposent le premier brevet de la première pédale de grosse caisse. Cette première révolution technique va permettre au batteur de répondre à un jeu rapide nécessaire à l’interprétation du ragtime et des premiers morceaux de jazz. Cela a également permis d’aborder la polyrythmie (superposition de divers rythmes) avec plus d'assurance, en utilisant non seulement les mains, mais aussi les pieds. À partir de là, l’avenir de la batterie au sein des orchestres de jazz était acquis.

Voir une batterie typique des années 1920 (source Musée de la philharmonie de Paris)


QUAND LA BATTERIE ÉVOLUA...

Alors que le jeu de la grosse caisse n’est pas encore très éloigné de celui qu’elle occupe dans les fanfares, la caisse claire va rapidement dépasser le cadre qui lui était réservé, celui de marquer la mesure à l’aide de figures rythmiques simples, pour se lancer dans des motifs plus complexes, comme les roulements et autres effets sonores utilisant le rebord du fût. À cause de l'audace des premiers batteurs, le rythme jazz se transforme si radicalement que les chefs d’orchestre finiront par accorder à l’instrument un rôle déterminant, notamment auprès des pupitres de cuivres (en marquant les accents) et auprès des solistes qui seront tout heureux d'être soutenus avec ce surplus d'efficacité.

Dès les années 1920, que ce soit chez Louis Armstrong, King Oliver ou Jelly Roll Morton, les batteurs disposaient d’une batterie presque aussi complète que celle d’aujourd’hui : grosse caisse, caisse claire et cymbales. À l’époque de "Satchmo", il était courant que la panoplie du batteur s’enrichisse de diverses percussions en bois (woodblock) et en métal (cloche). Celles-ci étaient placées au-dessus de la grosse caisse au moyen d’une armature tubulaire. En raison de leur imposante panoplie d’accessoires, les batteurs avaient fini par appeler leur batterie ”contraption” (bidule en anglais - ce qui démontre encore que l'instrument n'était pas arrivé à sa forme définitive).

Deux batteurs de jazz légendaire : Kenny Clarke, en concert à l'American Jazz Festival de Bruxelles en octobre 1964 (source wikimedia), et Gene Krupa, jouant dans un restaurant new-yorkais en juin 1946 (source flickr.com).

Cet instrument, qui au départ représentait l’esquisse d’un banal soutien rythmique au sein des orchestres, allait occuper une place de plus en plus importante au fur et à mesure de son évolution technologique. C’est ainsi que la taille de l’imposante grosse caisse devait se réduire et que le fût de la caisse claire passait du bois à l’acier ; ce qui transforma la texture et le volume du son produit, plus sec et plus puissant. Les deux toms, placés au-dessus de la grosse caisse, puis le tom sur pied viendront bien plus tard et produiront, tout comme les cymbales, des tonalités différentes en fonction de leur taille et de leur accord (tension de la peau). Quant au design, il subira de nombreux changements dont on retiendra les arabesques colorées typiques des années 30/40.

Du point de vue technique, ce sont surtout les cymbales qui ont joué un rôle essentiel dans le jeu moderne des batteurs. Leur taille a augmenté dans les années trente et quarante quand les batteurs ont commencé à battre la mesure d’une façon cyclique en frappant sur le bord de la cymbale ou sur son dôme (rythme chabada). Le hit-hat, dénommé également charleston, charley ou encore high hat (haut chapeau), composé au départ d’un seul disque en acier que l’on frappait conjointement avec la grosse caisse grâce à un dispositif mécanique placé en extension, devait dans les années trente s'équiper d’un second disque en acier venant le recouvrir et qui, sous l’action d’une pédale activée au pied, permettait aux deux cymbales de s’ouvrir et se fermer. Le batteur Jo Jones, de l'orchestre de Count Basie, sera l’un des premiers à jauger de son efficacité en lieu et place de la cymbale ride. (1)

C’est à partir des années quarante et de l’arrivée du be-bop que l’on peut considérer que la batterie est devenue similaire à celles d’aujourd’hui, dans le sens où les batteurs pouvaient personnaliser leur set en fonction du contexte et de leur goût. Bien évidemment, si la classique batterie est toujours composée d’une grosse caisse, d’une caisse claire, de deux toms, d’un tom sur pied, de deux cymbales et d’un hit-hat, de nos jours les batteurs peuvent miser sur de nouveaux matériaux comme la fibre de carbone ou les pads électroniques pour élargir leur champ d’action.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2022)

1 - Dans de nombreuses musiques actuelles, l’usage du hit-hat est devenu tellement incontournable qu’il a fini par effacer du jeu des batteurs l’emploi de la ride.


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