L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LA MUSIQUE ET SES US ET COUTUMES

Si dans la musique occidentale, Bach et Mozart sont des puits de science, des références historiquement admises, par contre, l'immense majorité d'entre nous considérons que le bruit provenant d'une scie circulaire ou d'un marteau n'est pas à proprement parlé de la musique (bien que ces deux outils aient déjà été utilisés à cet effet). Instinctivement, nous accordons au mot « musique » une valeur émotionnelle qui suggère fréquemment des réponses sans appel.


DÉFINIR UN SON MUSICAL HARMONIEUX

Bien que certaines musiques fassent invariablement débat pour diverses raisons, comme la musique sérielle, le free jazz, la techno ou le rap, la motivation qui incite à écouter une musique plutôt qu'une autre dépend le plus souvent de ce que la personne cherche à éprouver ou à ressentir quand elle décide d'y prête l'oreille. Par exemple, cela peut être pour se relaxer ou, à l'inverse, pour se défouler et évacuer du stress. De même, la façon de l'écouter, avec détachement ou attention, n'est pas sans conséquences dans la façon de l'apprécier.

© Jean-Pierre Dalbéraflickr.com – Chant Dhrupad et Rudra Veena au musée Guimet Jugalbhandi – dhrupad (tradition Dagar) (Inde).

Ce constat se pose de la même manière un peu partout sur le globe, même s'il subsiste quelques différences notables en fonction des pays. Ensuite, il existe le problème soulevé dans la relation entre la musique instinctive (improvisée) et celle écrite. Le plus significatif est la musique classique occidentale, du temps où elle tentait encore de justifier ses différences de valeurs avec les musiques traditionnelles. Par exemple, Hector Berlioz, éminent représentant du romantisme européen, comparait la musique chinoise à des hurlements de chats.

La science, dans ce qu'elle a de constructif, recherche fréquemment des réponses construites, moins soumises aux émotions ou aux idées toutes faites. La plus communément admise a été suggérée par l’anthropologue britannique John Blacking en 1973, proclamant que la musique serait du « son humainement organisé ». Une telle affirmation confirmerait ainsi que les sons naturels (eau, vent, etc.) ne seraient pas de la musique. Que la langue parlée et certains objets construits par l'homme (les klaxons, les sonneries, etc.) seraient à ranger du côté du bruit. Restent les animaux. Ceux-ci demeurent des cas particuliers. Notamment les oiseaux, dont quelques spécimens sont capables de produire des mélodies si élaborées qu'ils sont parvenus à capturer l'attention de nombreux compositeurs. Bref, la musique doit posséder des propriétés sonores en mesure de satisfaire les oreilles de façon agréable. Bien évidemment, dans notre "monde moderne" cerné par les bruits, sa restitution reste très subjective, car il est indispensable de tenir compte de sa puissance et de son mode de diffusion, naturel ou artificiel.

Si dans ses lignes essentielles le son musical est susceptible de se définir de la sorte, il demeure cependant des subtilités qui peuvent échapper à des personnes en fonction de leur culture et de leur éducation. On peut ainsi imaginer sans peine qu'une musique perçue ici comme merveilleuse ne le soit pas ailleurs pour les raisons qui viennent d'être évoquées. On entend nettement de la musique, mais « elle ne nous parle pas », jusqu'à nous sembler étrangère à tout ce qui nous a construit. Prenons quelques exemples particuliers à même de nous éclairer...

Chez les Pygmées Aka de la forêt centrafricaine, la musique est axée avant tout sur la communication. Lors de la chasse, ils utilisent des formes complexes d'un chant constitué de polyphonies vocales qui font appel à plusieurs modalités d’expression, le jodel. Pour eux, la musique n'a de nom que lorsqu'une pulsation régulière sous-tend la polyphonie.


CHANTS ET DANSES DES PYGMÉES AKA (Congo)

Sous d'autres latitudes, dans une immense partie du monde arabe, la musique se vit dans un contexte pour lequel le chant est essentiellement un embellissement de la parole et où les instrumentaux épousent cette dernière. Autre exemple avec le Katajjanik. Dans le nord du Canada, la particularité de ce « jeux de gorge » diphonique des Inuites consiste en un jeu vocal pratiqué exclusivement par deux femmes qui se placent face à face.

Prenant une forme plus conventionnelle, la musique peut par ailleurs devenir un cérémonial avec ses us et coutumes. C'est le cas en Roumanie, lors des obsèques, quand les lamentations funéraires sont chantées selon un rythme régulier et portées par des courbes mélodiques bien identifiables. Les musiciens tsiganes de la Transylvanie savent qu’il est possible de faire pleurer l’assistance dans un enterrement avec des mélodies de danse destinées en principe aux occasions festives, comme les mariages. Paradoxalement, au chevet d’un mort, l’allégresse et les souvenirs évoqués par une mélodie des jours heureux peuvent provoquer une nostalgie bien plus grande que de lents airs tristes que l’on associe normalement à ce genre d’événement. De nos jours, en France, il est d'ailleurs de plus en plus fréquent d'entendre, lors d'une messe d'enterrement, une ou deux chansons populaires, rarement tristes, que le défunt ou la défunte aimait tout particulièrement.

Ces différents exemples démontrent avant tout la diversité d'approche de la musique et ses formes d'utilisation quand elle s'accorde à des coutumes séculaires ou à des pratiques convenus. Il en est de même des airs dits « traditionnels » qui sont souvent récupérés comme une source valorisante auprès des musiques populaires, qu'elles proviennent d'Europe, d’Amérique du Nord ou d'Amérique latine.

Ce dernier constat permet de redéfinir à présent le concept de musique en l’abordant comme une forme d’action.


LA PRATIQUE MUSICALE, UN MODE DE RELATION ET UNE FORME D'ACTION

Dans le domaine de la musique occidentale, il est courant de distinguer les œuvres matérialisées par des partitions de leurs interprétations. En les relevant, les musiciens définissent la musique comme une œuvre destinée à devenir pérenne et référencée. Mais lorsqu’on rapporte cette pratique à l’ensemble de celles observables dans le monde, cette façon de régir la créativité en la compartimentant devient un cas particulier.

Pour comprendre les aspects fondamentaux de la musique, il est nécessaire de la considérer à la manière d'une construction active, dotée d’efficacité au sein d’un ensemble de relations sociales. Dans le Haut Atlas marocain par exemple, l’ahwash, qui réunit danse, chant, poésie et percussions, est non seulement une forme musicale exécutée collectivement, mais également une fête dans laquelle elle s’inscrit. Il est, de fait, bien délicat de séparer la musique, comme objet, de la fête, en tant que processus. Lorsque celle-ci « ne prend pas », on dit communément, non pas que l’ahwash n’a pas réussi, mais, plus radicalement, qu’il n’a pas eu lieu. Les tambours résonnent et l’on chante pourtant, mais dans un tel cas, la musique n’apparaît pas comme un « objet », mais comme une interaction qui l’infuse tout entière.

© Jean-Pierre Dalbéra flickr.com – Orchestre de musique traditionnelle (Hanoi). Temple de la Littérature

D’autres exemples indiquent qu’à l’échelle du monde, cette façon de voir les choses n’est nullement anecdotique. Dans la forêt tropicale de Nouvelle-Guinée, les Kaluli chantent leurs tristes émotions en imitant le chant de certains oiseaux qui les entourent. Pour ces autochtones des forêts tropicales du Grand plateau de Papouasie-Nouvelle-Guinée, leurs mélodies reflètent les âmes des morts. Ils chantent alors leur nostalgie à proximité des lieux marquants de la vie collective : près du village, des cours d’eau ou de certaines clairières.

Pour certains anthropologues, le concept de musique s’appuierait sur l’idée que l’homme dispose d’une capacité à détacher les sons de leurs causes physiques manifestes. Cette disposition serait à la fois commune et propre à l’espèce humaine, mais improbable chez les animaux, alors même qu’ils sont, eux aussi, sensibles aux sons et aux informations qu’ils véhiculent. Toutefois, le fait que la musique soit une représentation mentale, requérant des aptitudes d'une haute teneur, n’implique pas pour autant qu’elle soit autonome. La production musicale organisée, même sous sa forme la plus primitive, mobilise toujours un ensemble d’humains et d’objets.

Au cours de son histoire et de son développement, la musique a constamment cherché à s’ouvrir à des pratiques et à des moyens inédits. Le monde actuel a vu naître le son numérique et des techniques de reproduction s'affranchissant du passé. C'est notamment le cas de la duplication qui se prête à des expériences esthétiques théoriquement illimitées en offrant un cadre renouvelé.

Mark Butler, de l’Université de Pennsylvanie (Philadelphie), citant en exemple la musique techno, observe que celle-ci s’écoute aussi bien sur une piste de danse qu’en voiture ou chez soi. Techno, rap, salsa ou électro, il en va de même pour un grand nombre de musiques quand elles sortent du cadre définit à l'origine par leurs créateurs. Cette récupération est devenue inévitable dans un monde de communication qui a diversifié ses moyens d'écoute.

Ces dernières années, la polyvalence musicale a trouvé un de ses points d'ancrage à travers les pratiques de mixage des DJ et des allitérations des rappeurs qui, par leur mode opératoire singulier, donnent à entendre des mots posés sur des mixtures sonores issues de samples et de disques. Cette dernière application technique tendrait à démontrer que la musique ne relève pas toujours de l’évidence, mais certainement de la façon que l'on a vous et moi de l'appréhender.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2023)
(source : Victor A. Stoichita et Bernard Lortat-Jacob, Pour la Science - Novembre 2008)

À CONSULTER

TRADITIONS MUSICALES AFRICAINES, CHANTS ET INSTRUMENTS

Quels sont les grandes lignes des traditions musicales africaines ? Le rythme, bien sûr, mais aussi toute une organisation de groupes instrumentaux...

LES MUSIQUES CHINOISE ET JAPONAISE TRADITIONNELLES

Reflet de l'histoire des dynasties, la musique chinoise serait due, selon la tradition, à des reines et des empereurs légendaires. Quant à la musique japonaise, dont le théâtre musical nô est indissociable de sa culture traditionnelle, elle s'élaborera grâce à sa rencontre avec les musiques chinoise et coréenne.

LE KHÖÖMII, LE CHANT DIPHONIQUE ANCESTRAL DE LA MONGOLIE

Au-delà de ses décors sauvages et de ses steppes immenses, la Mongolie a hérité d'un chant vieux de plus de 1000 ans, le Khöömii. Hier enseigné par de vieux maîtres, la capitale Oulan-Bator l'a préservé en l'enseignant dans les écoles...

LA MUSIQUE ARABE, HISTOIRE ET SPÉCIFICITÉS

La musique arabe est d'une grande complexité en s'appuyant sur une multitude de rythmes et des dizaines de modes regroupés sous le nom de 'maquäm'. Son histoire se trouve éparpillée dans tous les pays de la péninsule arabique.

LA MUSIQUE SALSA, SA DANSE, SES MESSAGES ET SES INSTRUMENTS

La musique salsa est souvent perçue comme une musique de fête, pour danser, mais pour les portoricains, la salsa est bien plus que ça. C'est une culture qui délivre des messages de liberté à tout un peuple.


RETOUR SOMMAIRE
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale