L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
CLASSIQUE / TRADITIONNEL

SCHUBERT BIOGRAPHIE/PORTRAIT - LE TRAIT DU ROMANTISME PRÉSERVÉ

Les historiens de la musique qui abordent l'étude du compositeur Franz Schubert (1787/1828) ont généralement coutume de s'excuser d’avoir à présenter un artiste aussi peu pittoresque. Pourtant, ce verdict semble à bien des égards fort injuste. Être cordial, mais timide et casanier, son exaltation intérieure possédait le miraculeux privilège d'arracher secrètement au prosaïsme de la vie des trésors insoupçonnés de poésie.


FRANZ SCHUBERT OU LA BANALITÉ DU TALENT

Franz Schubert est né à Lichtenthal en 1787, faubourg de Vienne, où son père exerce les fonctions de maître d'école. Enfance banale, dans une ambiance de labeur et de discipline assez sévère, mais poétisée, malgré tout, par l'éveil du sentiment musical. Le père et les frères du petit Franz-Peter pratiquent tous un instrument et jouent souvent ensemble. De très bonne heure, Schubert reçoit de son père des leçons de violon, et de son frère Ignaz des leçons de piano. Il travaille ensuite le chant, l’harmonie et l'orgue avec Michael Holzer, maître de chapelle de sa paroisse.

Dans un autre milieu, les dons musicaux extraordinaires de cet enfant auraient provoqué des manifestations d'enthousiasme spectaculaires et créé autour de lui une atmosphère de griserie qui aurait pu modifier profondément son tempérament et sa mentalité. Mais chez ces modestes travailleurs, l'apparition de ce jeune génie ne sera pas saluée bruyamment comme l'aurait été ailleurs la découverte d’un enfant-prodige. Son père se contente de lui donner de bonnes notes pour ses rapides progrès musicaux, tandis que ses premiers maîtres déclareront avec attendrissement qu'ils ne pouvaient rien apprendre à ce garçonnet qui devinait tout et méritait d'être « admiré en silence ».

© Kunsthistorisches Museum Wien - Franz Schubert peint par Josef Abel

C'est cette admiration muette qui entretient chez ce fils d’instituteur la simplicité et la modestie qui ont toujours réglé ses rapports avec ses semblables. Sans en tirer la moindre vanité, à treize ans, il compose déjà une Fantaisie pour piano à quatre mains. À quatorze ans, il aborde le lied avec la Plainte d'Agar. À quinze ans, il écrit des quatuors à cordes, à seize, sa première Symphonie et un opéra féerique, et à dix-sept, une Messe, un Quatuor, une seconde Symphonie et la sublime Marguerite au rouet.

Franz Schubert écrit avec une facilité et une rapidité inconcevables. L’histoire raconte que lorsqu'il était encore au collège, on lui présenta le poème du Roi des Aulnes. Il le lut, puis le déclama à haute voix devant quelques amis, s'assit brusquement à sa table de travail et en écrivit, d'un seul jet, l'admirable traduction musicale. Le soir même, ses camarades, s'emparant du manuscrit qui avait été griffonné loin de tout instrument, lui firent entendre au piano cette page saisissante qui émerveilla tout le monde. Il avait alors dix-huit ans et il notera négligemment sur le papier, au cours de cette année-là, cent quarante-quatre lieder, deux messes, une symphonie et un "Singsplel" !

Compositeur à l’écriture féconde, Schubert avait un autre talent : celui de posséder une agréable voix de soprano. À l’âge de onze ans, il est admis dans les chœurs de la chapelle impériale, tout en suivant des cours au collège municipal de « Stadtkonvikt » où il devient l'élève de Salieri et de Rucziska.

Son catalogue s'enrichit à un rythme progressivement accéléré, lui permettant d'accumuler, en moins de quinze années d’activité, une telle quantité de partitions que personne ne peut se flatter, à l'heure actuelle, de connaître à fond, jusqu'à sa dernière note, l'œuvre intégrale de Franz Schubert !

C'est peut-être cela qui explique l'injuste oubli dans lequel a sombré la majeure partie de ses six cents lieder, de ses onze symphonies, de ses quinze quatuors à cordes, de ses dix-sept opéras, de ses sept messes, de ses cantates, motets, hymnes et chœurs accompagnés d'instruments divers, de son abondante musique de chambre, et de ses innombrables pièces pour piano : Fantaisies, Impromptus Divertissements, Moments musicaux, Valses nobles, Valses sentimentales, etc.

Pour être dispensé du service militaire dont la durée est alors de quatorze ans, il s'inscrit à l'école normale d’instituteurs de Sainte-Anna et devient l'adjoint de son père à Lichtenthal. Malgré tout, ses obligations scolaires ne feront aucun tort à sa carrière de compositeur qui se poursuit avec un paisible automatisme.


LA MUSIQUE AUTOUR D'AMITIÉS SOLIDES

Aussi sociable que Beethoven était misanthrope, Schubert a besoin d'être entouré de joyeux compagnons pour se sentir pleinement à l'aise. Dépourvu de toute ambition, il aime l'existence simple et cordiale qu'il mène dans les cabarets et les guinguettes des faubourgs de Vienne, dans les brasseries où ses camarades le fêtent affectueusement et dans lesquelles il composait ses mélodies sur un coin de table, dans la fumée des cigares, avec plus d'euphorie que dans le silence de sa petite chambre sans grâce et sans gaieté.

La médiocrité de sa vie amoureuse explique fort bien le goût qu'avait Schubert pour ces réunions amicales. Trop jeune pour épouser une certaine Thérèse Grob - douce adolescente sans beauté qui l'aimait sincèrement -, il en éprouvera un chagrin si profond qu'il ne parviendra jamais à en chasser la hantise, devenant timide et méfiant à l'égard des femmes. En réalité, ce n'est que dans ses biographies romancées qu'on trouve les éléments des idylles purement légendaires qui ont été popularisées par l'opérette et le cinéma.

Son séjour estival au château du comte Esterhazy, où il donne des leçons de musique aux deux jeunes filles de son hôte, n'a jamais eu le caractère romanesque qu'on lui a prêté. Tout en étant particulièrement sensible au charme de son élève Caroline - moins toutefois qu'à celui de sa jolie camériste - il ne considère cette aristocratique villégiature que comme une servitude professionnelle qui le prive fâcheusement de la société de ses amis et des bonnes soirées passées dans les tavernes viennoises.

C'est dans le domaine de l'amitié que Schubert est favorisé. Pendant toute sa carrière, il est soutenu par d'excellents camarades qui se dévouent pour faciliter la tâche de cet artiste incapable de défendre seul ses intérêts. Les poètes Grillparzer, Mayrhofer, Schober, les frères Hüttenbrenner, les peintres von Schwind et Kupelwieser et quelques autres admirateurs forment autour de lui une garde d'honneur. Ils parviendront à intéresser à son sort l'illustre chanteur Vogl qui deviendra son meilleur interprète et son propagandiste le plus actif.

C'est avec ces bons compagnons que seront organisées les fameuses « schubertiades », joyeuses parties de campagne et réunions musicales auxquelles s'associaient quelques jeunes filles, heureuses de respirer cette atmosphère d'insouciance et d'art. Schubert, malgré le complexe d'infériorité qu'il doit à son physique un peu ingrat et à son premier chagrin d'amour, recherchait la camaraderie féminine, camaraderie qu’il rencontre chez les quatre sœurs Frölich et à Steyr. Il se félicite d'habiter une maison où se trouvent huit jeunes filles, toutes jolies. Mais il est probable que ces gentilles compagnes traitaient avec une familiarité assez protectrice le bon gros garçon à lunettes qu'on avait surnommé Schwammerl, le petit champignon !


FRANZ SCHUBERT ET SON PHYSIQUE INGRAT

Que faut-il penser de la fameuse disgrâce physique de Schubert ? Était-il vraiment laid ? Contentons-nous de recueillir sur ce point le témoignage d'un médecin, le Dr. Eckel, qui dirigeait à Vienne l'institut vétérinaire, et qui, avec la même précision professionnelle que s'il s'agissait d'un de ses clients habituels, nous a laissé, du musicien, une consciencieuse fiche signalétique dont voici un extrait : « Corps petit mais vigoureux, avec une forte ossature et une musculature robuste, sans angles, plutôt arrondie. Nuque courte et trapue. Épaules, poitrine et bassin larges, bien développés. Bras et jambes arrondis, pieds et mains petits, démarche vive et énergique. Crâne, assez vaste, rond et solide, abondante chevelure brune. Le visage a moins de beauté que d'expression. Les yeux doux, brun clair, brillent comme la flamme dans les moments d'animation, etc. » De cette fiche, le praticien conclut par ces mots : « En somme, le visage de Schubert offre l'expression classique d’harmonie, de force et de douceur d'un Olympien. » Ce certificat médical n'est-il pas d'un optimisme rassurant ?

N’éprouvant pas l'appétit des honneurs, mais cherchant à équilibrer son budget vacillant, Schubert brigue timidement, trois ou quatre fois, un poste officiel : sa candidature ne sera jamais retenue. Ne voyageant pas, comme le font si méthodiquement les artistes de son époque, le compositeur végète sans amertume dans sa ville natale où il meurt du typhus à trente-et-un ans. Son ultime vœu sera d’être inhumé auprès de Beethoven qui, depuis un an, l'avait précédé dans la tombe. Son désir est exaucé et, au cours de deux exhumations successives, le cercueil de l'auteur de Rosamunde ne sera pas séparé de celui de l'auteur de Fidelio.

Après un sommeil de soixante années à la nécropole de Woehring, les deux compositeurs reposent toujours, côte à côte, au cimetière central de Vienne. La mort seule est parvenue à réunir ces deux hommes de génie dont les deux destins se sont frôlés, mais à qui la vie n'avait pas fourni l’occasion de se fréquenter et de se lier d'amitié, malgré la sincère admiration qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre.


SCHUBERT, LA RÉSURRECTION

Une gloire posthume a grandi d'année en année, vengeant Schubert de la médiocrité de son sort pendant sa trop brève existence terrestre. Elle ne s'attache encore qu'à un trop petit nombre de ses chefs-d'œuvre. Deux de ses onze Symphonies – l’ut majeur et l'Inachevée - l'entracte et les airs du ballet de Rosamunde, sa Marche militaire, deux sonates, un trio, quelques Valses et Impromptus, une Fantaisie, le quatuor de la Jeune Fille et la Mort, le quintette de la Truite, et les deux mélodies de la Belle Meunière et du Voyage d'hiver, sans compter une vingtaine de ses six cents lieder et d’innombrables transcriptions et arrangements de sa Sérénade et de son Ave Maria. Voilà à peu près tout ce que les gens ont retenu de sa production gigantesque.

Cet artiste sensible et bon aura joué, au centre du romantisme autrichien, le rôle d’une viole d’amour qui vibrait docilement à toutes les sollicitations et traduisait avec une sincérité touchante la mélancolie et la tendresse des humbles en face de la tristesse et de la douceur de vivre.

Il l'a fait dans une langue musicale admirable qui ne doit rien aux procédés scolastiques. Schubert n'a jamais étudié le contrepoint et a résolu par son seul instinct les problèmes les plus complexes de la composition. Ses œuvres regorgent de trouvailles harmoniques saisissantes. C'est d’ailleurs dans son écriture que l'on peut observer l'étonnante puissance de prolifération d'un accord ou d'un enchaînement d'accords nouveaux qui engendrent automatiquement d’innombrables locutions inattendues permettant de rendre plus exacte et plus nuancée l'expression d'un sentiment ou d’une pensée. Les harmonies de Schubert, qui n'ont rien perdu de leur pouvoir émotif, ont enrichi le vocabulaire musical des musiciens qui l’ont suivi. Elles leur ont surtout appris qu’on pouvait, même dans une époque de délirante exaltation collective, traduire sans aucune grandiloquence les messages les plus pathétiques du cœur.

Par Patrick Martial (Cadence Info - 02/2016)
Source : Histoire de la musique - Vuillermoz


RETOUR SOMMAIRE
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale