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INSTRUMENT ET MUSICIEN

L'ANAPOLOS D'AKIO SUZUKI,
musique et philosophie au pays du soleil levant

Miyama signifie ‘Montagne de la beauté’. Elles sont le berceau de la culture et de l’identité japonaise. Akio Suzuki, musicien autodidacte et inventeur d’instruments de musique, arpente souvent ses versants. Au sommet de l’un d’eux, il a aménagé, il y a plus d’une vingtaine années, ce qu’il appelle le « Hinatabokko no kukan » (l’espace dans le soleil), un lieu qui lui sert de ‘méditation musicale’. Là, assis, il purifie son ouïe en écoutant les sons de la nature...


AKIO SUZUKI, AU CŒUR DES MONTAGNES DE MIYAMA

Au japon, une légende raconte que la musique est née dans les montagnes, entre ciel et mer. À deux heures et demie de route de Kyoto, le village de Miyama est une fenêtre sur l'ancien Japon rural, avec ses maisons traditionnelles aux toits de paille.

Planté au pied d'un massif montagneux, constitué essentiellement de forêts de cèdres, les collines arrondies de Miyama ont depuis toujours servi de refuge aux familles impériales. Tout autour, les villages abritaient les samouraïs, serviteurs et défenseurs de l’empereur.

Dans ce lieu chargé d'histoire, entre les deux murs parallèles de son « Hinatabokko no kukan », Akio Suzuki fait résonner l’analapos, un étrange instrument de son invention, constitué de deux tubes métalliques reliés par un long ressort, et qui produit des télescopages sonores d’une étonnante profondeur. L’analapos est une sorte d’instrument à écho, comme deux miroirs qui se ferait face pour se réfléchir à l’infini.


DÉMONSTRATION DU ANALAPOS PAR AKIO SUZUKI
(source : audiovisualarts.org)

Quand Akio Suzuki s’exprime, son visage s’illumine et sa voix douce s’harmonise avec les lieux, répondant, tel un écho, aux âmes des Empereurs cachés dans les forêts du Miyama. Ce pionnier de l’art sonore est capable de passer sa journée à écouter des sons que lui renvoie la nature : « Je me suis rendu compte qu’écouter ne suffisait pas. En règle générale, écouter c’est entendre le bruit du vent, le chant des oiseaux, le bourdonnement des mouches… On écoute, mais on ne sent rien. C’est ce que j’ai compris et ressenti ici. », raconte Akio Suzuki. De sa méthode d’écoute, il précise : « Le son emprisonné conceptuellement dans divers espaces est libéré et peut ainsi parcourir le monde. »

Sa quête du son et de l’espace a attisé la curiosité d’artistes issus d’autres domaines. Akio Suzuki est capable de capter notre attention en éclairant d’un nouveau jour ce que vous ou moi n’avons pas su percevoir. Une des illustrations significatives de son approche conceptuelle du son et de son énergie naturelle se produira quand il jettera un seau rempli de déchet dans une cage d’escalier pour produire un rythme sonore cadencé. Pour ce chercheur de sons, écouter est son maître mot, comme une science qu’il faudrait approfondir pour en extraire toutes les subtilités.

Au cœur du Miyama, la nature est son ami et sa complice. Son attitude singulière, voire provocante, n’a pour but que de remettre en phase la musique et ses sonorités avec ses origines, sans toutefois faire offense à de quelconques théories musicales perceptuelles. Ses dernières expériences sonores appelées ‘Mogari’ font appel à d’anciennes flûtes sculptées naturellement, les iwabue. Grâce à elles, Akio Suzuki dessine le temps et l’espace.

Quand il n’est pas en haut de sa montagne, Akio Suzuki habite une petite maison au pied du Miyama. Il travaille depuis plus de 40 ans sur cette communication entre le son et l’espace. Il cherche à retrouver les voix des ancêtres. Il a choisi de vivre ici pour la douceur du climat, la pureté de l’air et la forte histoire de cette région.

Ce créateur de son utilise parfois des instruments de musique de l’époque des Empereurs du pays de Wa, le pays de l’harmonie. Au hasard de ses confidences, Akio Suzuki évoque une flûte ancienne : « Cette flûte est une réplique d’un instrument très ancien retrouvé dans des fouilles et datant approximativement de 2300 ans… Mon cœur est dans ce son, vieux de plusieurs milliers d’années. J’essaie de retrouver le passé dans lui. Je suis un homme moderne qui recherche ces sensations que nous avons perdues ; et c’est par cette flûte que j’apprends à vivre cette philosophie… »

Son regard s’éclaire. Akio tend ses mains pour recevoir l’offrande des gouttes de pluie et devient philosophe : « Comme les grenouilles qui sont dans ce jardin, mon corps s’adapte à cette pluie. Ma peau se laisse pénétrer par cette sensation. Je ressens la pluie et je ne fais plus qu’un avec elle. Comme la grenouille qui coasse de joie sous la pluie, je ressens tous les sons de cette même pluie, et ils entrent en moi. »


MUSIQUE ET RELIGION SHINTOÏSTE

Il n’est peut-être pas facile pour nous, occidentaux, de comprendre l’approche musicale et la philosophie d’Akio Suzuki, mais tout devient transparence, quand nous apprenons que lui et sa famille sont de religion shintoïste.

MONUMENT SHINTO

© pixabay.com - Monument Shinto

Shinto signifie « le chemin des Dieux ». Akio Suzuki : « Dans cette religion, nous pensons qu’il y a un Dieu dans chaque élément de la nature. Ma famille a toujours été portée par cette religion. Le fait d’écouter la nature comme je le fais est dans mes gènes comme le sont mes ancêtres. Je suis donc en lien très proche avec cette mère nature. »

Dans la religion shinto, la montagne, tout comme les autres éléments, le soleil, la lune, les vents, est considérée comme une personne. Chaque jour, des prêtres shinto, hommes et femmes, lui font des offrandes. Du riz, la base alimentaire du pays, du saké pour le bien-être, et du sel, pour chasser les mauvais esprits de la montagne.

Un jeune prêtre shinto, gardien du sanctuaire tout proche de la ville de Miyama, raconte : « Le shintoïsme n’est pas la religion que des Empereurs. Ce n’est pas la religion que de la famille impériale. C’est avant tout une philosophie du respect et de la crainte de la nature. Par exemple, c’est grâce au lever du soleil que nous avons des récoltes. C’est la lumière du soleil qui fait pousser les plantes, alors on remercie le soleil. C’est la philosophie japonaise où se mélange la gratitude et la crainte face à la vie… Ici, il y a autant de Dieux qu’il y a de montagnes, et dans ces montagnes, il y a des arbres, des vallées, des sources d’eau, de l’herbe, et il y a des Dieux dans chacun de ces éléments. On peut dire qu’il y a beaucoup de Dieux, beaucoup d’esprits autour de nous. »

Cette attitude zen, cette simplicité et ce dépouillement occupent une place centrale dans la société japonaise. Esthétique et spiritualité s’inspire de la sérénité de la rondeur des montagnes de Miyama. En leur cœur, les prêtres continuent de célébrer des rituels de renaissance destinés à apaiser les divinités. L’eau et le feu purifient les âmes. Plus légères, elles pourront s’élever vers les sommets et séjourner plus ou moins longtemps dans le monde des vivants et le ciel. Une sorte de purgatoire, mais où les âmes les plus noires ne pourront jamais sortir de la forêt ; les esprits malfaisants hantant pour toujours monts et vallées.

Par Elian Jougla - 09/2013
(source : Daniel Renouf - Les montagnes du monde – Miyama – Japon (2013)

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