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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

POURQUOI CERTAINS AIRS NOUS TROTTENT-ILS DANS LA TÊTE ?

Qui n’a pas eu un jour une mélodie ou un air très vague trottant dans sa tête sans raison particulière ? Ce phénomène connu de tous est très agréable, mais il peut devenir vite insupportable quand il devient trop envahissant…


AVOIR UNE MÉLODIE EN TÊTE N'A PAS QUE DES EFFETS POSITIFS !

Quand une chanson envahit nos pensées, généralement, c’est qu’il existe un lien de cause à effet. D’après le neurologue Pierre Lemarquis, auteur de Sérénade pour un cerveau musicien, « La musique est une vibration qui rentre dans notre oreille et se transforme en signal électrochimique. Elle est en quelque sorte dispatchée… La mélodie va plutôt dans l’hémisphère droit. L’écart entre les notes, dans la partie gauche. Quand le morceau nous plaît, notre lobe frontal, au-dessus des yeux, se met en route et actionne notre mémoire à court terme. Notre plaisir marche alors par anticipation. »

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N’oublions pas que la musique agit aussi comme une drogue. C’est le phénomène du plaisir et de la récompense. La dopamine nous lie au plaisir tandis que l’endorphine procure des frissons. Ainsi, il est très rare qu’une chanson envahisse nos pensées si nous la détestons vraiment. Même en présence d’un matraquage médiatique, si le ressenti envers elle est absent ou très secondaire, la mélodie repart généralement aussi vite qu’elle est entrée.

Dans le milieu musical où la rentabilité est primordiale, on a vite compris toute l'importance du mécanisme attractif d'une mélodie. Cette obsession de vouloir rechercher le tube à tout prix joue sur l'immédiateté à produire du plaisir sur le client potentiel. Théoriquement, le principe est le suivant : une structure simple avec une mélodie ondulante et des phrases répétitives.

Pourtant, n’en déplaisent à ceux qui courent après une telle recette, dans de nombreux cas, c’est un détail parfois insignifiant qui rend une musique attirante : une harmonie pour laquelle notre oreille est particulièrement sensible, la phrase d’un refrain ou la minutie d’un arrangement. Les tubes qui résistent (naturellement) au temps empruntent un autre chemin et se présentent sous le qualificatif de « succès » et sont enclins à devenir pérennes en traversant les générations… ce qui, en passant, représente moins de 0,1 % de la production musicale annuelle !

Quand un air revient sans cesse en tête, c’est signe que le cerveau devient addict, qu’il a besoin de se « nourrir » avec des musiques qui libèrent des substances qui lui font du bien. C’est d’autant plus explicite quand « la partie évoluée » de notre cerveau nous dit : « Maintenant, ça suffit ! » et que, l’instant d’après, le principe du plaisir et de la récompense revient à la charge. « Notre cerveau procède beaucoup par analogie, sans que l’on s’en rende compte. Il n’y a qu’à voir comment la musique peut réveiller des souvenirs chez les malades d’Alzheimer pour comprendre sa force », raconte Pierre Lemarquis.

Il existe deux façons de vivre un air qui nous trotte dans la tête. La première est de l’extérioriser. La personne siffle, fredonne ou chante les paroles à haute voix en marchant ou chez lui, signe que son esprit s’évade ou réclame un besoin de s’évader. Dans ce cas, le phénomène reflète généralement un état positif car il répond à des conditions précises qui lui sont favorables. On peut rattacher cela à une sorte de relaxation qui s’invite toute seule comme quand on marche longtemps dans des espaces reposants pour l’esprit, la nature par exemple. Cependant, certaines études ont démontré qu’une activité physique, comme un footing, imposerait un tempo naturel qui tendrait à faire surgir des musiques rapides dans la tête.

L’autre façon de le vivre, mais qui peut se révéler plus embarrassant, est de l’éprouver dans soi sans ressentir le besoin de l’extérioriser. La mélodie peut alors être vécue comme une rengaine insupportable dont on ne peut se débarrasser. Fort heureusement, ce phénomène-là est minoritaire et ne toucherait que 15 % des personnes d’après une étude réalisée par l’université ‘McGill University College’ en Colombie-britannique.


QUAND UN AIR DEVIENT ENVAHISSANT…

Si un air devient persistant, mais vraiment persistant, il peut être considéré comme faisant partie des troubles obsessionnels.

La musique, qui au départ est prévu pour apporter un certain bonheur, peut se retourner rapidement contre la personne en devenant une souffrance. Les psychologues définissent cette « anomalie » par les mots « earworm » ou « brainworm » que l’on peut traduire littéralement par « ver d'oreille » et « ver de cerveau ». Le symptôme correspond à une « imagerie musicale involontaire » ou cognition involontaire. Le morceau de musique (généralement un court extrait) - qui peut aussi, dans de rares cas, être une phrase parlée -, occupe de façon continue l’esprit et peut se produire à tout moment, même la nuit.

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J’attire votre attention sur le fait qu’il faut bien différencier le « brainworm » de la chanson tube qui entre dans la tête intensément, mais qui n'est, en fait, qu'un phénomène passager. C’est « normal » et cela n’a rien de dangereux… sauf, peut-être, celui d’être moins attentif en traversant une rue passagère !

Le mal étant le contraire du bien, autant alors pratiquer différents exercices.

Le premier pourrait consister à chanter dans sa tête, volontairement et durablement, un autre air pour chasser l’intrus ou un air qui lui ressemble. Toutefois, une telle pratique n’a jamais prouvé véritablement son efficacité… mais il n’y a aucun risque à l’essayer. Le second exercice, qui n’en est pas vraiment un (quoique !), serait d’être fataliste en se laissant aller, en acceptant la mélodie intrusive que pour mieux la chasser. La troisième consiste à écouter la chanson de bout en bout pour que la pensée ne s’accroche plus au « passage cible » et que le trouble diminue puis disparaisse. Enfin, si certains neurologues conviennent que la mastication d’un chewing-gum interfère avec la mémoire musicale, en aucun cas, il ne faut être négatif et ne pas paniquer si un air revient « à tue-tête ».

Le docteur Vicky Williamson, qui est une autorité indépendante, consultante en psychologie de la musique, explique que des « chansons simples » (mais pas trop), c’est-à-dire des chansons prévues pour impacter le conditionnement de notre cerveau, a toutes les chances de venir perturber nos pensées et, en fonction des individus, de modifier leur humeur dans les moments de fatigue ou de stress, voire quand la nostalgie se présente à eux. Dit autrement, il s’agirait d’un piège pour le cerveau qui ne serait plus en mesure de résister et serait de fait plus enclin à vivre des phénomènes répétitifs, en particulier lorsqu’il reçoit des stimuli musicaux.

L'autre paramètre perturbateur est notre mémoire. Elle agit comme un détonateur à distance, sans lien direct avec une musique écoutée dans les heures, les journées qui précèdent. Dans un tel cas, la résurgence d’une mélodie peut survenir quand un événement particulier de notre vécu se présente. Cela peut être lié à une odeur, un lieu, un moment d’enfance, au souvenir d’un membre de la famille disparu, une image furtive, mais profondément enracinée, etc.

Comme nos pensées sont volatiles et que nous avons bien du mal à les gérer, le cerveau aime bien se « délecter » de ce qu'il a enraciné par le passé au point de nous y enfermer parfois. Notre mémoire émotionnelle peut, de fait, être directement liée à notre mémoire musicale. Par ailleurs, il semble intéressant de faire cette remarque : dans le domaine de la vision, la lumière et l'angle diffèrent à chaque fois que nous observons. Un photographe sait parfaitement qu'au fil de la journée, en fonction de la position du soleil, chaque objet capturé par l'objectif se présente différemment, alors qu’en musique... « mettez une chanson et le son sera le même qu'à l'écoute précédente » et, comme le précise fort justement le psychologue Tom Stafford, « La similarité de la musique enracine le rythme dans notre esprit… L'oreille interne reste focalisée sur quelques notes de musique ou une phrase de chanson. Une partie de nous, qui devrait seulement faire ce que nous lui demandons de faire, ne nous obéit plus. »

À la lecture de cette page, vous conviendrez qu’il reste encore des zones d’ombres, et que si plusieurs expériences ont été menées sur le sujet, aucune d’entre elles ne sont à ce jour parvenues à expliquer le phénomène de cet air qui revient sans cesse, qui nous obsède, et qui s'appelle... qui s'appelle, zut… j’ai oublié le titre !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 04/2021)

À CONSULTER

PIERRE LEMARQUIS : 'SÉRÉNADE POR UN CERVEAU MUSICIEN' (Extraits à consulter)


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