INTERVIEW/PORTRAIT RAPHAEL
Bonjour Raphaël. Vous êtes en ce moment sous le feu de l’actualité. Vous venez de publier l’album Anticyclone. Êtes-vous sous pression ou pas ?
Raphaël : le café que je viens de prendre me met certainement un peu sous tension, mais généralement ce n’est pas le cas. Je suis calme comme un lac de montagne, vous voyez ?
À cause de vos multiples origines, vous qualifieriez-vous comme Moustaki de métèque ?
Peut-être un peu, mais je me sens avant-tout français. Je suis un enfant de Paris. J’ai une identité française bien forte, bien que je reconnaisse d’autre part l’identité multiple de mes parents, d'Argentine pour ma mère et d'Europe de l’Est pour mon père.
Le piano à cinq ans, c’est un choix imposé ou un vrai plaisir ?
Non, ce n’était pas un vrai plaisir. Je pense qu’il y avait un effort à faire pour aller vers le piano. C’est difficile. C’est un peu comme apprendre à lire… Puis, par la suite, on comprend ce que cela raconte et l’on trouve cela beau. Mais je ne suis jamais arrivé à ce niveau-là où cela devient un plaisir… J’aurais aimé avoir une formation classique… Je suis pourtant musicien. J’ai écrit des musiques de films et il m’est arrivé de me trouver face à un orchestre symphonique. C’est extraordinaire, alors que je suis comme un illettré et que je ne le dis pas, tout en prenant un air prétentieux !
Vous avez goûté un peu à hypokhâgne, puis vous avait fait cinq ans de droit…
Je me suis inscrit à hypokhâgne, mais je n’y ai pas été, puis j’ai fait du droit parce que mes parents subvenaient à mes besoins. Ce sont des études que j’ai effectuées en dilettante… mais si c’était à refaire, je ferais bien les beaux-arts.
Vos parents vous ont dissuadé de faire le métier de musicien ?
Non, pas du tout… C’est très difficile d’être musicien. Il faut trouver son identité, créer un petit monde sous cloche et le faire fonctionner sans qu’il ressemble à ce qui a été déjà fait. Mes parents m’ont au contraire encourager à aller dans la musique, de vouloir faire ce que j’avais envie de faire. À sept ans, je voulais devenir chanteur et je suis devenu chanteur. C’est une chance incroyable au fond… Et puis dans la musique, y’a pas de piston. Ça plait ou ça ne plait pas aux gens.
Dans le monde qui est le vôtre, celui de la chanson, de l’industrie du disque, peut-on être totalement libre ?
Je pense, oui.
Vous y arrivez ?
J’ai fait des disques qui ont marché, d’autres moins… Le seul disque que je n’ai pas aimé, c’est quand j’ai voulu refaire deux fois un peu la même chose en prolongeant le succès de « Caravane ». Je m’en suis voulu, car je n’ai pas trouvé cela bien courageux.
Quand vous avez fait la première partie de David Bowie, vous a-t-il dit quelque chose ?
De ce que je connais de l’artiste, celui-ci était extrêmement conscient de l’effet qu’il produisait sur les gens. Charismatique, impressionnant… Il était donc extrêmement prévenant… Il est venu me voir, me parler pendant un quart d’heure. Il le faisait par élégance, comme un gentleman… J’étais dont très touché.
Est-ce que vous êtes d’accord avec Gainsbourg qui disait qu’une chanson « c’est de l’art mineur » et en revanche que la peinture est ce qu’il y avait de mieux ?
Non, je ne suis pas d’accord du tout ! Je trouve qu’une chanson c’est important. C’est aujourd’hui un endroit où l’on peut faire de la poésie. Elle arrive jusqu’aux gens où elle est écoutée. Je trouve ça magnifique… Quand une chanson vous accompagne, elle vous accompagne intimement.
Est-ce même une responsabilité d’en écrire ?
Je n’irais pas jusque-là, mais quand ça touche le cœur des gens, c’est un rapport très fraternel, très particulier. Pour moi une chanson de Bowie a autant d’importance qu’un tableau de Rembrandt.
Pour vous, Anticyclone, c’est votre meilleur disque ?
De l’année ! (rires)… Je ne sais pas. Je l’aime beaucoup parce qu’il est composé de chansons très simples… ou faussement simples. Elles peuvent avoir un effet consolateur sur certaines personnes… J’aime bien les jouer quand je pose mes doigts sur le piano ou la guitare… Vous savez ce que l'on dit : que le dernier est le meilleur…
Lors du processus de création, quel est votre moment préféré ? Quand vous êtes chez vous, entre quatre murs, ou quand vous êtes en studio lors de l’enregistrement ?
Tout est bien, mais il est vrai que le moment le plus merveilleux reste le studio. C’est un rendez-vous particulier, surtout aujourd’hui où cela tient du miracle. C’est un peu comme si on était passé du muet au parlant et à la 3D en l’espace de dix ans. C’est un univers qui a profondément changé… Se retrouver à quatre ou cinq musiciens dans un beau studio pendant plusieurs jours, c’est un rendez-vous génial. On fait de la musique, c’est une manière de communiquer. On ne sait pas toujours où ça va précisément, mais on crée un univers sonore qui doit nous accompagner durant longtemps. Me retrouver dans un studio, c’est pour moi une fête.
À l’image de la chanson « L’année la plus chaude de tous les temps », êtes-vous vraiment sensible au réchauffement climatique ? Cela impacte-t-il votre vie ?
Vous voulez dire que je transpire ? (rires)… Oui, ça impacte ma vie, nos vies à tous. Je le vois à travers mes enfants dans les mesures de confinements qui les obligent à annuler leur sport, parce qu’il y a de la pollution.
Et dans votre quotidien, vous restez très vigilant ?
Je fais de mon mieux. Je fais attention.
Et votre guitare, elle est électrique ou pas ?
Non, ma guitare est acoustique. Je ne suis tout de même pas atteint à ce point (rires)
RAPHAEL : L'ANNÉE LA PLUS CHAUDE DE TOUS LES TEMPS
Dans votre répertoire, vous avez des chansons qui retiennent plus votre attention que d’autres ?
Les chansons que je n’aime pas, je ne les chante pas. Il se trouve que les quelques chansons qui ont eu du succès, j’adore les chanter. De plus, elles sont importantes pour les gens.
C’est un passage obligé, la scène ? Vous réalisez généralement de courtes tournées.
Je ne pensais pas monter un jour sur scène, mais j’avais envie que mes chansons existent en les chantant en public, sinon cela aurait été quelque chose d’inachevé. Une fois ou dix fois les partager avec les gens en étant face à eux est quelque chose d’extraordinaire, de pouvoir se dire : c’est ça ma vie !
Vous semblez être très fusionnel avec votre public. Vous aimez le rencontrer à la fin du spectacle pour peut-être des dédicaces ou vous êtes quelqu’un qui prend parfois quelques distances ?
Je ne suis pas quelqu’un de fusionnel. J’aime être très gentil avec les gens. Il se trouve que je ne supporte pas le mépris, alors quand quelqu’un vient me dire quelque chose gentiment, j’adore discuter avec lui…
Depuis les attentats du Bataclan, vous avez une posture différente au moment de monter sur scène ?
J’ai une inquiétude peut-être… J’étais en tournée au moment du Bataclan et c’était assez anxiogène. J’entendais le chanteur d’Indochine qui ne voulait pas revenir au Bataclan. Je comprends cela. Je ne pourrais d’ailleurs pas assister à un concert. Toutes les fois qu’on me l’a proposé, cela m’a angoissé. Cela ne me donne pas envie d’aller à un endroit où des gens ont souffert.
Si on souhaite mieux vous connaître, doit-on écouter plutôt vos chansons ou lire vos nouvelles ?
Un livre, c’est peut-être quelque part plus intime, parce qu’on accepte d’être plus "minable" que dans un disque… Dans un disque, on cherche à s’embellir. On est chanteur, et il existe une sorte de posture qui est mise en scène, comme quand on monte sur scène… Sinon on déprime. Avec un livre, c’est tout le contraire.
Il faut être un écorché vif ?
Non, seulement s’accepter tel que l’on est.
Jusqu’à peindre une part sombre…
Oui, bien sûr ! S’en chercher à s’embellir.
Vous vivez dans l’excès ?
Pas du tout. Je suis la voie du juste milieu. Je ne crois pas en la radicalité, en rien du tout, ni en politique… éventuellement dans l'art, de temps en temps.
Face aux réseaux sociaux, vous vous faites violence ?
Violence non, mais je ne montre pas ma vie privée, mes enfants...
Sauf vous, qui vous mettez en situation…
C’est une contrainte. Cela fait partie de la promotion. Il faut faire des émissions de radio, de la télévision et les réseaux sociaux en font partie, mais comme je n’ai pas les codes, je suis peut-être un peu maladroit dans ce domaine… J’essaye d’en faire un peu chaque jour jusqu’à la sortie de mon disque en me disant : « Qu’est-ce que je vais pouvoir mettre aujourd’hui ? »
Pour conclure, quel est le mot de la langue française que vous préférez ?
On peut dire « Anticyclone », j’ai le droit non, puisque vous tenez le CD entre vos mains ? (rires)
(Transcription Cadence Info - 10/2017)
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