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PRINCE ET MICHAEL JACKSON, LA RIVALITÉ MÉDIATISÉE

À l'aube des années 1980, deux météorites enflamment la scène musicale par les deux bouts : Michael Jackson et Prince. Si le hasard fait qu’ils sont nés la même année, leur personnalité écrasante fera également qu’ils ne chanteront jamais ensemble. Ces deux artistes-là étaient dotés d'un génie musical et chorégraphique hors du commun : légendaire moonwalk pour l'un, sensualité brûlante pour l'autre. En faux jumeaux et éternels rivaux, le "roi de la pop" et le "prince du funk" happeront le public blanc en devenant deux icônes planétaires.


PRINCE ET MICHAEL JACKSON, DEUX ARTISTES PARMI D’AUTRES

Malgré les acquis de la lutte pour les droits civiques durant les années 60/70, les années 80 sont curieuses et contradictoires pour la communauté Noire Américaine ; celle-ci faisant tantôt un pas en avant quand ce n’est pas deux en arrière. Le "reaganisme" accentuera d’ailleurs le fossé entre celui qui a et celui qui n’a pas.

À la fin des années 70, Michael Jackson et Prince ne sont que des artistes parmi d’autres. Pour Michael Jackson, une carrière prometteuse est déjà engagée avec les Jackson Five, mais c’est en 1979, grâce à la sortie de son premier album solo, Off the Wall, que sa vie artistique va basculer. Le disque enchante les fans de toujours tout en attirant une nouvelle génération d’admirateurs. Off the Wall est également la première collaboration fructueuse entre le chanteur et le célèbre producteur et chef d'orchestre de jazz, Quincy Jones.

Pendant ce temps-là, à Minneapolis, loin des plateaux de TV et des centres urbains de la musique noire que sont Detroit, Atlanta et Memphis, un jeune musicien surdoué fait son chemin. Prince Roger Nelson met en route sa propre mythologie.

S’il est possible de retracer sa carrière, il n'en est pas de même de son enfance. En effet, Prince n’a que dix ans lorsque son père, musicien de jazz, quitte le domicile familial. La musique devient dès lors un refuge existentiel. Ses influences musicales, aussi proche de Jimi Hendrix que de Sly and The Family Stones, ses capacités à explorer divers instruments tels la batterie, la basse, la guitare ou les claviers deviennent autant d’atouts entre ses mains, et dès l’âge de 14/15 ans, on le remarque sur les petites scènes où il se produit.

© Getty/Kevin Mazur/Penner (wikipedia) - Michael Jackson (1995) et Prince (2008)


LES ANNÉES 80, LA DÉCENNIE PHARE

La décennie 80 est sous le signe d'une certaine ambiguïté qui conjugue révolution sexuelle et révolution gay. Les gens s’habillent plus librement et bougent avec une plus grande liberté. Prince est ostensiblement sexuel et il joue sur cette ambiguïté. Chez lui, la féminité n’est jamais vraiment très loin. Le chanteur voulait choquer et il réussissait à conduire son public là où il désirait. On songe alors à David Bowie ou à Alice Cooper, des artistes aussi extravagant que lui dans leur apparence scénique.

Dès lors la réputation de Prince le précède, et ce n’est plus à Minneapolis, mais à Hollywood qu’il trouve les deux musiciennes qui vont devenir ses collaboratrices les plus fidèles : la claviériste Lisa Coleman dès 1980 et trois ans plus tard la guitariste Wendy Melvoin.

Si au début des années 80, Prince reste une énigme pour le public rock, il n'en est pas de même avec Michael Jackson qui joue devant une audience acquise à sa cause. Or, le chanteur qui demeure sous l’égide de son père se voit contraint de partir une fois de plus en tournée avec ses frères. Michael qui vivait encore chez ses parents n’avait pas le choix. Face à un "papa manager" assez cruel, Michael cherchait toujours à protéger sa mère. Tensions et stress s’accumulaient. Une position difficile à vivre et à tenir, et qui a certainement poussé le jeune chanteur dans ses retranchements et à faire des choix radicaux pour la suite de sa carrière comme dans sa vie privée.

Prince ne va pas attendre que Michael Jackson règle ses histoires de famille pour, de son côté, lui lancer un premier défi. Fin 82, il sort un disque intitulé, paradoxalement, 1999. Prince change de registre en proposant un double album dans la pure tradition pop. Album après album, Prince séduit de plus en plus les radios. Son public s’élargit et les tournées aussi. Les premiers tubes sont là comme Little Red Corvette et les premiers clips promotionnels également.


DE THRILLER À PURPLE RAIN

MTV ouvre ses portes aux artistes noirs. Prince, Michael Jackson et Lionel Richie envahissent les petits écrans. Les clips Beat It, Billie Jean et surtout Thriller de Michael Jackson produisent une révolution dans l’industrie musicale. Ils feront le tour de la planète. Le clip de la chanson Thriller, avec ses 14 minutes, dépasse alors la durée de tous ceux réalisés jusqu’alors. Thriller bénéficiera de l’arsenal complet d’une grosse production. Un budget record pour l’époque de 800 000 dollars, des dizaines d’heures de maquillage et un réalisateur chevronné, John Landis, ont depuis fait entrer ce clip dans l’histoire de la musique.

Michael devient le roi du cross-over. Grâce à cette mise en image, l’artiste brille autant par ses chansons que par la trajectoire visuelle qu’il projette sur son public. Le disque Thriller qui, comme son prédécesseur, est produit par Quincy Jones, s’installe directement tout en haut des charts. Un mois après sa sortie en décembre 82, grâce notamment aux diffusions des clips, l'album Thriller passe la barre du million d’exemplaires vendus.

À l’approche de l’été 83, grâce au succès phénoménal du disque, Michael Jackson prend clairement la main. Cependant, Prince ne manque pas d’idées… Pendant la tournée de l’album 1999, confronté au succès énorme de Thriller, Prince commence alors à prendre des notes dans un calepin violet, avec l’intention d’écrire un scénario de long métrage sur sa propre histoire… De retour à Minneapolis, le chanteur met les choses en route... Au club « First Avenue », durant l’été 83, il révèle au public quelques titres qui figureront dans son film Purple Rain. Et c’est finalement le 1er novembre 83 que le tournage commence.

Prince s’investit énormément dans le projet, devant et derrière la caméra, pour que tout soit à son goût. Le 27 décembre, tout est en boîte pour une sortie prévue l’été suivant. Avec les ventes de Thriller qui grimpent, 1984 s’annonce donc comme l’année du clash des titans. Les deux clans se préparent pour un combat décisif…


L’ANNÉE DU ROMAN '1984'

Certaines années sont gravées dans la mémoire collective : 1945, 68 et, grâce au roman de George Orwell, 1984. Même si Orwell prévoyait le pouvoir des médias sur la société, il ne pouvait pas imaginer qu’en 84, deux artistes noirs allaient balayer toutes les normes du star-system…

L’année 84 commence pour Michael Jackson avec le tournage de plusieurs pubs pour Pepsi. Pour un artiste noir-américain, c’est la consécration. John Branca, son avocat, lui négocie un contrat lucratif, mais Michael Jackson rechigne. Ce dernier se mêle de la mise en scène et limite à quelques secondes sa présence à l’écran. Ce qui paraît être un nouvel aspect juteux de sa carrière va finalement tourner au vinaigre et le marquer physiquement et mentalement.

Durant le tournage, ses cheveux prennent feu accidentellement et Jackson doit rentrer à l’hôpital. Plus de peur que de mal se disent alors les fans en voyant le chanteur se rétablir très vite, d’autant plus qu’à l’horizon se profile sa consécration aux "American Music Awards". 1984 sera donc l’année du couronnement officiel du « roi de la pop ». Ce soir-là, devant Quincy Jones, Diana Ross et un public en folie, Michael Jackson rafle sept prix pour les chansons individuelles de Thriller et y ajoute un prix d’honneur.

Sur sa lancée, le 14 mai, Michael Jackson est invité par le président Reagan à faire une apparition dans le jardin des Roses de la Maison-Blanche… mais en vérité, c’est Michael qui a tout manigancé en demandant à son avocat de provoquer cela, sous le prétexte d’utiliser la chanson Beat It pour une campagne contre l’alcool au volant.

La grande puissance médiatique du Michael Jackson d’alors ne souffre d’aucune comparaison, pourtant il tient à être au courant des moindres faits et gestes artistiques de Prince, et il s’arrange avec le studio Warner pour regarder son film avant sa sortie. Après la projection, un membre de son entourage demande son avis. « La musique est pas mal, mais je n’aime pas Prince. Il a l’air méchant. Je n’aime pas sa façon de traiter les fans dans le film. Ça me rappelle ma famille. »

L’avis de Michael Jackson n’est certainement pas le principal souci de Prince qui prépare la sortie de son film. Or, contre toute attente, Purple Rain fait un vrai carton. L’univers de Prince bascule tout à coup sans que personne ou presque ait prévu cela. Prince vient de rejoindre Michael Jackson, Mick Jagger et les autres stars de la musique, avec à la clé un film entièrement consacré à son personnage. En quelques jours, l’album et le film arrivent en tête des classements.

La suprématie éclatante de Michael Jackson commence à se fissurer, d’autant plus que des rumeurs de querelles familiales tenaces voient le jour. Certaines dates de la tournée « The Jacksons’ Victory Tour » sont compromises. La rupture professionnelle entre Michael, ses frères et son père est déclarée. La famille, qui souhaite tirer un maximum d’argent de cette tournée, confie au promoteur de boxe peu recommandable, Don King, le soin de l’organiser. Michael, ne manquant pas d’argent, impose alors ses conditions. Le résultat ne se fait pas attendre : une ambiance tendue dans les coulisses, des frères qui ne voyagent plus ensemble, et beaucoup d’animosité, mais, en grand professionnel, Michael n’oublie pas son public et se donne à fond sur scène.


LES PREMIERS SIGNES DE DÉRAPAGE

Aux "Americain Music Awards" de l’année 85, ce n’est plus Michael Jackson qui monte sur le podium : c’est Prince, accompagné de son groupe The Revolution, qui profite du moment glorieux. À peine la cérémonie de remise des prix terminée, toutes les stars du rock présentes filent directement aux studios A & M afin d’enregistrer, sous la direction de Michael Jackson, Quincy Jones et Lionel Ritchie, la désormais célèbre chanson caritative contre la faim dans le monde, We Are the World. Autour du « roi de la pop », Diana Ross et tous les autres. Une seule star manque à l’appel : Prince, évidemment. Celui-ci est invité à participer, mais refuse, prétextant qu’il écrira une chanson à l’égale de celle-ci de son côté.

Fidèle à son habitude d’aller de l’avant et de faire l’opposé de ce qu’on attend de lui, Prince sort un album pop psychédélique, Around the World in a Day, qui reste trois semaines en tête des charts, détrônant au passage USA for Africa. Face à cette reconnaissance, Prince commence à avoir des envies de grandeur. En collaboration avec la Warner, il crée le label "Paisley Park Records", et rachète un entrepôt près de Minneapolis pour y construire son studio d’enregistrement et songe déjà à son prochain film qu’il désire tourner en France.

Si on cherche les premiers signes d’un dérapage chez Michael Jackson, c’est peut-être en Californie, dans la petite ville de Los Olivos qu’il faut aller chercher ; dans ce lieu un peu perdu où fut tourné en 1983 le clip de la chanson Say Say Say avec Paul McCartney. Séduit par le Sycamore ranch où avaient logé les deux stars, Michael Jackson est bien décidé à en faire un parc d’attractions. C’est chose faite et cela s’appellera Neverland. C'est aussi là que germe l’idée de racheter le catalogue des Beatles. Une mine d’or. Deux ans plus tard, c’était fait également…

Si le business n’est qu’un élément dans sa quête de grandeur, aujourd’hui, l’évocation de son nom nous ramène directement aux excentricités du personnage plus qu’à sa musique ou à son art en général. Michael Jackson était-il bizarre ? Certainement ! Entre le caisson à oxygène et un chimpanzé comme animal de compagnie, sans oublier les rumeurs révélées par le camp Jackson, on est en droit de s’interroger sans y voir la moindre malice ou le coup de « com » soigneusement préparé. Quant à la chirurgie faciale, elle a commencé à faire ses ravages jusqu’à le rendre méconnaissable. Le choix était certes personnel, pas du tout imposé, seulement lié à son désir de pouvoir tout contrôler sur son image. Cependant, l’artiste avait fini par tout regretter, se cachant, angoissé, poursuivi par une presse people à la recherche du nouveau scoop.

Prince avait créé sa méthode, son mythe, mais en gardant le silence sur sa vie, ne faisant que chanter et danser aux yeux du public. Prince vivait sa vie en fonction de ce que les magazines disaient de lui, simplement pour prouver que ce n’était pas vrai. Il provoquait l’événement, le conduisait à sa guise, jouant à la façon d’un chat avec une souris.


LA FIN DES RÈGNES

User the Cherry Moon, second film de Prince, est tourné en France sur la Côte d’Azur. Prince partage l’affiche avec Kristin Scott Thomas, mais, au début du tournage, il se sépare de la réalisatrice et prend le pouvoir sur le plateau. Pour ses musiciens, l’ambiance créatrice et novatrice de Purple Rain brille de sa cruelle absence, et ce, malgré la collaboration active aux écritures de ses deux anges féminins, Wendy Melvoin et Lisa Coleman. Dans sa tête, Prince est déjà ailleurs, sur une autre route…

À sa sortie, les critiques, qui s’attendant à une suite de Purple Rain, sont pour la plupart très sévères, traitant le chanteur d’égomaniaque qui ne se refuse rien. N’acceptant pas la critique, le chanteur décide d’annuler la quasi-totalité des dates de la partie américaine de sa tournée « Parade ». Et si le groupe semble soudé sur scène, il ne l’est pas dans les coulisses. Une ambiance de fin d’époque habite la tournée qui se dirige vers le Japon pour le bouquet final. Prince a changé et ne s’investit plus autant, attendant et préparant l’étape suivante comme une fatalité. Le chanteur voyage seul avec ses gardes du corps. Le show-business a pris le dessus, emportant tout sur son passage et provoquant la séparation du groupe.

En 1987, avec Bad, son troisième album solo produit par Quincy Jones, Michael Jackson est bien décidé une fois pour toute à montrer au monde entier et à Prince qui mène la danse. Au fond, Jackson voulait que Prince participe au clip pour lui dire : « Qui assure ? Qui est le meilleur ? » En retour, à l’écoute de la chanson, Prince n’aima évidemment pas. Il n’aima ni les paroles, ni le rythme, pas assez funky à son goût. Toutefois, ne nous méprenons pas, Prince respectait la créativité et le succès de Michael. Au-delà de la simple performance artistique, Prince considérait Michael comme son égal en termes de musique.

Au bout de quelques années au sommet, Michael Jackson et Prince étaient devenus des monstres sacrés, avec leur propre image comme unique référence. Dès lors, une question se posait : Comment se renouveler quand on n’a plus rien à prouver ? Pour Michael, après la bombe Thriller, et Bad qui avait assez bien marché, c’était stagner ou chuter… et la chute arriva au cours des années 90. Michael s’isola de plus en plus à Neverland. Trop, diront ses proches.

Aujourd’hui, le parc d’attraction de Neverland et le zoo de Michael Jackson n’existent plus. Son ancienne maison est devenue à jamais silencieuse et vide, Michael Jackson nous ayant quittés pour toujours le 25 juin 2009. Cette disparition soudaine a renforcé le mythe, et lui a permis d’entrer dans la légende, où il a rejoint Elvis, Lennon, Hendrix et d’autres.

À Chanhassen, dans la banlieue de Minneapolis, existe un autre Xanadu, celui de Prince. Derrière les grilles de son "Paisley Park Studios" planait également le mystère, même si au départ le but de Prince était clair : produire dans ce lieu un maximum de musique. Prince n’était pas du genre à fréquenter négligemment le reste du monde dans un contexte social. Aujourd’hui, quelque temps après sa disparition, on peut déjà affirmer qu’il existait dans sa capacité artistique à danser et à chanter, quelque chose de magnétique, de très sexuel. Une question de séduction très certainement auréolée par une jeunesse triomphante où l’art et la manière, le respect aussi, ont trouvé grâce. Prince, mais aussi Michael Jackson ont incarné parfaitement cela, non seulement sur le plan musical, mais aussi en utilisant les rouages de l’industrie, des médias, comme jamais auparavant.

Par Elian Jougla
librement inspiré du documentaire Doctor Prince et Mister Jackson de Philippe Priestley (Cadence Info - 06/2016)

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