"UNDER THE PINK", TORI AMOS : L'ALBUM DE TOUTES LES AUDACES

Si l'on met de côté l'expérience éphémère conduite au sein de son groupe Y Kant Tori Read, en 1988, et l'album de pop metal qui en découlera, Tori Amos avait parfaitement saisi la façon de galvaniser les médias rock en démontrant son tempérament de femme libéré. À travers les plages de son premier disque Little Earthquakes et du single Crucify, la sexualité, la religion et le machisme seront évoqués tour à tour sur un mode artistique qui rappelle étrangement ce qu'avaient initiées dans leurs démarches respectives Joni Mitchell et Kate Bush quelques années plus tôt.

Tout ce que la chanteuse avait dévoilé dans son premier album revient dans Under The Pink, mais avec plus de virulence. L'ambition est ici tout autre. Les arrangements soignés préservent nos oreilles de l'ambivalence qui domine chaque chanson, partagée entre la rudesse, la sévérité de certains textes et la tendresse des mélodies. Cette caractéristique lui vaudra d'ailleurs d'être plus finement apprécié en Europe qu'aux États-Unis, pour les raisons que je viens précisément d'exposer.

Under The Pink est un disque dans lequel règne une atmosphère et une couleur musicale toutefois cohérente. Tori Amos fait preuve d'un réel talent palpable sur la majorité des douze titres. Sa formation classique lui permet de laisser libre cours à son lyrisme, et si elle corne au passage de nombreuses références dans les domaines de la peinture et de la littérature, son héritage « classique » s'entend particulièrement dans Pretty Good Year en ouverture d'album et dans Yes, Anastasia, un hommage à la duchesse russe Anastasia Nikolaïevna, titre qui sert alors de conclusion. Toutefois, c'est Cornflake Girl qui remporte tous les suffrages en s'imposant comme le véritable tube de ce disque. Le sens caché et presque indéfinissable du texte, le balancement rythmique du piano et les surprenants changements de ton, serviront de signature à même de définir la personnalité charismatique de l'interprète.

TORY AMOS : "CORNFLAKE GIRL"

L'ART DE LA PROVOCATION

L'album a été enregistré dans une vieille hacienda perdue au fond du Nouveau-Mexique. Entourée de ses musiciens, Tori Amos a pu travailler dans des conditions qui permettent de rester concentré. Par ailleurs, les artistes invités seront rares durant les sessions. Outre Paulinho Da Costa aux percussions et John Philip Shenale à l'orgue, on notera la présence dans les chœurs de la chanteuse Maru Clayton (Cornflake Girls) et du chanteur Trent Reznor (Past The Mission), issu du groupe de metal Nine Inch Nails.

Si l'album semble hanté par ce lieu isolé, l'art de la composition reste cependant rigoureux. Sur un titre comme God, dans lequel Tori Amos fait preuve de blasphème en proposant à Dieu d'avoir une « copine » pour stabiliser son existence, la musique garde le cap en utilisant une métrique atypique pour de la chanson, mélangeant à la formule carrée du 4/4, un balancement instable en 6/8. L'utilisation d'un piano préparée dans Bells For Her renforce également ce désir de dénoter et de fractionner le convenu.

Cette déroute revendiquée vise également les textes. Le titre Pretty Good Year s'installe au piano dans une douceur romantique avec un texte énigmatique et décousu, alors que pour Icicle, Tori Amos évoque sa vision d'une masturbation féminine peuplée de sous-entendus. C'est certainement par de telles mises en perspective que Tori Amos évite d'être enfermée, à l'image d'une artiste stéréotypée qui aurait recours à la facilité pour imposer ses chansons. De la même façon que Joni Mitchell et Kate Bush cités précédemment, elle poursuit sa destinée en s'affranchissant des modes et des repères, tout en jouant de son charme et de sa sensualité.

Sa manière de mener sa carrière continuera de surprendre quand, en septembre 2001, la chanteuse publiera un album de reprises intitulé Strange Little Girls. Tory Amos ose l'impensable avec des relectures extrêmement personnelles de chansons signées The Stranglers (Strange Little Girl), Depeche Mode (Enjoy The Silence) et même Tom Waits (Time) et Eminem (97 Bonnie And Clyde) ; un choix éclectique dont la mention spéciale revient à I Don't Like Mondays du groupe irlandais Boomtown Rats. Dans cette chanson interprétée seule au piano, la chanteuse américaine fait preuve d'une telle sincérité qu'on croirait le titre composé pour elle.

Par D. Lugert (Cadence Info - 08/2023)

TORY AMOS : "PRETTY GOOD YEAR"

LES TITRES

Toutes les chansons ont été écrites et composées, par Tori Amos

• 01. Pretty Good Year (3:25)
• 02. God (en) (3:58)
• 03. Bells For Her (5:20)
• 04. Past The Mission (4:05)
• 05. Baker Baker (3:20)
• 06. The Wrong Band (3:03)
• 07. The Waitress (3:09)
• 08. Cornflake Girl (5:06)
• 09. Icicle (5:47)
• 10. Cloud On My Tongue (4:44)
• 11. Space Dog (5:10)
• 12. Yes, Anastasia (9:33)

PERSONNEL

• Tori Amos (chant, piano)
• Steve Caton (guitare - titres 2, 4 & 11)
• Steve Clayton (guitare, mandoline - titre 8)
• George Porter Jr (basse - titres 2, 4, 7, 8 & 11)
• Dominique Genova (contrebasse - titres 1, 5, 10 & 12)
• Carlo Nuccio (batterie - titres 2, 4, 7, 8 & 11)
• Paulinho Da Costa (percussions - titres 2, 4 & 8)
• Trent Reznor (chœurs - titre 4)
• Maru Clayton (chœurs - titre 8)
• John Philip Shenale (orgue hammond - titre 6)
• Ensemble à Cordes : Chris Reutinger, Francine Walsh, John Wittenberg, Michael Harrison, Nancy Roth (violon) ; Cyntia Morrow, Jimbo Ross, John Acevedo (alto) ; Dane Little, Melissa Hasin, Nancy Stein-ross (violoncelle)

Tori Amos
album "Under The Pink"
année de sortie : janvier 1994
chez "Atlantic Records"