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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LES MAGASINS DE MUSIQUE FACE AU COMMERCE EN LIGNE

Depuis l’essor du commerce sur Internet, les magasins de musique ont bien du mal à tenir le cap. Patrick Moynot, le PDG de Musikia dénonce le malaise dans un article du Monde (1). D’après son auteur, cette lente agonie économique ne manque pourtant pas de solution à condition qu’une personne responsable s’empare du sujet.


DES IDÉES FACE À DES QUESTIONS

Face à la concurrence exponentielle du commerce en ligne, les magasins de musique auraient été près de 200 à avoir mis la clef sous la porte en France depuis 2014. La raison en serait la faible marge laissée par les grandes marques et leurs grossistes. À vrai dire, ce genre de fait était prévisible étant donné que les leaders de la vente en ligne, malgré des intérêts encore plus minime que le commerce physique, misent sur la quantité des stocks disponibles et sur la diversité du matériel proposé pour proposer des tarifs très attractifs ; et étant donné que contrairement au livre, les prix sont - pour le moment - libre de toute contrainte, l'hégémonie imposée par les mastodontes du Web n'a aucune raison de s'arrêter en si bon chemin.

De ce constat surgit des questions insondables, mais bien réelles : Où ira-t-on chercher demain le moindre des conseils si la majorité des magasins physiques disparaissent ? Où ira-t-on tester un instrument ? Auprès des forums ou auprès de quelques sites spécialisés ? Je sème l’ironie et l’absurde pour ne pas affronter une réalité déjà bien présente. Les magasins de musique devraient-ils rentrer en résistance ? Oui, mais avec quels moyens ?

Depuis déjà de nombreuses années, il existe pour eux une voie qui a fait ses preuves, celle qui consiste à travailler main dans la main avec les écoles de musique, les associations et centres culturels. Par ailleurs, comme l’on ne change pas de piano, de guitare ou de violon chaque année, l'autre solution est celle de la location. Cet autre appel d'air permet au commerçant de se prémunir des lendemains difficiles en ayant à sa disposition une petite rente. Celui-ci compte aussi sur les théâtres, les salles de spectacle. Tous ces lieux n’ont pas toujours les moyens, ni l’envie de s’offrir un instrument onéreux comme un piano à queue, surtout quand le besoin se fait sentir seulement à l’occasion de quelques concerts par an. La location devient dès lors la meilleure solution.

Dans les petites villes ou existent un à deux magasins, la collaboration économique avec les lieux culturels permet parfois de colmater le manque à gagner, mais dans les grandes agglomérations, là où règne une concurrence féroce, et où chacun essaye d’attirer son attention en proposant au meilleur prix le matériel, ce sont souvent les superlatifs qui l’emportent. L’expérience de terrain, la renommée du magasin ou les relations font souvent la différence.

On pourrait aussi imaginer une spécialisation à outrance dans un domaine encore peut exploiter sur Internet. Oui, mais lequel ?… Nous pourrions imaginer un service après-vente performant et des garantis sur une longue durée : 1 an, 2 ans, voire plus ; des associations avec des luthiers, des facteurs de piano ou des propositions de cours dans une annexe du magasin… Il y a quarante ans, ces pistes existaient déjà. Certaines ont bien marché, comme les cours de musique, tandis que d'autres ont été mûrement réfléchies pour être ensuite abandonnées. En fait, des efforts ont été consentis de part et d’autre pour que la plupart des magasins, même les plus petits, arrivent à survivre. Mais de nos jours, l'arrivée du commerce en ligne oblige à réinventer, réorganiser et à être toujours plus réactif face à la mondialisation.


© pixabay.com


UN CONSTAT AMER

Internet est devenu la figure de proue, celui qui oriente sans délicatesse et sans garde-fous les lois du marché économique. Le mot "concurrence" qui sied en principe aux échanges commerciaux est, de mon propre avis, certainement mal adapté. "Marché parallèle" ou " marché complémentaire" serait plus judicieux étant donné le profil et les objectifs respectifs du commerce en ligne et des magasins de musique ; chacun ayant des plans marketing sensiblement différents. Cependant, ce qui semble crédible dans le meilleur des mondes devient inopérant, voire très difficile quand le consommateur par ses agissements compulsifs sème la discorde.

Peut-être que le conservatisme ou le manque de sens commercial ou d’innovation, comme le souligne Patrick Moynot, sont à la base de toutes ces fermetures de magasin. Probablement ont-ils aussi imaginé que les compétences d’un professionnel, ses conseils, comme le service après-vente - maillon faible du commerce en ligne - suffisaient à tempérer une clientèle toujours plus exigeante ? Pourtant, rien n’est moins sûr ! Le penchant du clientélisme actuel est fort simple et désarmant : le consommateur teste d’abord en magasin le matériel de son choix et une fois satisfait, par directement se le procurer au meilleur prix sur la Toile. Cette attitude, certainement compréhensible côté client, devient bien cavalière et déplorable envers le vendeur ou la vendeuse qui accorde de son temps pour expliquer et conseiller. Hormis les amis et la clientèle fidèle, il existe peu d’espoir pour que les ventes se passent autrement.

Face aux divers cataclysmes annoncés dans de nombreux secteurs économiques, pourquoi les instruments de musique y échapperaient-ils ? Déjà, le mal est fait dans le disque depuis plus de 10 ans. Quant au livre, il est dans un équilibre précaire. En fait, personne ne peut imaginer un seul instant que les détenteurs de magasins de musique ne savaient pas que l'arrivée du commerce en ligne n’allait par modifier les règles du jeu ! Sur Internet, les géants du commerce en ligne spécialisés dans les instruments de musique et pour l'équipement des studios d'enregistrement se comptent sur les doigts d'une main. Face à ces dévoreurs d'ambition nés il y a moins de dix ans, le petit magasin de musique installé dans une petite ville, et qui commerce de façon ancestrale, est bien content quand il peut se reverser un SMIC de bénef chaque mois.

La meilleure des solutions est bien sûr de jouer sur les deux tableaux, sur des services complémentaires où le passage du physique au virtuel produit un tout indissociable. Cependant, prendre le train en marche est le plus difficile, surtout pour les petits et sans soutien financier. Hier, la plupart des grosses ventes s’effectuaient à Paris dans les magasins physiques, dans le neuf comme dans le marché de l’occasion ; aujourd’hui, la majorité des ventes - notamment dans le petit matériel - transite par la Toile via un fond de stock important. Certains se spécialisent tandis que d’autres préfèrent au contraire diversifier leur catalogue. Mais au rythme où se succèdent les événements, cette question de choix est-elle encore à l’ordre du jour quand côté consommateur tout prolifère et tout étourdi ?

De nos jours, sur la Toile, il suffit d’avoir quelques votes symbolisés par des étoiles sur un clavier ou une guitare en promotion pour que la confiance soit là et conduise à l'achat. Le regard et les habitudes ont changé. Peut-être qu'au fond le proverbe "A quelque chose malheur est bon" trouve ici tout son sens. Les magasins qui n’ont pas su anticiper ont depuis disparu, même les grosses enseignes comme Distribution Music, Hamm ou Paul Beuscher ont subi l'électrochoc. Quant à ceux qui n'ont pas encore construit un espace achalandé et promotionnel sur le Web, ils ont vraiment du souci à se faire !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2016)


1 : L’agonie discrète des magasins d’instruments de musique


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