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CHANSON


BÉNABAR PORTRAIT DU CHANTEUR - INTERVIEW 'LES BÉNÉFICES DU DOUTE'

Bénabar incarne une certaine tradition dans la chanson française. L’artiste évite les modes et les tendances actuelles du box-office pour concilier une approche plus didactique, en prenant soin d’apporter une certaine rigueur dans le traitement des textes et dans ses choix musicaux. Son disque, Les bénéfices du doute (2011), est le parfait exemple de cette approche tout en équilibre qui marie rimes ‘faciles’ et rythmes entraînants.



BÉNABAR AU SERVICE D’UNE CHANSON POPULAIRE

À une époque où un bon nombre de chanteurs s’entourent de machines et d’instruments électroniques, Bénabar prend le contre-pied en n’utilisant pratiquement que des instruments acoustiques, dont certains apportent aux orchestrations une couleur particulière : le banjo (Politiquement correct, L’agneau, Alors c’est ma vie, Quelle histoire, C’est d’ l’amour), le piano bastringue (Les râteaux), l’harmonica (Alors c’est ma vie, Moins vite, Faute de goût).

Les cuivres, hier présent, sont à présents absents. Les guitares acoustiques sont mises en avant dans tous les titres, sauf dans Différents ? où le piano, instrument de prédilection du chanteur, tente de rompre la tonalité apportée par le bercement des cordes frottées. Tous les instruments conservent un jeu simple, épuré de tout artifice technique. Sa musique ne cherche pas le "tape à l’œil". On pense par moment à celle du chanteur Renaud. Les rythmes restent populaires, accessibles au plus grand nombre. Pour ceux qui connaissent déjà l’artiste, je ne surprendrai personne !

Autre regard bercé d’intelligence, l’utilisation des textes et des mélodies que son auteur accumule dans un seul but : en faire des refrains populaires pour les bals et les mariages. Une ambition peut-être méritée pour cet artiste qui voit sa carrière artistique se dérouler sans accroc ou presque depuis 1997. Ainsi, après les musiques très orchestrées de son précédent album (Infréquentable – 2008) et une musique de film (Incognito – 2009), Bénabar propose des couleurs nettement plus ‘folk’ pour ce 6e album, mais en évitant soigneusement de tomber dans l’apanage que voudrait le style (les arrangements de Jean-Louis Piérot sont de ce point de vue-là parfaits). Les bénéfices du doute est un album de chansons typiquement ‘frenchy’, simples et directes… pas autre chose !

Des vingt-quatre titres écrits par le chanteur lors des trois années précédant la sortie de l’album, seules treize ont été retenus. Bénabar : « Je recherchais une écriture plus resserrée, plus nerveuse. J’ai beaucoup retravaillé les textes. Je voulais qu’il n’y ait que la peau sur les os. » (la chanson L’agneau subira quarante versions avant d’aboutir !).


BÉNABAR, OBSERVATEUR DE LA VIE QUOTIDIENNE

Son observation de la vie quotidienne constitue très souvent son fil conducteur. C’est là, son point fort. Bénabar capte, saisit les mots à la volée, là où ils surgissent, dans la rue ou ailleurs. Une fois le récit en poche, le dialogue installé, l’auteur conditionne le compositeur qui sommeille en lui et une musique jaillit, parfois tendre ou parfois espiègle. Le chanteur porte son autocritique dans ce disque comme dans les précédents. Chez lui, l’autodérision règne également. Il la relaye dans une mise en scène calculée lors de ses concerts ou à l’occasion au cinéma, comme dans le film Incognito, quand il incarne une vedette de la chanson en proie au succès.

Les quelques extraits qui suivent mettent en lumière son inspiration. D’un titre à l’autre, son écriture aime mélanger l’humour et les paradoxes de notre société avec de temps en temps quelques pointes de provocation. D’abord le ton humoristique, comme en témoigne l’éloquence du texte Les râteaux : « Y’a le râteau héroïque / Qui se ramasse en public / le râteau point sur les i / T’es lourd maintenant, ça suffit / Les râteaux dit d’Alzheimer / C’est la même fille que tout à l’heure / Le râteau de la méduse / Pour le jeu de mots, je m’en excuse / Y’a le râteau bouleversant / Cette fille, tu l’aimais vraiment / Et le râteau superflu / Au fond, elle te plaisait plus. »

D’autres paroles décrivent des moments banals dans lesquels beaucoup de personnes se reconnaissent, comme celle de l’apparence physique dans la chanson Faute de goût : « Tu tires sur tes joues / Devant la glace / Tu te tâtes un peu de partout / Fais des grimaces / Beaucoup trop de ceci / Et pas assez de cela / Trop gros, trop petit / En tout cas, rien ne va ! / Tu te contorsionnes / devant des vitrines / Pour te voir de dos / Tu te tournes sur toi-mêmes. / Il te va pas ce jean ? / C’est complètement faux ! »

Bénabar aime les textes porteurs de messages ‘faussement intentionnés’ comme dans L’agneau : « Il ne veut pas se prendre la tête / il dit qu’il n’a pas le temps, / ce n’est pas qu’il soit bête, / il est paresseux seulement, / et comme il tient quand même à avoir des avis, / il prend ce qu’on lui donne et répète ce qu’on lui dit. / Il aime quand c’est simple facile et carré, / les vérités sur cintres, le prêt à penser, / c’est la cible idéale des démagogues de tous bords, / suffit qu’on le brosse dans le sens du poil pour qu’il soit d’accord. »

Un autre exemple de la même veine, mais encore plus corrosif avec Différents ? : « Est-ce qu’ils nous ressemblent ? / Dites-moi que non / J’aimerais entendre / Que nous sommes différents / Qu’on n’a rien de commun / Que tout nous sépare / D’un despote, d’un assassin / D’un criminel de guerre / Les monstres sont en principe / Hideux, horribles, très vilains / Pour qu’on puisse les reconnaître / Ils n’ont rien d’humain / C’est ce qu’on raconte / Pour rassurer les enfants / Mais les ogres de leurs contes / Ressemblent à leurs parents. »


BENABAR - POLITIQUEMENT CORRECT

INTERVIEW BENABAR

Après 15 ans de carrière, votre album Le bénéfice du doute annonce-t-il un virage ?

J’ai l’impression, un petit peu. J’ai senti en faisant cet album la peur de me répéter. Je voulais éviter les tics d’écriture, la facilité.

On connaissait un Bénabar poète, soulignant les petits détails du quotidien, décrivant la relation amoureuse. Cette période est-elle révolue ?

Non, parce qu’il y a encore des chansons là-dessus dans cet album. C’est une petite parenthèse… Je ne suis plus le débutant que j’étais. Je ne me vois pas non plus comme quelqu’un d’installé. Mais c’est un moment charnière, je crois.

Les textes sont moins légers, avec des messages plus directs, plus profonds. Aviez-vous envie de vous engager davantage ?

Un peu plus ouvertement, mais ce n’est pas délibéré. Je m’en rends compte, cela a beaucoup influencé certains titres, comme Politiquement correct. Mais franchement, ce n’est pas non plus une chanson punk. Sur scène, j’en rigole. Quand on voit le ramdam que cela a fait, et quand on écoute la chanson…

Votre album ‘Le Bénéficie du doute’ a reçu un accueil mitigé par les critiques…

Je n’aurais peut-être pas dû les lire, mais cela m’a beaucoup affecté… Quelques journalistes parisiens m’attendaient au tournant.

Que pensez-vous de la place de la critique dans le monde de la musique ?

Il faut une critique. C’est normal, il y a un côté défense du consommateur ! Un disque, c’est aussi du commerce. Que des gens disent à d’autres gens : “Surtout n’achetez pas ça, c’est du vol”, ça fait partie du jeu.

Le style est plus rythmé. C’était votre intention ?

Oui, cela a été apporté par Jean-Louis Piérot, qui a beaucoup travaillé dessus. Sur l’ambiance musicale, on voulait éviter de se répéter. C’était mon grand credo… Je n’ai pas changé de goûts musicaux, mais sur l’album, ça me semblait important d’essayer d’aller ailleurs. De ne surtout pas faire un album redondant, comme une recette qui s’épuise.

Récemment, vous êtes revenu à vos premières amours, avec le cinéma et le théâtre. Envisagez-vous un jour d’abandonner la musique pour le 7e art ?

En lisant certaines critiques, je me suis demandé si ce ne serait pas mieux ! Mais non, je ne me suis pas encore posé la question en ces termes. Je me considère comme un auteur de chansons. J’écris des trucs sincèrement, sans jamais me demander comment cela sera reçu par untel ou untel. Faire du cinéma ou du théâtre, c’est plutôt un cadeau. Quelque chose en plus.

Vous êtes avant tout réputé pour vos prestations scéniques…

J’essaie de faire un spectacle digne de ce nom. Je ne suis pas tout seul. On est une grosse équipe sur scène. Il y a des cuivres, des choristes, des guitares. Je cultive vraiment ce côté spectacle, plutôt que le simple concert. Il y a des surprises, des blagues, des sketchs. La scène, ce n’est pas du tout le service après-vente de l’album.

Vous dénoncez la montée du politiquement incorrect ? Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Le vrai politiquement incorrect, c’est ce qu’on nous fait. C’est Coluche, c’est Desproges… C’est le fait de bouger un peu les lignes. Mais cela a été dévoyé. On l’entend souvent pour faire passer des idées condamnables. Par exemple, on ne défend pas le racisme, mais on attaque l’antiracisme…

N’êtes-vous pas en train de mettre un pied en politique ?

Je ne crois pas. Ce n’est pas partisan. Les idées humanistes sont de droite comme de gauche. C’est plus un truc de citoyen, de père de famille. La fraternité, c’est quelque chose de bien, à défendre. C’est peut-être politiquement correct, mais je m’en fous !

(interview du 02/2012)

Par Elian Jougla (Cadence Info -- 02/2012)


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