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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

CARL ORFF : LE «  O FORTUNA » DU CARMINA BURANA

Seule œuvre populaire du compositeur allemand Carl Orff, Carmina Burana possède une multitude de langages musicaux, du tonal au dodécaphonique, et une orchestration dans laquelle prédomine le rythme et des chœurs en leitmotiv.


LA CANTATE «  CARMINA BURANA »

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Carmina Burana est une cantate scénique pour soliste, trois chœurs et orchestre symphonique ; ce dernier comprenant une section de cuivres imposante et une armada de percussions : timbales, glockenspiel, xylophone, castagnettes, crécelle, triangle, cymbales, cloches tubulaires, caisse claire, célesta, etc. plus deux pianos.

Le livret provient de textes datant du 13e siècle écrits en latin (chants d'étudiants « contestataires » du Moyen Âge), en ancien français et haut allemand. Les écrits ont été retrouvés en 1803 dans l’abbaye de Benedikbeuern en Bavière et édités en 1847 pour former un corpus de 315 pièces ! De la part du compositeur, ce choix-là peut certainement s’expliquer par sa grande connaissance des musiques de la Renaissance et en particulier celle de Claudio Monteverdi (1567-1643).

La cantate de Carl Orff se veut accessible au plus grand nombre. Composé en 1937, elle est la première partie des "Triofi", une trilogie incluant les "Catulli Carmina" et le "Trionfo di Afrodite". Les chœurs y tiennent une place déterminante tout au long de l'œuvre. C’est grâce à leur emploi si caractéristique que Carmina Burana a trouvé place auprès d’un large public, mais aussi grâce à l’usage d’un langage musical simplifié. En effet, sur le plan de l’harmonie, du rythme comme de la polyphonie, Carl Orff a évité de complexifier inutilement, jusqu'à aller à l’encontre des procédés des développements d’écritures propres au classique de cette période. Seul, peut-être, Stravinsky pour l’orchestration et Bartók pour le rythme auront influencé le compositeur dans ses choix.

Aujourd'hui, des années après sa création, et après plusieurs réductions, dont celles produites par le compositeur allemand Wilhelm Killmayer et l’Espagnol Juan Vicente Mas Quiles, l’œuvre de Carl Orff demeure aussi efficace qu'au premier jour. On comprend dès lors que sa place dans l’histoire des musiques du 20e siècle soit amplement justifiée, comme elle le fut d'ailleurs durant le Troisième Reich auprès du peuple allemand.

Wurfzabel, Tabula game


LE « O FORTUNA » DU CARMINA BURANA

C’est la pièce qui introduit le Carmina Burana. Le thème central du O Fortuna est celui de la roue de la fortune (fortuna) et des aléas de la vie qui s’y accrochent. Dès les premières notes, la puissance est là, d’une détermination à toute épreuve, à la fois lente et imposante.

L’accompagnement en ostinato est là pour œuvrer à sa guise. Suite à l’introduction, nous avons trois couplets. Le premier est très doux, mais nerveux, tandis que le second s’exécute comme un long crescendo jusqu’au troisième où le déchaînement choral est total, voire violent et, après une vocalise, le O Fortuna se conclut sur une longue note accompagnée de deux accords.

Outre la publicité et quelques incursions dans des émissions télévisées, le cinéma a semble-t-il été sensible à cette introduction révélatrice du Carmina Burana. Sa force indomptable enrobée de mystère s'est accordée au traitement de quelques mises en scène. Citons : Excalibur de John Borman (1981), Glory d’Edward Zwick (1989), The Doors (1991) et Tueurs nés (1994) d’Oliver Stone, ou encore à travers le film de Simon West, Le Déshonneur d'Elisabeth Campbell (1999). Le rock aussi, avec le groupe Trans-Siberian Orchestra qui a gravé en 2009 une version pour chœurs et guitare électrique, basse et batterie sur leur album Night Castle.


CARL ORFF “O FORTUNA” (CARMINA BURANA)
Chicago Symphonic Chorus, maitre de chœur: Margaret Hillis – Glen Ellyn Children’s Chorus, chorus master : Doreen Rao – Chicago Symphony Orchestra, direction : James Levine (1985)

À PROPOS DE CARL ORFF ET DU «  CARMINA BURANA »

Cari Orff (1895-1982) est un cas isolé dans l'histoire de la musique germanique. Musicien autodidacte, il est venu sur le tard à la composition, et s’il désigne lui-même ses œuvres comme des pièces de « théâtre musical », il n’hésite pas à sauter par-dessus l'intégralité de l'histoire de l'opéra, pour dégager l'esprit du théâtre antique, ou tout au moins de l'idée qu'il s'en faisait.

Carl Orff (1956)

Le premier triomphe mondial de cette esthétique si personnelle sera obtenu avec le Carmina Burana. Or, un tel succès dans une époque aussi trouble s'accompagnera aussi de quelques critiques acerbes... « Cette première œuvre définit un style qui n'a guère varié depuis : une rythmique primitive et obstinée, une harmonie très rudimentaire et un vocabulaire mélodique primitif lui aussi, fréquemment pentatonique et procédant également avec obstination dans une ambiance de répétition incantatoire. » commentera Claude Rostand. Heinrich Strobel, autre critique musical, ira encore plus loin en écrivant cette phrase : « La musique de Orff — si on veut bien lui reconnaître ce nom de musique ,— est volontairement sans art. »

« Sur un fond orchestral simplifié et basé sur une vaste percussion répétant infiniment le même schéma rythmique, la voix humaine est requise pour une récitation monocorde de phonèmes, le plus souvent en langue étrangère (latin, grec), et à travers balbutiements syllabiques et cris inarticulés. Parfois, enfin, une aria se dégage. Ni modulations, ni contrepoint ne viennent surprendre ou même intéresser l'oreille de l'auditeur, qui entre progressivement dans un état quasi hypnotique. Le Troisième Reich l'avait bien compris : si Richard Strauss fut toléré en Allemagne, seul Cari Orff fut utilisé et fêté par le régime nazi, sans avoir véritablement à entrer en conflit avec lui. », précise la musicologue Stephane Goldet.

En effet, en dépit de la volonté des nazis de voir en Carl Orff un de ses musiciens officiels, le compositeur ne semble n’avoir jamais adhéré ni aux valeurs prônées, ni au discours tenu par le régime en place. Toutefois, on peut constater que cette esthétique a su plaire à cette Allemagne conquérante, en dégageant une méthode d'enseignement de la musique par le rythme, associant arbitrairement à celui-ci des formules rythmiques à leur expression la plus simple par l’usage de claquements de mains et de pieds.

On constate également que cette approche trouvera un écho en France après la Deuxième Guerre mondiale. Carl Orff, aurait-il été un pédagogue par défaut ? Peut-être bien ! Cependant, si sa pédagogie musicale à lui s’est développée autour de son atelier éducatif (le ‘Orff-Schulwerk’), elle s’est construite également à travers le mouvement des « musiques actives » destinées aux enfants et auquel il a activement participé.

Par Patrick Martial (Cadence Info - 11/2017)


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