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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

CARMEN EN DVD, DU TOC AU CHOC

Deux DVD et deux visions de l'opéra de Bizet : star et strass à New York (Metropolitan Opera, dir. Yannick Nézet-Séguin), raffinée et délurée à Paris (Opéra-comique, dir. John Eliot Gardner).


UN MÊME OPÉRA, MAIS DEUX SPECTACLES BIEN DISTINCT

Nietzsche, qui avait assisté à vingt représentations de suite sans se lasser, ne s'y était pas trompé : Carmen est bien l'opéra de l'avenir. Et Bizet est mort trop vite et trop tôt - à 36 ans, trois mois jour pour jour après la création parisienne, le 3 mars 1875 - pour se réjouir de la vogue planétaire que son dernier opéra allait susciter, après un début de carrière des plus modestes. De part et d'autre de l'Atlantique, deux productions récentes, toutes deux filmées, diffusées en salle sur grand écran et reportées aujourd'hui sur DVD, attestent d'un engouement qui ne faiblit pas.

Carmen, dir. John Eliot Garner

Le Metropolitan Opera de New York comme la salle Favart à Paris recourent curieusement aux mêmes clichés scénographiques. Au premier acte, les cigarières sortent de leur manufacture de tabac, comme les nains soutiers de L'Or du Rhin émergent du royaume métallurgique du Nibelung : en remontant des « dessous », huilées de sueur, jupes retroussées, corsages dégrafés. Au deuxième acte, même Espagne de carte postale pour la taverne, avec l'intermède flamenco obligé. Le réalisateur de télévision britannique Richard Eyre, à New York, comme son compatriote Adrian Noble à Paris, metteur en scène renommé du théâtre de Shakespeare, sont cependant d'authentiques directeurs d'acteurs, efficaces et précis. L'un et l'autre règlent le duo final en crime passionnel inexorable : Bizet s'y élève des arènes de Séville aux gradins d'Epidaure, du livret petit-bourgeois du prosaïque tandem Meilhac-Halévy à la tragédie antique d'un Sophocle ou d'un Euripide.

Ce qui creuse un net écart entre ces deux spectacles honorables, c'est la réalisation musicale. Banale, d'un chic un peu toc outre-Atlantique ; si l'on y joue la carte jeune (Elina Garanca, Carmen sauvageonne au français impeccable, Yannick NézetSéguin, chef canadien au dynamisme ronflant), le Met, pour rassurer et flatter son public conservateur, abat l'atout star et strass, et distribue Roberto Alagna dans Don José. Pourtant, là aussi, une garde montante de jeunes Don José arrive et bouscule la garde descendante des anciens.

La distinction introvertie et tourmentée de l'Américain Andrew Richards à Paris, la ténébreuse séduction romantique de l'Allemand Jonas Kaufmann (à la Scala de Milan) portent un rude coup de vieux au chant et au jeu datés d'Alagna - roulements d'yeux, main sur le cœur, tempo distendu pour faire valoir souffle et aigus. Au troisième acte, son Don José déserteur, parmi les Bohémiens contrebandiers, c'est Simplet chez les guérilleros ! Ténor aux demi-teintes d'une suave tendresse (dans son premier duo avec Micaëla, dans son air « La fleur que tu m'avais jetée »), Andrew Richards campe salle Favart un loser dostoïevskien, sombrant dans une descente aux enfers qui l'avilissent jusqu'à la clochardisation finale - Christ dépenaillé en quête de calvaire.

Carmen, dir. Yannick Nézet-Séguin

Cigarière, mate de peau, mais châtain clair de timbre, Anna-Caterina Antonacci incarne une héroïne d'abord joueuse et rieuse (habanera et séguedille), grave et fatidique ensuite (air des cartes, duo final), dans la lignée délurée d'une Régine Crespin ou d'une Jane Rhodes. Articulé et modulé avec une gourmandise sensuelle, son français est délectable. Un tel raffinement n'est possible qu'avec la complicité de l'orchestre - saveurs fruitées des instruments d'époque de l'Orchestre révolutionnaire et romantique - et de son chef.

L'amour de John Eliot Gardiner pour notre répertoire, son savoir encyclopédique nous valent une Carmen inédite et insolite, avec ses dialogues parlés, ses scènes de genre habituellement retranchées. Enfin, le même soin, le même amour du bel ouvrage caractérisent l'édition de ce livre-coffret, enrichi d'illustrations, d'interviews (celle, passionnante, d'Agnès Terrier, historienne attachée à l'Opéra-Comique). Il faut suivre sans hésiter le chœur des hommes, au premier acte : « Carmen, sur tes pas, nous nous pressons tous. »

Gilles Macassar (Cadence Info - 09/2013)

Carmen
Production de l'opéra-comique, avec Anna-Caterina Antonacci, Anne-Catherine Gillet, ANdrew Richards, Nicolas Cavalier.
Monteverdi Choir, Orchestre révolutionnaire et romantique.
Dir. John Elio Gardner
Mise en scène Adrian Noble.
2 DVD. FRAmusica/Harmonia Mundi.

Carmen
Production du Metropolitan Opera, avec Elina Garanca, Barbara Frittoli, Roberto Alagna, Teddy Tahu Rhodes.
The Metropolitan Opera Chorus and Orchestra.
Dir. Yannick Nézet-Séguin
Mise en scène Richard Eyre
2 DVD ed. DG.

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