Généralement grave et invariable, le bourdon est un son lié le plus souvent à des instruments anciens, comme la vielle à roue, le tambourin provençal ou la cornemuse. Sa particularité sonore rejaillit également à l’occasion de pièces vocales… Mais en y regardant d’un peu plus près, on s’aperçoit que c’est toute l’histoire musicale qui est traversée de part en part par son utilisation. Souvent mal compris, sous-estimée et méconnue, le bourdon mérite que l’on s’y attarde un court instant.
Simple dans le principe, le bourdon autorise des réalisations musicales très diverses. La pratique des musiques à bourdon existe sur tous les continents. Outre sa présence dans le domaine de la lutherie, son usage révèle une conception particulière de la musique, une expérience « esthétique » singulière s’appuyant sur la nature physique du son musical.
De ce point de vue, les musiques à bourdon sont aux antipodes de l’histoire des musiques actuelles, même si quelques techniques d’écriture peuvent s’en rapprocher comme la pédale harmonique – notes tenues ou répétées pendant une succession d’accords modulants – qui sert parfois aux introductions musicales ou lors d’improvisations.
UNE VIELLE À ROUE
Quand on évoque le bourdon, on songe immédiatement au bruit provoqué par l’insecte qui porte son nom. La particularité de ce son est qu’il perdure durant un long moment. Sur les instruments de musique qui en sont équipés, l'effet recherché va dans le même sens. Pour bien comprendre le bourdon, il suffit d’écouter quelques instruments bien connus : le launeddas, composé de trois tuyaux montée d’anches simples dont un bourdon ; la cornemuse, dont l’utilisation est attestée dès l’époque romaine ; la vielle à roue, sur le principe d’une roue qui frotte les cordes et dont certaines sonnent en bourdon ; l’épinette des Vosges ou cithare sur table, équipés de trois cordes bourdons et de deux cordes dites chanterelles ; le tampura, un luth indien qui égrène un bourdon unique ; les tambourins à cordes et provençal, qui démontrent que l’usage du bourdon existe également dans la famille des instruments à percussion.
Aux instruments s’ajoutent aussi l’utilisation de la voix et des techniques instrumentales. De nombreuses polyphonies vocales traditionnelles sont construites sur des bourdons. On les rencontre disséminés un peu partout en Europe, aussi bien dans les Balkans, l’Ukraine que dans la région de Calabre en Italie ou chez nous en Corse. Le chant au caractère modal implique aussi, d’une certaine façon, l’usage d’une « esthétique à bourdon » (chants liturgiques). Il existe dans quelques pays d’Extrême-Orient l’usage du chant diphonique qui consiste pour le chanteur à produire en même temps un bourdon grave et des harmoniques aiguës par résonance.
VIELLE À ROUE
Côté technique, outre l’évocation de la pédale citée précédemment, la pratique du bourdon s’est développée techniquement de manière encore plus intentionnelle. Par exemple, avec le violon, en insistant sur une corde jouée à vide, ou avec la flûte, quand l’instrumentiste fait entendre un son de gorge en même temps qu’il souffle. Par ailleurs, le bourdon apparaît dans la musique contemporaine à travers quelques instruments à vent comme le saxophone et la clarinette. Généralement, le bourdon agit comme un reposoir sonore – une sorte de note fondamentale - sur lequel la trame mélodique se développe mais sans pouvoir vriament s’en échapper.
Il existe des environnements naturels (ou artificiels) qui mettent en éveil nos pensées et nous poussent parfois à chanter (ou à rêver) : le chant des grillons dès que le soir tombe, le bruit sourd d’un moteur de voiture, d’un train qui roule, etc. En se laissant aller, tous ces sons qui bourdonnent (ou qui ronronnent) finissent par nous envelopper et nous bercer. Ils produisent une rupture avec l’environnement direct et instaurent un bouleversement de nos pensées. De cette observation, que vous avez vécu au moins une fois dans votre vie, il est possible de tisser des liens avec les musiques à bourdon qui, de la même façon, nous aident à nous immerger dans l’évasion.
Ce détachement peut être individuel, mais également collectif. Les musiques à bourdon viennent se nicher dans des musiques très différentes. Par exemple, dans les psalmodies de quelques musiques religieuses, mais aussi, dans l’utilisation des effets de saturation soutenue que l’on rencontre en hard-rock, et qui provoquent une sorte de fond sonore à niveau constant.
Le bourdon est même à la base d'un genre musical, le drone, qui est constitué de morceaux de longue durée, excédant souvent les 10/20 minutes et qui cohabitent avec des influences musicales de type ambiant, répétitive et minimaliste.
ÉLIANE RADIGUE : "ISLAS RESONANTES"
Dans cette œuvre, la compositrice Élian Radigue utilise un bourdon qui évolue dans le temps, passant d'un son d'orgue à une lente oscillation. Une musique dont l'esthétique se situe à la croisée des courants électronique et spectral.
Il existe certainement dans l’écoute enveloppante du bourdon des éléments qui, quelque part, nous rassurent et reposent nos âmes ; une sorte de lien invisible et puissant entre ce « bruit » constant et la forme du discours musical qui vient s’y poser. Aujourd’hui encore, le principe relativement simple du bourdon garde encore quelques mystères et un fort pouvoir expressif et attractif sans que nos sensibilités contemporaines aient jamais songé à y renoncer.
par Patrick Martial (Cadence Info - 01/2015)