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MUSIQUE DE FILMS

TITANIC JAMES HORNER, LA MUSIQUE DU FILM DE JAMES CAMERON

Titanic, le film qui a fait exploser le box-office !… Aujourd’hui, on a beaucoup de mal à croire que ce long-métrage a été un moment la risée de Hollywood. Nombreux étaient ceux qui pariaient sur un échec cuisant de son réalisateur James Cameron. Conçu au prix d’un énorme effort tant au niveau de la reconstitution que de sa mise en scène, mêlant histoire d’amour et catastrophe, le film de James Cameron a su toucher apparemment la corde sensible d'un vaste public. Servi par des décors, des personnages et une musique inoubliable, le film culte des années 90 prolonge dans nos mémoires l'histoire dramatique du grand paquebot.


LE FILM TITANIC, UN BUDGET COLOSSAL

Il faudra investir 200 millions de dollars pour réaliser ce film à la reconstitution historique. Le budget initial de 135 millions sera rapidement atteint à cause des délais dépassés et des galères provoquées par les tournages se déroulant en milieu aquatique. Au bout du compte, le film deviendra plus cher que la construction du paquebot qui l'inspira, au point de couler presque à pic comme son modèle avant même d'exister sur les écrans !

Le paquebot avait été reconstruit au détail près. Une performance digne des grandes histoires hollywoodiennes. Le tournage eut lieu, en grande partie, dans un réservoir géant rempli de plusieurs milliers de mètres cubes d’eau. Un véritable exploit aussi bien technique qu’éprouvant pour les acteurs lors du tournage (Kate Winslet attrapera une pneumonie à force de rester des heures durant dans l’eau).

L’histoire du Titanic annonçait bel et bien un scénario idéal pour un film catastrophe ; un genre de cinéma qui avait disparu depuis fort longtemps des écrans (Tremblement de terre, La tour infernale, Airport, etc.). Cameron détourna le piège en insérant aux péripéties catastrophiques de la disparition du paquebot une autre histoire bien plus romancée ; une histoire d’amour servant de fil conducteur et qui va progressivement s’installer pour occuper une place centrale jusqu’à la fin à l'issue tragique.

Le film Titanic est un « mélo moderne » en pleine période d’art déco qui voit la rencontre entre deux jeunes êtres : Jack Dawson, le prolétaire, et Rose DeWitt Bukater, une riche héritière promise à un mariage de raison. Pour James Cameron, le naufrage du Titanic n’est qu’un prétexte. La magie du cinéma va opérer son tour de force en réussissant deux êtres qui, dans d’autres conditions, ne se seraient finalement jamais croisés.

Nominé 14 fois aux oscars, il en récoltera 11, dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleure musique. Le film est rentré dans la cour des grands auprès de Ben-Hur (1958) et du Seigneur des anneaux : le retour du roi (2003). Titanic restera numéro un du box-office durant quinze semaines.


JAMES HORNER, COMPOSITEUR DE LA MUSIQUE DE « TITANIC »

Le succès du film vaut aussi pour sa musique composée et produite par James Horner. La chanson titre My Heart Will Go On, interprétée par Céline Dion, a été propulsée à la première place des hit-parades du monde entier, et ce, alors que cette chanson ne dépasse pas le niveau moyen des ballades pop correctement produites. La voix de Céline Dion et sa place hégémonique dans l’enregistrement n’est certainement pas étrangère à la réussite commerciale de la chanson. ll en sera autrement avec Nearer, my God, to Thee interprété par le quintette I Salonisti, alors que paradoxalement cette mélodie traditionnelle et populaire était au cœur de l'histoire du naufrage du paquebot. Dans ce cas précis, nous pourrions dire que la musique obéit aux lois du commerce au détriment de ce qu'a pu être l'ambiance musicale et historique de l'époque.

Pour composer la musique de Titanic, Cameron avait d’abord pensé à la chanteuse Enya (un choix qui me semble encore aujourd’hui assez étrange !). Un montage test est réalisé avec des extraits de sa musique, mais la chanteuse refuse l’offre du réalisateur. Il fait alors appel à James Horner...

Le compositeur, qui vient de terminer la musique du film Braveheart, est à nouveau disponible. Pour Cameron, James Horner est une vielle connaissance. Ils avaient travaillé ensemble sur Alien, le retour de 1986. Lors de leur collaboration, les deux hommes ne s’étaient guère entendus. Dépassant un certain amour-propre, Cameron, très impressionné par son score pour Braveheart, insiste pour l’avoir à ses côtés. Horner accepte et, pour suivre la ligne directrice et les désirs du metteur en scène, compose alors des musiques fortement influencées par Enya. La musique du film reçoit très rapidement l’approbation du public et la BO réussira à se vendre à plusieurs millions d’exemplaires en quelques mois.

Horner est un compositeur habitué aux productions cinématographiques à succès : Star Treck 2 de Nicholas Meyer (1982), Le nom de la rose de Jean-Jacques Annaud (1986), 48 heures de plus de Walter Hill (1990), Apollo 13 de Ron Howard (1995). La musique du film Braveheart singularise son style de façon magistrale, avec ses mélodies langoureuses inspirées par quelques airs traditionnels écossais et où se mêlent des orchestrations subtiles et aux ressorts complexes.


VIE DES MUSICIENS À BORD DU TITANIC

Grâce à la qualité de sa reconstitution, le film illustre un aspect de l’histoire de la musique au début du 20e siècle, notamment lorsqu’il présente de façon caricaturale les musique jouées pour les premières et deuxièmes classes : l’élégance guindée contrastant avec la joie de vivre à l’état pur.

L’orchestre du Titanic était composé de deux ensembles à cordes séparés. Sous la direction de Wallace Hartley, un quintette était régulièrement chargé du divertissement des passagers de première classe tandis qu’un trio avec un répertoire plutôt continental jouait pour la deuxième classe. La musique était tirée du White Star Line Songbook, qui comprenait 352 morceaux : ouvertures, pièces d’opéra, musique sacrée, intermèdes musicaux, suites et fantaisies, valses, marches et cake-walks.

On attendait des musiciens qu’ils soient capables de jouer chaque morceau par cœur sur commande et de reproduire au pied levé des mélodies populaires de l’époque. Leur journée de travail commençait à midi. Ils jouaient dans les salles à manger pour le déjeuner. Ensuite, ils enchaînaient avec des danses à l’heure du thé, des concerts et des trios. Après quoi, il y avait de la musique pour le dîner et la soirée, puis souvent de la musique de danse jusque tard dans la nuit. Et le tout se répétait le lendemain.

Comme montré dans le film, lors du naufrage du « Titanic », le 14 avril 1912, l’orchestre joua effectivement « jusqu’à la dernière minute » pour tranquilliser les voyageurs, d’abord dans le foyer puis sur le pont avant. Quel a réellement été le dernier morceau joué reste sujet à controverses. Pour ceux qui purent témoigner, c’était soit la valse Songe d’automne, soit Nearer, My God, To Thee, un morceau de gospel de Lowell Mason.

Du point de vue de la dramaturgie du film, il allait de soi de choisir la solennité religieuse du gospel pour la « scène d’adieux » des musiciens, plutôt que la légèreté d’une valse ! Il est d’ailleurs vrai que les musiciens ne sont pas montés dans des canots de sauvetage et qu’aucun d’eux n’a survécu.


JAMES HORNER : "HYMN TO THE SEA"


LES MUSICIENS DU FILM SOUS CONTRAT

Le groupe de musiciens qui jouent dans le film « Titanic » est le quintette bernois I Salonisti, dont la distribution est inhabituelle : deux violons, un violoncelle, une contrebasse et un piano. Le quintette existe depuis 1983 et fait des tournées dans le monde entier pour jouer lors de concerts, de manifestations et de festivals. Le contrat qui lie les Salonisti aux producteurs du film était, semble-t-il, draconien, n’apparaissant pas dans le générique du film, et n’ayant pas non plus le droit de mentionner leur rôle dans le film sur leur CD And The Band Played On dans lequel se trouvent des morceaux tirés du White Star Line Songbook. Toutefois, la maison de disque DECCA réussira le tour de force de distribuer le CD dans le monde entier.


"NEARER, MY GOD, TO THEE", UN HYMNE GOSPEL

Toute la musique du film n’a pas été composée par James Horner, c’est le cas de l’hymne gospel Nearer, my God, to Thee de Lowell Mason *, une chanson qui a été très populaire aux États-Unis avec sa simple mélodie et ses cadences harmoniques issues de la musique folklorique.

En Europe continentale, le terme gospel est en général associé à un aspect de la musique sacrée de la population noire des États-Unis. Cela est différent dans les pays anglo-saxons où le mot « gospel » (qui signifie « évangile »), désigne à l’origine, dans la liturgie chrétienne, la partie chantée comme récitatif par le gospeller.

Dans le courant du 19e siècle, un genre particulier de musique gospel, jouée par des Blancs, se développe aux États-Unis, essentiellement dans le cadre des écoles du dimanche qui apparaissent à cette époque. Les hymnes gospel de l'Amérique du Nord se distinguent par divers points se résumant par des textes en général subjectifs et un thème central qui se répète continuellement (ici « Nearer, my god, to Thee »). Il s’agit presque exclusivement de mélodies simples en majeur. La simplicité harmonique de la cadence doit plus à la musique folklorique qu’à la tradition des choeurs européens.


I SALOSTINI : "NEARER, MY GOD, TO THEE"

Nearer, my God, to Thee a souvent été enregistrée dans de nombreuses versions, jouée aussi bien par des interprètes blancs que par des Noirs des États-Unis. Son caractère folklorique ressort très clairement sur l'enregistrement du musicien de blues et de folk « Mississippi » de John Hurt, qui, en plus, n’en utilise que les huit premières mesures. En plus de la version à cordes des Salonisti telle qu’elle a été popularisée par le film, mentionnons celle de Mahalia Jackson accompagnée par l'orchestre de Percy Faith ; une version symphonique kitsch assez typique de la culture de masse des États-Unis (et d’ailleurs...).


À PROPOS DE LOWELL MASON

Né le 8 janvier 1792 à Medfield, dans le Massachusetts, Lowell Mason est l'une des figures significatives de la vie musicale des États-Unis au 19e siècle. Issu d'une famille de mélomanes, il apprend à jouer de l’orgue, du piano, de la flûte et de la clarinette dès son enfance. À 16 ans, il dirige déjà le chœur du village et commence peu après son apprentissage dans une banque à Savannah, en Géorgie. Parallèlement, il y travaille comme maître de chœur et organiste pour l'Église presbytérienne indépendante et suit des cours chez le musicien Friedrich Ludwig Abel, fraîchement immigré d'Allemagne. Originaire de la ville de Kôthen, la famille Abel était, avec la famille Bach, une des familles de musiciens les plus importantes de Thuringe au 18e siècle, dont l'influence s'exerçait dans l’ensemble de l'Allemagne du Nord et du Centre.

Mason s'intéresse surtout à la composition de chansons et, en 1821, il publie un premier recueil de chants gospel pour "Boston Handel and Haydn Society". En 1826, il s’installe finalement à Boston où il devient maître d’une chorale paroissiale et, par la suite, président de la « Society ». En 1829, Mason publie un recueil de chants religieux pour enfants.

En 1832, il participe à la fondation de l’Académie de Musique de Boston au sein de laquelle l’enseignement de la musique aux enfants suit la méthode de Pestalozzi. En 1838, au prix de longs efforts, il parvient à faire introduire l’enseignement de la musique dans les écoles publiques de Boston et en prend la direction.

Son recueil de chansons, Carmina Sacra, est un énorme succès et lui rapporte une fortune. À deux reprises, en 1851 et en 1853, Mason se rend en Europe pour des séjours prolongés afin d'observer de plus près la méthode pédagogique de Pestalozzi.

En 1853, Mason s’installe à New York pour se consacrer uniquement à la composition et à ses publications. Il édite plus de 80 recueils de chansons et compose lui-même plus de 1 000 mélodies. En outre, il écrit un nombre considérable d'arrangements pour chœur de chansons européennes. From Greenland's Icy Mountains, Nearer, my God, to Thee et My Faith looks up to Thee représentent les hymnes les plus célèbres du compositeur.

Mort le 11 août 1872 à Orange, dans le New Jersey, son fils William optera lui aussi pour la carrière de musicien et étudiera entre autre auprès de Franz Liszt à Weimar. Il a écrit plusieurs méthodes du piano qui joueront un rôle important dans l’évolution de l'enseignement du piano aux États-Unis (source "G. Chase : Die Musik Amerikas", Berlin 1958).

Par Elian Jougla (Cadence Info - 01/2014)


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