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TIKEN JAH FAKOLY : RACINES - PORTRAIT INTERVIEW

Pour son dernier album, le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly a décidé de rendre hommage à l’âge d’or du reggae. Les 11 titres qui composent Racines regroupent les chansons qui ont marqué son adolescence. Outre des reprises de Bob Marley, Syl Johnson ou Burning Spear, Tiken Jah a invité Ken Boothe, U-Roy et Max Romeo pour l’enregistrement de quelques titres...


L’ENGAGEMENT DE TIKEN JAH

Tiken Jah Fakoly découvre le reggae à l’adolescence. Il n’envisage pas de devenir artiste jusqu’au jour où il entend Alpha Blondy qui sera pour lui l'élément révélateur. C’est grâce à lui que Tiken Jah amorcera une carrière toute dévouée au reggae. Cette musique-là l’inspire, car elle est source de valeurs. Elle éveille les consciences par ses textes engagés, par ses messages éducatifs.

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Le chanteur prend si bien cela à cœur que son album Françafrique, enregistré en 2002, l’obligera à s’exiler vers un état voisin, le Mali. Tiken Jah a un rêve qui le poursuit : construire les États-Unis d’Afrique. Il croit en l’éducation, conscient qu’il ne sera possible de réaliser cette belle aventure que quand la majorité des Africains seront lire et écrire, conscient également que le sol africain est riche culturellement et économiquement mais, qu’en fait, il est toujours face à la corruption et aux pillages de ses ressources. Sa vision, toute droite héritée de Bob Marley, chanteur visionnaire s’il en est, a fait de Tiken Jah un artiste missionnaire très actif, investi par le pont transatlantique qui unit la Jamaïque, terre du reggae, à l’Afrique, terre de traditions ancestrales, mais aux consciences éveillées porteuses d'espoir.


LA RÉUNION DU MEILLEUR POUR RACINES

Pour Racines, Tiken Jah Fakoly souhaitait s'entourer du meilleur. Nul doute, son vœu a été exaucé. Jugez vous-même... Robbie Lyn, le spécialiste jamaïcain des claviers qui a accompagné tous les noms prestigieux de la planète reggae, Sly Dunbar à la batterie et Robbie Shakespeare à la basse, certainement la plus solide des rythmiques tout terrain que l’histoire de la musique a fabriqué - on ne compte plus les sessions de studio ni les groupes auxquels ils ont participé -, et Mikey Chung qui a trimbalé sa guitare un peu partout, posant ses accords aussi bien chez James Brown que chez Grâce Jones ou Serge Gainsbourg, quand ce dernier pensait reggae. Nul doute aussi que tous ces vétérans de haute volée n’ignorent rien de ce qui touche de près ou de loin au répertoire jamaïcain.

L’album Racines est un album construit aussi autour de rencontres. La plus sympathique et la plus inattendue est certainement celle de Jah9, jeune chanteuse ivoirienne qui, cherchant à rencontrer Tiken, a débarqué à l’improviste dans le studio Tuff Gong à Kingston. De cette rencontre, sa voix veloutée s’est posé sur Fade Away, une reprise de Junior Byles.

Parmi les autres chanteurs qui ont accepté la proposition de Tiken Jah, il y a Max Romeo, un petit homme de 70 ans qui a construit sa carrière en même temps que Bob Marley. Les chansons Chase the Devil, One Step Forward ou War Inna Babylon, c’est lui. Max Romeo a l’esprit « roots and culture ». Ensuite, nous avons Ken Boothe, qui rêve de l’Afrique et qui chante un texte sur les préjugés raciaux (Is It Because I’m Black, chanson inspirée par le crime raciste de Ferguson, aux États-Unis). Enfin, U-Roy, le doyen de la bande, pose sa voix grave sur la reprise de la célèbre chanson Get Up Stand Up de Bob Marley.

Le disque Racines n’est pas un pur produit estampillé "Jamaïque". Même si la mouture première a été enregistrée dans l'île, avec l’utilisation d’instruments africains, Racines transporte dans ses bagages les traces sonores d’un art africain déployant toute sa puissance. Les chansons réarrangées projettent le reggae jamaïcain dans une autre dimension, tout en construisant un pont fraternel et chaleureux entre artistes jamaïquain et africain. Il ne pouvait en être autrement avec Tiken Jah Fakoly.


INTERVIEW TIKEN JAH FAKOLY

Bonjour Tiken… Votre dernier album s’appelle Racines. C’est un album constitué de grands standards du reggae jamaïcain, mais pas seulement. Quand on jette un regard sur votre parcours artistique, il y avait déjà eu un petit essai en 2007 avec l’adaptation de la chanson de Sting, Englishman in New York. Qu’est-ce qui vous a décidé à enregistrer un album entièrement fait de reprises ?

Tiken Jah Fakoly" : au début de ma carrière, si je ne faisais pas de reprises, c’est par ce que je ne voulais pas ressembler à quelqu’un. J’ai souvent remarqué que les chansons reprises par des potes faisaient penser trop souvent à des copies. Ils avaient des timbres de voix trop proches, et c’est ce qui m’a bloqué à mes débuts. Mais Racines, c'est autre chose. Il était important que je fasse cet album-là, simplement pour rendre hommage à l’âge d’or du reggae. J’ai voulu aussi, à travers cet album, démontrer que la source du reggae, c’est l’Afrique, même si cette musique-là a été créée en Jamaïque. J’y ai placé des instruments traditionnels comme la kora ou le balafon sur des titres connus… Cet album concrétise aussi une prophétie de Bob Marley qui avait dit lors d’une interview que le reggae retournerait un jour à la source.

Vous avez enregistré une partie de l’album à Kingston, dans le studio mythique de Bob Marley, Studio Tuff Gong et puis la partie africaine à Bamako… Est-ce que les Jamaïcains avec qui vous avez travaillé ont cet attachement à l’Afrique ?

Oui. Ils étaient d’ailleurs très heureux de voir que leurs voix allaient voyager jusqu’en Afrique, surtout Ken Boothe. N’ayant jamais été en Afrique, Ken était ravi de faire un titre avec moi… Tous les gens qui sont dans l’album sont attachés à l’Afrique, d’ailleurs cela se ressent dans leurs chansons. Tous les Jamaïcains disent leur appartenance à l’Afrique. Ils ont la nationalité jamaïcaine, c’est leur patrie, mais ils sont très attachés à l’Afrique.

Comme avez-vous constitué la liste de l’album, car j’imagine qu’il existe une liste astronomique de titres que vous aimez ? Les 11 titres qui y figurent sont-ils la bande son de votre vie ?

Ce sont des titres que j’écoutais quand j’étais adolescent quand j’habitais dans mon petit village au nord de la Côte d’Ivoire. À l’époque, il n’y avait pas d’électricité. J’avais un lecteur de cassettes avec des piles. Quand je me baladais dans le village le week-end, j’écoutais les titres à la mode, Burning Spears… Les titres que l’on a choisis sont parmi ceux-là.

Et le point en commun entre toutes ses chansons, ce sont leurs messages ?

Exactement… Mais l’important, c’est que leurs messages soient encore d’actualité aujourd’hui. Quand on écoute Is It Because I’m Black ? de Syl Johnson, un titre qui a été chanté pour la première fois en 1968 au moment où l’Amérique était en pleine ségrégation, et qu'aujourd’hui on voit aux États-Unis les images de policiers en train de maltraiter des Noirs, de les tuer, on se dit que le message de ce titre est encore d’actualité. Quand on voit le mouvement de révolte en Afrique contre le changement de constitution au Burundi, au Congo-Brazzaville ou au Congo-Kinshasa, on se dit que la paix serait utile à bien des jeunes qui n'ont qu'une envie, celle de montrer la force du peuple aux dirigeants.


TIKEN JAH FAKOLY : IS IT BECAUSE I'M BLACK ? (feat. Ken Boothe)

Sur cet album, vous avez fait de belles rencontres : Ken Boothe, Max Romeo aussi. Comme se sont-elles passées, car à ce moment-là vous avez rencontré des idoles ?

Ils étaient très heureux qu’un artiste ait choisi de reprendre un de leurs titres. En Jamaïque, aujourd’hui, le reggae existe encore, mais les gens sont plus branchés dancehall. La nouvelle génération écoute plutôt du reggae roots… Quand ils sont venus dans le studio, il y avait toute une ambiance… Avec Max Romeo, j’ai beaucoup parlé d’agriculture, car j’aime ça et que lui est agriculteur, avec Ken Boothe, on a parlé d’Afrique car son rêve, c’était d’y aller… Et U-Roy, c’est avec lui que je me sens le plus proche. On a travaillé ensemble pour la première fois en 2002 pour Françafrique en enregistrant deux titres.

Dans votre album, il y a des reprises classiques du répertoire reggae. Il y a aussi Buju Banton qui lui est plutôt de la jeune génération avec un titre des années 90, Hills and Valleys. Pourquoi avoir choisi Buju Banton au milieu de tous ces classiques ?

Il me fallait absolument choisir un titre de la nouvelle génération qui soit proche du reggae roots et Hills and Valleys était le bon. C'est un titre qui a marqué l’histoire du reggae. J’ai rencontre Buju il y a une dizaine d’années quand je m’étais rendu en Jamaïque pour la première fois. Je suis allé chez lui, dans sa maison. C’était très sympa…

Il y a juste un titre africain, Brigadier Sabari d’Alpha Blondy. Pourquoi ce choix ?

Faire un album en hommage à l’âge d’or du reggae sans aucun titre d’Alpha Blondy, cela aurait été une injustice. Alpha a joué un rôle très important au moment où il a commencé à faire du reggae en Côte d’Ivoire, en chantant d’abord dans une langue africaine, puis en français. Tous les francophones pensaient que le reggae c’était pour les anglophones.

Par D. Lugert (Cadence Info - 01/2016)


TITRES DE L'ALBUM RACINES

  • 1. Is It Because I'm Black ? (feat. Ken Boothe) - original par Syl Johnson
  • 2. Get Up, Stand Up (feat. U-Roy) - original par The Wailers
  • 3. One Step Forward (feat. Max Romeo) - original par Max Romeo
  • 4. Slavery Days - original par Burning Spear
  • 5. Zimbabwe - original par Bob Marley & The Wailers
  • 6. Fade Away (feat. Jah9 (nl)) - original par Junior Byles
  • 7. Brigadier Sabari - original par Alpha Blondy
  • 8. Hills And Valleys - original par Buju Banton
  • 9. Christopher Columbus - original par Burning Spear
  • 10. Police And Thieves (en) - original par Junior Murvin
  • 11. African - original par Peter Tosh

Racines, de Tiken Jah Fakoly - 1 CD Barclay/Universal


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