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MUSIQUE DE FILMS


LES MUSIQUES DES FILMS DE PATRICE LECONTE

Dans cette interview, le réalisateur et scénariste de nombreux films populaires comme Les Bronzés, Ridicule ou Tandem nous raconte ses choix musicaux et ses expériences avec les nombreux compositeurs qui ont illustré son univers cinématographique.


INTERVIEW PATRICE LECONTE

Patrice Leconte, sans faire un mauvais jeu de mots, pourquoi ne faites-vous pas tandem avec un compositeur de musique ? Vous en changez très souvent...

Oui, j'ai un bras droit et un bras gauche, qui sont Joëlle Hache, monteuse, et Ivan Maussion, décorateur. J'ai d'autres fidélités plus épisodiques, mais au niveau de la musique, je me balade. Je me suis toujours méfié des musiciens. Lorsque je reçois des bandes démo, des CD, quand des musiciens pensent savoir tout faire… suspens ? La vraie personnalité d'un compositeur, ce n'est pas de savoir tout faire, d'être un caméléon … Je dis ça, mais j'ai passé ma vie à faire des films différents les uns des autres. Je suis un mauvais exemple… Donc lorsque j'aborde un nouveau film, je me pose toujours la question basique : comment le mettre en scène ? On ne le fait pas de la même manière pour « Les Bronzés », « Une Promesse » ou « Les Grands Ducs ». Quel angle, quel style, vais-je adopter, et très vite je me pose la question de savoir qui va composer la musique. C'est une interrogation que je me pose très en amont. Je ne crois pas qu'on puisse s'adresser à un même musicien pour des films très différents. Je m'amuse beaucoup plus à faire appel à Michael Nyman, ensuite à Gabriel Yared ou bien à un groupe comme L'Attirail que peu de gens connaissent. Ça me plaît parce que j'ai l'impression qu'en convoquant tel ou tel compositeur je vais les superposer à ma vision du film et que cette superposition n'est pas universelle. Ça ne m'intéresserait pas de connaître un compositeur qui sache tout faire, que j'emprunte le chemin de droite, de gauche ou celui du milieu.

Affiche du film 'Ridicule'

J'aimerais qu'on revisite vos films en fonction du compositeur choisi. Pour votre premier long-métrage « Les Vécés Étaient Fermés de l'Intérieur », vous avez travaillé avec le très prolifique Paul Misraki.

À l'époque, je n'avais pas une grande connaissance des compositeurs de musique de film. Je connaissais bien sûr les compositeurs emblématiques comme Georges Delerue, Philippe Sarde. Avec Philippe, on se connaissait depuis longtemps, je lui avais proposé de faire la musique du film. C'est lui qui m'a conseillé de prendre Paul Misraki. C'était un vieux monsieur absolument délicieux et qui s'est amusé comme un fou à faire la musique à l'image, musique pléonasme, musique stabylo. J'ai adoré ça, mais ce n'est pas moi qui ai eu l'idée de le prendre.

Et « Les Bronzés » ?

Si vous regardez bien la liste de mes films, vous allez voir que petit à petit j'ai pris conscience de l'importance de la musique. Pour mes premiers films, je cherche, je n'ai pas d'idée. Les compositeurs arrivent après coup. Je ne suis pas très motivé. « Les Bronzés », c'était ma renaissance après l'échec du premier film et une période sombre. J'ai eu Michel Bernholc, parce que j'aime beaucoup la variété et j'aimais beaucoup Michel Berger. Il n'avait pas le temps de faire la musique et m'a proposé son arrangeur. C'est là que je me suis rendu compte que les arrangeurs, les orchestrateurs, étaient des gens très talentueux. Mais s'il n'y a pas le type qui à l'origine donne la ligne mélodique, l'idée, ça ne sonne pas comme il faut. Michel Bernholc a fait une bonne musique, mais ce n'était pas du Michel Berger. Avec « Les Bronzés font du Ski » et Pierre Bachelet, c'était un hasard un peu stupide. Yves Rousset-Rouard, le producteur des « Bronzés », avait produit « Emmanuelle » et m'a dit de rencontrer Pierre Bachelet, le compositeur de la musique ; ce serait charmant. Je n'avais pas d'idée, j'attendais qu'on m'en souffle. Je le rencontre donc. C'était un monsieur très sympathique, paix à son âme, mais la musique des « Bronzés Font du Ski » est la musique que je déteste le plus. Je la trouve toujours affreuse. À l'époque déjà je ne l'aimais pas. Mais bon, si la production la trouvait bien, je l'acceptais, je me laissais un peu avoir…

Après, vous avez eu une grande aventure avec Renaud.

Avec Michel Blanc, quand on a écrit « Viens Chez Moi J'habite Chez une Copine », on s'est posé la question de la musique. Là aussi je demandais conseil à des gens que j'estimais. Michel me propose de prendre Renaud ; toujours mon goût pour la variété. On fait appel à lui et j'apprends que Renaud travaille avec un musicien qui s'appelle Ramon Pipin du groupe Odeurs, un groupe que j'apprécie. On a fait deux chansons, une pour le générique début et l'autre pour le générique de fin, puis avec le groupe Odeurs la musique du milieu et là, même si je n'ai pas contrôlé les choses d'une manière comme j'aime, à l'arrivée, je trouve qu'il y a une cohérence assez magnifique. C'était un film de 81, ça fonctionne bien entre musique et cinéma.

C'était l'air du temps.

Oui. D'ailleurs, dans le Nouvel Observateur, Michel Mardore a écrit : « une comédie témoin de son temps ». Ça m'avait plus, j'avais l'impression d'avoir décroché la Légion d'Honneur ! Avec « Circulez y'a rien à Voir » on a retravaillé ensemble avec Ramon Pipin.

Pour « Les Spécialistes » vous avez fait appel à un vrai compositeur de musique de film qui avait déjà une belle carrière derrière lui.

Éric Demarsan est un vrai professionnel de la musique. Je crois que c'est le producteur Christian Fechner qui m'a conseillé de m'acoquiner avec un conseiller musical, dont je ne me souviens plus le nom. Bref, il m'avait dit : « Il n'y a qu'un seul type qui peut faire la musique de votre film, c'est Éric Demarsan » . Il me cite quelques films qu'il avait musiqués, les films de Melville bien sûr… Je le rencontre, je tombe sur un petit bonhomme qui fume la pipe, qui habite la banlieue, qui ne paye pas de mine et qui a fait une musique formidable. À l'époque, je suis encore hésitant, je ne sais pas exactement ce que je veux. Je dois dire qu'avec Éric Demarsan on s'est très bien entendu. C'est à cette époque que j'ai commencé à construire mon envie de musique par rapport au film.

« Tandem » ! Je me souviens de la bande-annonce où on entendait seulement la chanson « Il mio Refugio » chantée par Cocciante et un texte qui défilait sur l'écran.

Oui, c'était Resnikoff qui à l'époque faisait beaucoup de bandes-annonces et qui avait eu cette idée d'écrire : «  Sur un tandem, quand l'un des deux tombe, ce sont les deux qui se cassent la gueule »

« Il Mio Refugio », c'est un truc très curieux. Beaucoup de gens s'imaginent qu'on a acheté les droits d'une chanson italienne existante. Mais elle a été composée pour le film. À l'époque, je faisais beaucoup de films publicitaires avec François Bernheim. C'est un prince, il avait le chic pour trouver le jingle qu'il fallait. Comme on s'entendait bien, je lui dis : je prépare un petit film, avec un petit budget, il s'appelle « Tandem », j'aimerais que tu fasses la musique, mais surtout je rêve que tu composes une chanson d'amour italienne, parce que les Italiens quand ils chantent l'amour, ils le chantent avec une telle désespérance, et même si ce film est une histoire d'amitié, c'est ce que je désire. Il m'écrit la chanson, la chante au piano en yaourt, la mélodie me plaît, il me propose de la donner à Cocciante. Quand j'ai assisté à l'enregistrement, j'avais les poils de l'avant-bras qui se hérissaient parce qu'elle me transperçait d'émotion. Je me suis dit, on a la chanson du film, j'étais aux anges. Lorsque je dis que cette chanson a été composée spécialement pour le film par François Bernheim, c'est pour bien insister sur le nom de François Bernheim. Cocciante ne l'a pas écrite, il la chante magnifiquement.

Parlons maintenant de votre admiration pour Michael Nyman.

C'est grâce aux films de Peter Greenaway que j'ai apprécié ce compositeur. Avec celles de Phil Glass, ses musiques me transportent. À partir de « Tandem », le compositeur n'arrive plus après coup. Dès l'écriture du scénario, je pense musique. Je raconte aux compositeurs l'histoire, les images que j'ai en tête. Certains composent des thèmes avant même que j'ai tourné un mètre de pellicule. J'aime cette idée que le compositeur soit impliqué très en amont.

Qui vous a proposé « Monsieur Hire » ?

Philippe Carcassonne avait produit « Tandem » et il me demande ce qu'on fait maintenant. Connaissant ma passion pour Duvivier, un réalisateur très pessimiste et romanesque, il me demande si je savais que « Panique » était une adaptation d'un roman de Simenon. Je l'ignorais. J'achète le livre. Des idées me trottent dans la tête, j'appelle Carcassonne. Je lui propose de ne pas faire un remake du film, mais une autre adaptation du livre. Pour tout vous dire, j'aurais aimé faire le film avec Coluche, mais il était mort un an auparavant. Il avait toutes les fêlures qu'exigeait le rôle. On a donc écrit l'adaptation sans penser à un acteur. Puis un jour, j'ai eu l'idée de proposer le rôle à mon ami Michel Blanc qui n'avait jamais joué ce genre de personnage. Ça lui a fait peur, mais il a accepté. Moi aussi j'avais peur, car je n'avais jamais réalisé un film avec cette ambiance. C'est mon film sans doute le plus ténébreux, il n'y a pas un demi gramme d'humour. Quand se posa la question du musicien, j'ai proposé à Carcassonne, grand amateur de musique, de prendre Michael Nyman. Je suis parti à Londres : je le rencontre, il adore le projet, il accepte. Et ça a été merveilleux. C'est Joëlle, ma monteuse, qui me dit, au cours du film, que ce serait assez magnifique si Monsieur Hire écoutait toujours un air. Il le mettrait et regarderait Alice dans l'immeuble d'en face. J'ai trouvé l'idée formidable et sur son initiative, j'ai tourné tous ces gros plans de tourne-disque, de vinyle. Je me suis souvenu d'un passage très court dans un quatuor de Brahms - Quatuor en Sol mineur Op. 25 - une mélodie que je connaissais depuis des années. Je me suis dit : voilà Monsieur Hire écoutera cette mélodie, puis j'ai dit à Michael qu'il faudra qu'il cohabite avec Brahms et il a adoré cette idée. Michael Nyman, ce grand dandy, a écrit pour ce film une partition exemplaire.

Un autre musicien minimaliste pour qui vous vouez une passion, c'est Phil Glass. Vous n'avez jamais travaillé avec lui ?

Depuis les films de Godfrey Reggio, « Koyaanisqatsi », la trilogie des Qatsi, j'écoute ses musiques cent cinquante fois par an, je ne m'en lasse pas. Bon on fait une parenthèse dans la chronologie, je me suis toujours dit depuis la nuit des temps que je ferai un film avec Philip Glass. Quand j'ai eu le projet d' « Une Promesse », je me suis dit voilà, on va travailler, Phil Glass et moi. J'avais correspondu avec Godfrey Reggio, parce que j'avais fait un film du même acabit, « Dogora ». Je corresponds avec Phil Glass, son assistant me répond, j'envoie le scénario, il aimerait le faire, c'était vachement avancé quoi… et un mois avant le tournage je reçois un email un peu laconique de son assistant qui me dit monsieur Glass fête ses 75 ans, il n'aura pas le temps de faire votre film, au revoir ! À l'américaine ! Pas un mot, pas un sourire, ça ne m'a pas plu ! J'étais très déçu. Combien de fois, avec Joëlle Hache, lorsque je montais mes films, on mettait de la musique de Glass avant d'avoir les compositions définitives.

Vous étiez maso !

Oui, un peu (rire)

Je pense que c'est quand même une bonne chose pour le film. Car ce que vous a amené Yared est exceptionnel.

Quel est le proverbe … C'est : à quelque chose malheur est bon, je crois ? Un jour, j'ai proposé à Jean Pierre Marielle « La Fille sur le Pont », il m'a dit non, je suis trop vieux. J'ai pris Daniel Auteuil qui est génial. Quand un film vous claque dans les doigts, vous vous dites que tout est foutu, et vous rebondissez d'une manière formidable.

Comment vous est venu l'idée de Yared ?

Joëlle Hache avait travaillé avec lui sur « Camille Claudel ». C'est le seul nom qui m'ait consolé de la défection de Glass. Il a vu le film seul avec Joëlle et c'est à la fin de la projection que j'ai fait sa connaissance et que nous avons parlé du film. Il l'a vu avec des musiques provisoires qui étaient de Wim Mertens. Pendant un moment, j'ai rêvassé autour de lui quand j'ai senti que cela pouvait être compliqué avec Phil Glass. Gabriel l'apprendra sûrement un jour que j'avais proposé à Philip Glass, qu'il a été non pas le deuxième choix, mais mon sauveur. Ce fut une collaboration étourdissante de sensibilité, de talent. Ce qu'il a fait pour le film est vraiment formidable. Je suis tellement heureux du travail de Yared et on s'est tellement bien entendu, c'était du bonheur. Voilà mon aventure avec Phil Glass.

Maintenant on reprend la chronologie et on arrive avec un film exceptionnel : « Le Mari de la Coiffeuse » et une autre collaboration avec Michael Nyman ; mais ce n'est pas sa musique dont on se souvient quand même.

Je voulais continuer avec Michael Nyman parce qu'on s'entendait bien. Il lit le scénario et je lui dit qu'il faudra ce coup–ci cohabiter avec des musiques orientales. Il trouve que le film est très Français, il me propose de faire une musique à la française. Je ne savais pas ce que cela voulait dire, mais ça n'était pas terrible. Autant sur « Monsieur Hire » il a été très Nymanien, autant sur « Le Mari de la Coiffeuse » il a composé un peu par-dessus la jambe. Je garde un souvenir de Nyman surtout pour « Monsieur Hire ».

Ensuite, vous avez travaillé avec le couple Angélique et Jean-Claude Nachon que je ne connais absolument pas. Où les avez-vous trouvés ?

Y'a pas de danger. C'est un couple qui a fait beaucoup de musiques de scène. Et quand j'ai fait ma première mise en scène de théâtre, une pièce de Jean Anouilh, j'ai demandé aux Nachon de faire la musique. Elle n'était pas mal. Je ne sais plus où je les avais rencontrés. J'ai dû les entendre au théâtre. Il y avait quelque chose qui m'avait plu. Je leur ai dit que j'allais faire un film et par amitié, par fidélité, je leur ai demandé de composer la musique. Ils ont composé pour « Tango » et pour un film qui est un de mes préférés : « Les Grands Ducs ».

Avec Pascal Estève, vous avez travaillé plusieurs fois, c'est un compositeur talentueux.

J'ai fait trois films avec lui. « Le Parfum d'Yvonne », « La Veuve de Saint Pierre » et « Confidences Trop Intimes ». Je prépare « Le Parfum d'Yvonne », voilà un titre à la con, qui est adapté de « Villa Triste » de Modiano. « Villa Triste » c'est un très beau titre, mais quand il faut se battre avec le producteur et le distributeur qui vous racontent que dans « Villa Triste » y'a triste et que ce n'est pas bon, enfin passons. Je devais retrouver pour le film Michael Nyman qui était ravi. Il voit le film, il me dit des choses intelligentes, censées, pertinentes, l'affaire est faite. Je reçois avant la date fatidique un message comme quoi pour des raisons obscures il ne pouvait plus faire la musique. Je me trouve orphelin de compositeur. Et là-dessus, Joëlle Hache me dit écoute, j'ai fait la connaissance d'un jeune type, Pascal Estève, je suis sûre qu'il a du talent, rencontre-le. Je le rencontre, il me joue des choses au piano, je lui montre le film, et il a été extraordinaire de répondant immédiat, d'inspiration. Il a sauvé la musique d'une manière brillante. C'était une opportunité formidable pour lui. La musique de « Confidences Trop Intimes » est une musique formidable et ce qu'il a fait pour « La Veuve de Saint Pierre » est inspiré. Je ne suis pas musicien du tout, mais je donne des indications, des pistes, et avec mes mots j'arrive à communiquer assez facilement. Je lui disais « Saint Pierre » c'est un film maritime, avec de l'accordéon, avec une marée de cordes. Il m'a dit, je vais te composer une musique pour accordéon et cordes. Toute la musique a été écrite avant le tournage et il y avait certains thèmes que j'avais sur un CD et qui me trottaient dans la tête pendant le tournage.

Avec Antoine Duhamel, là vous avez travaillé avec un géant de la musique !

Antoine ! Je connaissais bien sûr sa musique sur les films de Godard et aussi et surtout pour un film peu connu, « Méditerranée » de Jean Daniel Pollet. Je suis dingo de cette musique. Quand avec Carcassonne, le producteur de « Ridicule », on évoque la musique, je lui dis qu'il y a un compositeur que j'adore et que s'il était libre, ce serait merveilleux, c'est Antoine Duhamel. La grande question que je m'étais posée et qu'il m'a posée : Patrice est-ce qu'on fait de la musique moderne jouée par des instruments anciens ou une musique ancienne jouée par des instruments modernes. En fin de compte, c'était la première solution, la meilleure. Antoine Duhamel a écrit une musique interprétée par Jean-Claude Malgoire et la Grande Écurie et La Chambre du Roy. J'ai adoré les séances d'enregistrement parce qu'on a enregistré tous les instruments de l'orchestre ensemble. Je n'avais pas vécu cette situation depuis longtemps, j'étais aux anges.

Affiche du film 'Une promesse'

Alexandre Desplat a fait « Une Chance sur Deux ».

Il a fait une partition exemplaire pour ce film, mais il a été happé par les sirènes anglo-saxonnes et il n'est plus disponible pour nous. Cette profession est peut-être la seule qui permet le cumul, hélas. Alexandre fait trop de chose et c'est dommage. J'avais envisagé de le prendre sur « Une Promesse » mais il a été honnête et m'a dit qu'il ne pourrait pas être totalement libre pour faire une bonne partition.

Est-ce qu'au cours de votre carrière vous vous êtes senti frustré par ce média que vous ne pouvez contrôler ?

Non jamais. Je n'ai jamais été intimidé par les grands compositeurs avec qui j'ai travaillé comme Yared, Nyman ou Antoine Duhamel. Vis-à-vis de la musique, je sais exactement ce que j'aime ou ce que je n'aime pas. Je n'ai pas forcément les connaissances, les mots, je ne suis pas musicien encore une fois, mais ça m'aide, parce que ma naïveté, mes convictions, en matière de goûts musicaux, j'arrive toujours à les communiquer. Avec un compositeur, quel qu'il soit, qui me présente une maquette ou un thème au piano, une approche de la musique, si je lui dis écoute, c'est dommage parce que le tempo est trop lent, ça va plomber la scène, ou je ne sais pas quoi, bref, je ne me sens pas otage. Mais toujours, vraiment toujours, ça s'est bien passé. Je n'ai jamais eu un compositeur qui le prenait de haut, qui me disait écoutes laisse-moi faire… Ça ne m'est jamais arrivé.

Alors sur « La Fille du Pont » comme pour « Félix et Lola » et « Rue des Plaisirs » vous avez choisi diverses musiques.

J'ai adoré ça. J'allais dans les bacs de la Fnac chercher dans Musiques du monde, des musiques étranges, exotiques, des bizarreries. J'ai acheté des CD parce que la pochette me plaisait, je passais à la caisse de la Fnac avec des piles de disques qui étaient coincés sous mon menton.

Vous n'aviez pas d'idées préconçues au départ.

Je voulais que la mise en scène soit très libre, que le scénario, la bande son soient aussi très libres, donc je n'ai pas voulu de musicien.

Vous êtes même allé chercher « I'm sorry » de Brenda Lee que vous avez dû écouter quand vous étiez môme. Un collector quand même. On l'entend d'ailleurs dans « Casino » de Scorsese.

Scorsese connaît très bien « La Fille sur le Pont », c'est un grand cinéphile. J'ai fait plusieurs films ainsi sans compositeur. J'avais un sentiment de liberté et de diversité qu'un compositeur n'aurait pu me donner. Sur « La Fille sur le Pont » c'est le premier film que j'ai fait de cette manière. Avec Joëlle, au montage, on mettait des musiques provisoires qui devenaient définitives. La production se débrouillait pour acheter les droits. J'ai adoré cette liberté. Sur « Félix et Lola » je me suis fait aider par une sorte de Stéphane Lerouge bis pour trouver des musiques.

Parlez-moi de votre collaboration avec Étienne Perruchon. Vous avez fait quatre films avec lui, « Dogora », « Les Bronzés 3 », « La Guerre des Miss », « Le Magasin des suicides ».

Perruchon, je l'ai découvert à l'Odéon pour une musique de scène. Il a fait énormément de musiques pour le théâtre. C'est ainsi que notre amitié a débuté. « Dogora » a été une aventure formidable. J'avais depuis très longtemps envie de faire un film sans acteur, ni scénario, sans dialogue, sans un mot, un film qui serait purement émotionnel, impressionniste et musical. Quand Étienne m'a fait découvrir « Dogora », l'œuvre faisait 28 minutes. J'étais bouleversé. C'était une suite symphonique chantée dans une langue étrange par une centaine d'enfants. Étienne rêvait d'associer sa musique à des images. On décide de le faire, mais il fallait réécrire une œuvre plus longue. C'est lorsque je me suis rendu au Cambodge qu'est née cette aventure, c'est une odyssée universelle, surprenante, émouvante. On n'a pas gagné un sou, mais avec « Les Bronzés 3 » et le succès du film Étienne a bien gagné sa vie.

Vous avez retravaillé avec lui sur le « Magasin des Suicides »

J'adore Jean Teulé et quelqu'un me contacte, me dit qu'il a les droits du « Magasin des Suicides ». Je pense que c'est inadaptable à moins d'être Tim Burton. Moi, je ne suis pas aussi barré que lui, je suis plus naturaliste. L'affaire tombe à l'eau. Un jour, un type m'appelle, me dit qu'il aimerait prendre un café avec moi pour un projet. J'accepte et il me dit qu'il a racheté les droits du « Magasin des Suicides ». Je l'arrête tout de suite et répète que je suis incapable de faire le film. Il me demande de lui laisser finir sa phrase, c'est pour faire un film d'animation qu'il voulait me rencontrer. Et là, c'était lumineux pour moi parce que ça me ramenait au dessin, à l'animation que j'adore, et surtout que par ce procédé on peut faire des choses extravagantes, extrêmes. Je me suis mis à faire l'adaptation le jour même. J'ai eu l'idée d'en faire un film musical, d'écrire des chansons. J'ai travaillé avec Étienne Perruchon parce qu'on a une grande amitié et surtout qu'on s'était dit qu'il faudrait qu'un jour on fasse un film musical. J'aimerais être réincarné en cinéaste à Bollywood. Alors vous voyez pourquoi je me suis régalé à faire ce film. Il est exactement ce que je voulais.

Pour « Mon Meilleur Ami » vous avez travaillé avec un groupe quasiment inconnu.

C'est toujours avec l'idée de me servir de musiques existantes, qu'en fouillant dans un bac de la Fnac qui réunit toutes les musiques qu'ils ne savent pas trop où classer, je tombe sur un CD intitulé « L'Attirail - Dancings des Bouts du Monde ». La pochette représentait un autocar rouge et blanc, d'une autre époque, roulant dans une ville d'un pays de l'Est. Je l'ai écouté et je l'ai aussitôt aimé. Follement. J'ai choisi Nova Zagora part 2 pour accompagner une séquence de lancer de couteaux pour « La Fille sur le Pont ». Comme j'aime bien rencontrer les gens, j'ai écrit à Xavier Demerliac du groupe et lui ai proposé, lorsqu'il viendrait à Paris, de le rencontrer. Ce qui fut fait. J'ai appris qu'il aimait les vieilles voitures, qu'il roulait avec une Simca P60, la voiture que j'avais quand j'étais lycéen et nous sommes devenus assez copains. C'est ainsi que j'ai commencé à fréquenter L'Attirail, assisté à leurs concerts, acheté d'autres albums avec le projet de travailler un jour ensemble. Les envies, il ne faut jamais les forcer. Lorsque « Mon Meilleur Ami » est arrivé, je me suis dit : c'est maintenant, ce film est pour Xavier. J'ai toujours eu un rapport parfaitement intuitif avec la musique. Je lui ai fait lire le scénario, il l'a aimé, j'ai tourné le film, il a commencé à inventer des thèmes, je lui ai montré le premier montage et il a composé la musique. La musique de L'Attirail est une musique reconnaissable entre toutes, originale, populaire, joyeuse, colorée, nostalgique parfois. Aujourd'hui je me dis qu'il n'y avait pas de meilleur choix.

Et pour votre dernier film «  Une Heure de Tranquillité » vous avez pris un nouveau compositeur ?

Oui, Eric Neveu ! C'est un type charmant, très doué, très à l'écoute. Je connaissais son travail depuis longtemps, je n'ai pas eu l'idée de le prendre, mais la production Fidélité qui a souvent travaillé avec lui me l'a proposé. Je suis ravi de ce qu'il a composé. On travaille en bonne intelligence.

Alors rendez-vous le 31 décembre pour la sortie de ce film !

Propos recueillis par Stéphane Loison (10/2014)

Source L'éducation musicale


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