L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
CHANSON

JOAN-PAU VERDIER BIOGRAPHIE. UN ARDENT DÉFENSEUR DE LA LANGUE OCCITANE

Disparu en juin 2020, le chanteur Joan-Pau Verdier appartiendra à cette génération d’artistes prenant la défense de la culture occitane en participant, notamment, à la création de la Fédération anarchiste-communiste d'Occitanie à la fin des années 60. Devenant un ardent défenseur des causes qui ne sont jamais totalement perdus, ce libertaire, fidèle ami de Léo Ferré, enregistrera pas moins de 17 albums et contribuera à la naissance d’une chanson occitane « modernisée ».


L’ACCENT D’OC ET LE VERBE HAUT

Né en 1947 à Périgueux, Joan-Pau Verdier a grandi dans les quartiers populaires de la capitale périgourdine. Grâce à son grand-père, il découvre la langue d’oc et ses racines. Confronté au milieu ouvrier dès son plus jeune âge et aux réfugiés espagnols qui avaient fui le franquisme, il gardera de ces gens de peu leur lutte contre le régime politique imposé par le général Franco.

Ses études scolaires se déroulent au collège, puis au lycée Bertran de Born à Périgueux. C’est là qu’il rencontre Michel Chadeuil avec qui, des années plus tard, il composera quelques-unes de ses plus belles chansons occitanes.

© Philips - Pochette de l'album 'Joan-Pau Verdier'

Arrivé à l’âge où l’on tente de formuler des projets, il crée son premier groupe de rock (Les fourbes) avec François Dubet, un pote du lycée… Puis, armé du bac, et bien que poursuivant des études à la fac de lettres de Bordeaux, le rêve éveillé de faire de la musique continue d'être présent. Quelques chansons naissent et Joan-Pau teste ses capacités d'interprète dans quelques cabarets, quand la proximité de la clientèle tient lieu d’intimité, de partage et de jugement aussi. Ces premières tentatives lui réussissant plutôt bien, le jeune étudiant envisage alors de poursuite l’aventure…

Dans les lendemains de « Mai 68 », comme d’autres jeunes adultes révoltés, Joan-Pau Verdier rêve d’un monde meilleur qui, chez lui, se formulera par la défense de la langue occitane et de ses valeurs culturelles. Il deviendra rapidement un artisan de cette cause avec Guy Malouvier en 1969, en créant la Fédération anarchiste-communiste d'Occitanie (la FACO).

Engagé et libertaire, Joan-Pau Verdier se sent avant tout comme un artiste, un chanteur capable de transmettre dans ses chansons des messages d’amour, mais aussi des idées plus ou moins « orientés », pour ne pas dire engagés. Prenant fait et cause pour la pratique d'une langue qu’il encourage, il commence par enregistrer un 45 tours (Desemplumat  - Désemplumé), puis un 33 tours (Occitania sempre - Occitanie toujours). L'influence musicale est folk et les textes reposent pour l’essentiel sur des paroles en occitan.

Nous sommes en 1973 et pour défendre ses chansons, Joan-Pau n’a pour bagages que ses passages en cabaret. Pour passer le cap de l’enregistrement dans un domaine dans lequel il n’a aucune expérience, le chanteur n’a d’autres choix que de fait appel à un musicien arrangeur. Ce sera Benoît Kaufman. Les conditions d’enregistrement sont toutefois artisanales ; fait maison, pourrait-on dire. Verdier et Kaufman se partagent les instruments. Joan-Pau est avant tout un guitariste qui n’a pour le moment d’autres ambitions que de chanter et de s’accompagner correctement. Le reste, ce sera Kaufman qui s’en chargera.

Dès ce premier album, le chanteur se remémore un homme, un artiste qu’il admire pour la qualité de ses chansons et pour son tempérament d’anticonformiste, Léo Ferré. La chanson Maledetto, Léo ! Lui est destinée, et ce qu’écrit Joan-Pau uni alors la pensée du libertaire à la philosophie du contestataire. De quoi stimuler des rencontres lors de spectacles ou de partager des mots et des idées durant les quelques rares émissions télévisées qui leur accorderont l’antenne (de cette longue amitié naîtra en 2001 Léo, domani, un disque entièrement consacré à l’auteur d'Avec le temps).


JOAN-PAU VERDIER : 'JOAN-PAU VERDIER, CHANTEUR OCCITAN' (reportage France 3 - 1974)

« L’EXIL », LE VIRAGE ROCK

Avec l’album qui suit (L’exil - 1974), Verdier décide de donner un cadre plus défini et plus professionnel à la réalisation en invitant des musiciens de studio. La musique folk ouvre ses frontières en amorçant un virage vers le rock, ce qui va permettre aux chansons de Joan-Pau de trouver un public plus vaste et plus jeune.

Il rejoint Paris... mais à cette époque, pour la plupart des Parisiens, la chanson interprétée en langue d’Oc tient plus du « folklore provincial » que de l'engagement patriotique. Certes, la langue occitane possède une identité, une histoire, mais elle reste entourée d’un voile épais que les journaux et médias soulèvent avec parcimonie faute de toujours comprendre ses messages. Dans la capitale, il y a bien sûr les radios nationales, mais toutes ne s’intéressent pas nécessairement à la cause défendue par Joan-Pau. Non, ce qui compte avant tout, ce sont les scènes de prestige pour lesquelles tout artiste doit espérer et, dans ce sens, Joan-Pau Verdier ne ménagera pas ses efforts pour faire passer ses messages en occitan. Ce sera pour certaines personnes une découverte et pour d’autres une mise à distance culturelle bien involontaire.

En « montant » à Paris, le chanteur est l’amoureux qui porte en son cœur une langue que les aïeux lui ont communiquée. Toutefois, il prend garde de ne pas offenser le public en lui offrant aussi quelques chansons interprétées en français - ce qu’il fera discographiquement, dès 1977, avec Tabou-le-chat, un disque entièrement composé de textes dans la langue de Molière.

En 1975 arrive l’enregistrement de l’album Faits Divers. Joan-Pau Verdier change d’équipe et constitue autour de lui un groupe solide composé de l’arrangeur/orchestrateur Jean-Claude Déquéant et des musiciens d’Yves Simon (le groupe Orphéon). La plupart des textes sont signés Verdier, mais la musique joue la valse hésitation entre le rock (Le bal de la folie) et le folk (Legenda). En revanche, l’admiration pour Léo Ferré reste intacte. Joan-Pau trouve, une fois de plus, matière à ouvrage à travers son adaptation en occitan de la chanson Ni Dieu ni Maître, qui devient Ni Diu ni mestre.

Dans les disques qui vont suivre, Joan-Pau Verdier prendra soin de toujours ouvrir sa musique en s’entourant d’excellents musiciens venus d’horizons divers (le violoniste Michel Ripoche, le saxophoniste et flûtiste Jean-Michel Hervé, les guitaristes Jean Kraut, Alain Markusfeld et Pierre Fanen, les bassistes Didier Alexandre et Dominique Bertram, les claviéristes Gilles Jérome et Jacques Verrecchio ou encore la chanteuse Anita Bonan).

En 1977, la réalisation de l'album-concept, Tabou-le-chat, lui permet enfin d’avoir autour de lui un groupe de musiciens homogène, mais avec l’album Le nuage dans la tête, qui paraît l’année suivante, la langue occitane prend ses distances. Ce nouveau tournant est toutefois compensé par l’excellence musicale des orchestrations, flirtant même avec un jazz-rock des plus inattendus (la présence de Dominique Bertram à la basse et de Pierre Fanen à la guitare explique bien des choses)... une couleur identitaire qui disparait quelques mois plus tard dans l’album Le chantepleure (1979) en s'orientant vers le blues et l’embrasement mélodique d'un folk retrouvé. Une première compilation voit le jour la même année '(Les grandes chansons) et permet d’évaluer, à travers un double-album, tout le chemin parcouru par l’artiste périgourdin.


JOAN-PAU VERDIER : 'TABOU-LE-CHAT'

MUSIQUE, POÉSIE ET CINÉMA

Les années suivantes seront celles des 45 tours : Apollinaire Street (1979), Machita (1982) et Plus rien à perdre (1983). Néanmoins, s’insinuera entre parenthèse la musique composée par Joan-Pau Verdier pour le film de Jean-Pierre Denis, Histoire d’Adrien (1980), plaçant sur orbite ce qui peut être considéré comme le premier film d’envergure où la langue occitane est mise en valeurs dans la majorité des scènes (le film remportera la 'Caméra d’or' au Festival de Cannes 1980).

En 1986, de sa rencontre avec le poète corrézien, Maurice Croze, naît un super 45 tours éminemment acoustique et à l’ambiance feutrée (Verdier chante Croze : « Chante-souvenir», dans lequel on peut entendre une chanson à la gloire de la rivière aimée, La Dordogne). L’année d’après sort le disque Cinquième Saison. L’occitan revient, mais encore timidement. Pour sa réalisation, Verdier s’entoure de la chanteuse récitante Odile Moniot et surtout de Francis Blanchard qui, d’une main de maître, gère avec ses claviers ce que l’on nomme de nos jours la MAO (programmation assistée par ordinateur).

Si Joan-Pau Verdier s’attache à diversifier son approche musicale dans les années 90, dont celles avec le groupe éphémère Bigaroc, le chanteur périgourdin reprendra, comme d’autres artistes, d’anciennes chansons en les réactualisant. Pour cela, il choisira des titres uniquement en occitan et provenant des années 70, ses meilleures années : Presencias, Legenda, La bona chançon, La vièlha, Ni Diu, ni mestren, etc. (album Vingt ans aprèp - 1993).

En 1996, Verdier enregistre un album consacré à Léo Ferré qui ne verra pas le jour, faute de trouver un distributeur. Il lui faudra attendre cinq ans pour que le disque rendant hommage à l’artiste et ami disparu soit finalement publié sous le titre Léo, domani. L’autre grand maître de la chanson française, Georges Brassens, ne sera pas oublié et aura droit également à un vibrant hommage remplit d’admiration (Verdier, Bonnefon, Salinié chantent Brassens - 2002) ; album qui sera suivi d'un second volume deux ans plus tard.


L’HOMME JOAN-PAU VERDIER

De ce court portrait, nous pourrions dire que Joan-Pau Verdier a largement contribué à faire vivre la chanson occitane pour que celle-ci parvienne à nos oreilles. Il a dépoussiéré son cadre, d’autant que la conjoncture de l'époque s’y prêtait bien, le début des années 70 étant marqué par un retour vers la nature et par les manifestations contre l'extension du camp militaire sur le causse du Larzac. Toutefois, Joan-Pau Verdier, bien que valorisant l'identité occitane et un certain cadre de vie, ne trouvait pas les purs « occitanistes » à son goût, leur reprochant, peut-être, leur côté intégriste.

Joan-Pau Verdier a surtout vulgarisé de façon intelligente l’âme occitane. Pour s’échapper d’un folklore qui aurait pu l’étiqueter et l'enfermer, le chanteur fera preuve d’éclectisme musical durant sa longue carrière, faisant succéder à un folk trop cloisonné, l’énergie du rock, l’audace du jazz-rock, la sensibilité du blues, flirtant même avec le tango comme pour s'amuser de ses détracteurs !

Dans la dernière partie de sa carrière, durant 20 ans (de 1996 à 2017), le troubadour au verbe haut devait se retrouver derrière les micros de France Bleu Périgord. Le chanteur transformé pour l’occasion en animateur éclairait les auditeurs de ses connaissances et de son amour pour la langue occitane. Ce magazine, animé en collaboration avec Martial Peyrouny et baptisé « Meitat chen Meitat pòrc », avait pour but de défendre les valeurs de la culture Occitane et de les porter à la connaissance du plus grand nombre.

Quelques heures après la disparition du chanteur en juin 2020, Martial Peyrouny lui rendait hommage à travers ces quelques mots : « Il nous laisse le souvenir d’un homme gentil et d’un artiste profondément humain et cultivé qui a ouvert le chemin pour de nombreux chanteurs occitans. Il est celui qui, le premier, a décidé qu’il vivrait de son art en chantant en langue d’oc. Son parcours a prouvé qu’il avait réussi ce dur pari en étant pourtant celui qui a ouvert le chemin… » (source ‘france3-regions.francetvinfo.fr’ – 21/06/2020)

Par Elian Jougla (Cadence Info - 10/2020)


LA DISCOGRAPHIE DE JOAN-PAU VERDIER

  • 1973 : Occitània sempre
  • 1974 : L'Exil
  • 1975 : Faits divers
  • 1976 : Vivre
  • 1977 : Tabou-le-Chat
  • 1978 : Le Nuage dans la tête
  • 1979 : Le Chantepleure
  • 1987 : 5e saison
  • 1990 : Bigaroc : Le Chant du sud
  • 1992 : Pirouettes (en public)
  • 1993 : Vingt ans aprèp7
  • 2001 : Léo, domani
  • 2002 : Verdier, Bonnefon, Salinié chantent Brassens
  • 2004 : Verdier, Bonnefon, Salinié chantent Brassens, volume 2
  • 2007 : Léo en òc8
  • 2009 : Trobadors9
  • 2010 : Les Rêves gigognes

Les 45 tours

  • 1974 : Veiqui l'Occitan (version française et version occitane)
  • 1974 : Dança liura /Couleurs
  • 1979 : Apollinaire-street /Circus-folie
  • 1981 : B.O.F. Histoire d'Adrien (de Jean-Pierre Denis) : Ballade d’Adrien (version instrumentale et version chantée)
  • 1981 : Vieillir auprès de toi (Anak) /Beleù (Peut-être)
  • 1982 : Machita /Ailleurs c’est toujours plus beau
  • 1983 : Plus rien à perdre /Jessica
  • 1986 : Chante Croze - Chante souvenir : Rue Tournemire /La Dordogne /Mes collines bleues /Les pierres de la liberté

RETOUR SOMMAIRE
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale