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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

TROUBADOURS ET TROUVÈRES, DES CHANSONS D'AMOUR RAFFINÉES

La poésie lyrique des troubadours et trouvères repose sur les conventions de l'amour courtois. Dès le 12ᵉ siècle, la chanson d'amour, raffinée et profane, plus aristocratique dans le Sud où elle apparaît vers 1100, nuancée d'une bourgeoise rusticité et plus tardive d’un demi-siècle dans le Nord, sollicitera tout le talent de ces poètes et musiciens d'un autre temps...


MISE EN PERSPECTIVE DE LA CHANSON MONODIQUE

La chanson suppose un double apport, celui des paroles et celui de la musique, à quoi l'on peut ajouter un hypothétique accompagnement, simple doublure de la mélodie ou éventuel bourdon d'une ou deux notes. Qu'il renvoie à une racine occitane ou française, le « trouveur » reste l'inventeur d'un morceau qu'il n'exécute qu'occasionnellement, à l'inverse du jongleur, chanteur-acrobate itinérant qui fait commerce de son seul art d’exécution. Ainsi naissent les deux acteurs de la légende musicale du dernier millénaire, le compositeur et son interprète.

© libraria-occitana.org ─ "Les troubadours" par Henri-Irénée Marrou (Éditeur : Points).

Les origines de la monodie profane restent particulièrement obscures, surtout en ce qui concerne les sources du matériau musical qu'elle met en œuvre. Les hypothèses les plus ingénieuses et les mieux fondées ne permettent pas, en effet, de comprendre la perfection formelle et syntaxique de ce genre lorsqu'il fait son apparition historique à l'aube du 11ᵉ siècle.

Si le problème des sources de la chanson monodique reste posé, l’histoire de son organisation et de son développement est assez bien connue. Existant probablement dès l’époque carolingienne, mais structurée seulement vers 1100, elle connaît son apogée, en France, au cours des 12ᵉ et 13ᵉ siècles, avant d'être détrônée par la chanson polyphonique, survivant principalement en Allemagne grâce à l'action des Minnesänger (littéralement « chantres de l'amour courtois »), puis des Meistersinger (« maîtres chanteurs ») jusqu'au soir de la Renaissance. On notera, par ailleurs, l'importance accordée au groupe instrumental avec la présence de rebecs, luth, flûtes, tambourin, etc.

Sous la forme galante et populaire de la pastourelle, la chanson monodique s'intègre au jeu d'une tournure théâtrale médiévale dont l'exemple le plus fameux demeure le Jeu de Robin et Marion (vers 1282) du « dernier des trouvères », Adam de la Halle. Dans les Temps modernes, la chanson monodique a cappella continuera d'exister, mais de façon exceptionnelle (sur scène, par exemple, pour provoquer un effet dramatique).


CARACTÈRES ET STRUCTURES

La structure est strophique, avec présence fréquente, mais non obligatoire, d'un refrain dont la mélodie peut ou ne pas être liée à celle du couplet. Une double mesure est mise en jeu : la syllabe et le vers, entendu que ce dernier peut être de longueur variable ou égale. La strophe fréquemment usitée et élaborée regroupe huit vers de dix syllabes.

Le plus remarquable, dans la chanson monodique, demeure l'équilibre artistique opéré entre les conventions mélodiques et les impératifs poétiques, jeu savant qui relève d'une subtile « convenance ». Reste une difficulté de taille : la restitution sonore de la chanson repose sur une notation — notamment rythmique — trop aléatoire pour ne pas diviser les musicologues quant à son authenticité. Ne perdons pas de vue que nous sommes ici « dans une sphère interprétative et non dans celle des choses exactes et avérées » (Gérard Le Vot, musicologue).

Le titre d'une chanson monodique est apporté par son incipit (les premiers mots du texte) ; noter que l'on ne possède généralement (surtout pour les troubadours) que le texte de ces chansons, des notes qui nous ont été transmises par les « chansonniers » à travers des recueils manuscrits datant des 13ᵉ et 14ᵉ siècles (chansonnier de Saint-Germain-des-Prés, chansonnier de Milan, etc.).


LES TROUBADOURS, MUSICIENS DU SUD

© pictures.abebooks.com ─ "Troubadours, Trouvères Et Jongleurs" par Gérard Lomenec'h (Édité par Ouest-france, 2013).

À la fin du 11ᵉ siècle apparaissent au sud de la Loire, des mélodies composées par des poètes musiciens sur des textes en langue d'oc.

Le premier troubadour connu est Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine (1071-1127), qui chante ses exploits en vers sur des mélodies. Après lui, Pierre Marcabru (première moitié du 12ᵉ siècle) laisse une merveilleuse chanson sur sa Deuxième Croisade (1147-1149) et Jaufré Rudel, qui participe également à cette croisade, raconte ses amours impossibles avec la princesse de Tripoli. On peut également citer : Bernard de Ventadour (1145-1195), auteur de 19 chansons notées qui apportent un nouveau sens à l'ordonnance de la phrase musicale ; Folquet de Marseille (1180-1231) ; Guiraut de Riquier (1256-1292), un des derniers troubadours, dont les 48 mélodies sont fidèles au lyrisme provençal. Ajoutons à cette liste les troubadours Bertrand de Born (1140-1215) et Gaucelm Faidit (fin du 12ᵉ siècle).

LES TROUVÈRES, MUSICIENS DU NORD

Au début du 13ᵉ siècle, l'art des troubadours est transféré vers le nord de la France, en partie à cause du désastre de la Croisade albigeoise (1229). Les trouvères mettent en musique, comme les troubadours, mais en langue d'oïl, les exploits des Croisades (chansons de geste) tout en perpétuant dans les chants, l'amour courtois.

L'un des premiers trouvères est Richard Cœur de Lion (1157-1199), qui écrit des chansons surtout pendant sa longue captivité (1). Vers 1270, la vile d'Arras est un foyer intense de la vie musicale. On y dénombre 182 trouvères, parmi lesquels Moniot d'Arras, Jean Bretel (vers 1210-1272), Adam de la Halle (1240-1287), orfèvre d'une fameuse pastourelle, Robin et Marion.

Hors d'Arras, les principaux trouvères sont Thibaut IV de Champagne (1201-1253), auteur de 75 chansons simples et émouvantes, Conon de Béthune (1160-1220), poète particulièrement estimé à l'initiative de 14 complaintes, Colin Muset (1200-1250) et Gautier de Coincy qui, vers 1236, composa des pièces d'inspiration religieuse, les Miracles de Notre-Dame. Autres trouvères d'importance : Chrétien de Troyes (vers 1135-1183), Blondel de Nesles (seconde moitié du 12ᵉ siècle) et Gace Brulé (vers 1160-1213).

1. Roi d'Angleterre et arrière-petit-fils de Guillaume IX d'Aquitaine, Richard Cœur de Lion prend une part déterminante à la Troisième Croisade. À son retour, il est fait prisonnier par l'empereur Henri V. C'est durant sa captivité que le roi Richard compose. Ses œuvres sont douces, romantiques et pleines de charme. Fin musicien, il savait manier la poésie avec subtilité. Contrairement à Guillaume IX, ses chansons sont tendres et à la gloire du beau sexe. Elles sont écrites en langue d'oïl.

Par Patrick Martial (Cadence Info - 09/2023)
(sources : "Les genres musicaux" par Gérard Denizeau chez Larousse, "Vers une nouvelle histoire de la musique" / "La musique - Repères pratiques" chez F. Nathan, collection "Repères pratiques").


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