L'info culturelle des musiques d'hier et d'aujourd'hui
INSTRUMENT ET MUSICIEN

LE PIANOFORTE DE CRISTOFORI ET SON HISTOIRE

La plupart des historiens s’accordent pour certifier que le premier instrument à clavier connu sous le nom de piano a été construit par le luthier italien Bartolomeo Cristofori (1655-1731), au tout début du 18e siècle. Grâce à son invention reposant sur l’action mécanique de son marteau, l’univers des claviers allait entrer dans une nouvelle ère en devenant sensible aux nuances de jeu…


BARTOLOMEO CRISTOFORI ET LE PRINCE FERDINAND

Cristofori, originaire de Padoue, a été embauché aux environs de 1693 par le prince Ferdinand de Medeci, un claveciniste florentin qui disposait de moyens suffisants pour engager un constructeur/technicien à plein temps. L’invention de Cristofori a apparemment été créée à la suite d’une demande spécifique du prince qui souhaitait améliorer le clavecin pour le rendre plus expressif.

Portrait of Bartolomeo Cristofori réalisé en 1726

Les "améliorations" apportées par le facteur de clavecin Cristofori allaient permettre de créer un instrument entièrement nouveau, capable de modifier la dynamique et le timbre en étant contrôlés directement par le musicien via le clavier. En d'autres termes, Cristofori a essentiellement inventé la première réaction dynamique à l'enfoncement de la touche sur un instrument à clavier.


LE PRINCIPE MÉCANIQUE DU PIANOFORTE

Plusieurs défis font face à Cristofori dont le plus important est de traduire parfaitement la dynamique sonore en fonction de la vitesse et de la force du doigt qui vient frapper la touche. Le luthier comprend que la clé de la solution repose en grande partie sur le marteau (1) qui vient frapper la corde et non la pincer comme sur le clavecin. Cristofori comprend aussi que pour être projeté avec la même intensité et vitesse, le marteau ne peut pas être directement « connecté » à la touche. Ensuite, le marteau doit pouvoir se retirer de la corde dès qu'il la frappe (pour que le son ne soit pas atténué par l'objet même qui l'a initié). De plus, ce rebond du marteau doit être amorti afin qu’il ne rebondisse pas à nouveau contre la corde.

En résumé, Cristofori devait concevoir une action qui lançait le marteau, tout en créant un échappement et un contrôle de l’énergie soulevée après enfoncement de la touche. Ce principe de base propre à la mécanique du piano, simple dans sa description, a été si bien intégré et résolu par Cristofori qu’il a survécu sans amélioration significative pendant cent ans !

1 – À l’origine, le marteau de Cristofori consistait en un cylindre en parchemin sur lequel était collé un morceau de cuir souple (partie où le marteau rencontrait la corde).


UNE DATE CONTESTÉE

Le premier piano de Cristofori aurait vu le jour en 1700, une date contestée qui deviendra celle de 1709 après une description publiée cette année-là par Scipione Maffei (c’est Maffei qui, en qualifiant pour la première fois l’instrument de "gravecembalo col piano e forte", définira finalement son nom moderne, pianoforte). Cependant, un musicologue du vingtième siècle, Mario Fabbri, découvrit un inventaire des instruments du prince Ferdinand, compilé en 1700, qui répertorie >« un archicembalo de Bartolomeo Cristofori, de nouvelle invention, qui produit du piano et du fort... ». Depuis, à cause de cette révélation manuscrite tardive, l’année 1700 est devenue la date officielle. [Pour plus d'informations sur le piano Cristofori et son action révolutionnaire, consulter ‘Giraffes, Black Dragons, And Other Pianos’ de Edwin M. Good - Standford University Press. Un ouvrage certes érudit mais attentif au moindre détail]


LES TROIS PIANOS CRISTOFORI

Les traces du travail accompli par Cristofori sont rares. Déjà, le premier piano datant de 1700 n'existe plus. En fait, seuls trois pianos signés Cristofori existent encore, mais sont tous des modèles ultérieurs.

© Musikinstrumenten-Museum de la 'Karl-Marx-Universitat' (Leipzig, Allemagne) - Cet instrument de 1726 est l’un des trois pianos Cristofori encore en vie. Comme avec la plupart des clavecins italiens de la région florentine, la tessiture du clavier est de quatre octaves, de Do à Do. Le boîtier présenté ici, en cyprès, a été conçu pour être logé à l’intérieur d’un meuble décoré et doté de pieds. Celui d'origine n'a pas survécu et, pour cette image, le piano a été retiré du coffret décoratif créé au 19e siècle.

Le second modèle de la même année se trouve au 'Museo degli Strumenti Musicali' de Rome. Quant au troisième, datée de 1720 (mais avec des marteaux et d’autres modifications plus tardives), se trouve au 'Metropolitan Museum of Art' de New York. Cependant, pour être tout à fait juste, il existe également la moitié d’un piano Cristofori constitué uniquement de la partie mécanique et appartenant à une collection privée située à Vancouver, en Colombie-Britannique.


Une petite animation virtuelle montrant le principe mécanique créé par Cristofori.

MAIS D’OÙ EST VENUE L’IDÉE DU PIANO ?

Compte tenu de la nature fondamentale des changements en cause, l'idée même aurait-elle pu trouver son origine dans le désir du prince Ferdinand d'obtenir un clavecin plus expressif ? Certains ont suggéré que l'idée était "dans l'air", dans le climat technologique de l'époque, et que Cristofori était simplement le premier à la concrétiser (en fait, quelques années à peine après la première création de Cristofori, des conceptions similaires ont été établies en France et en Allemagne).

D'autres ont suggéré que l'impression écrasante produite lors d’une tournée par le virtuose du dulcimer, Pantaleon Hebenstreit, aurait inspiré les fabricants de clavecins à envisager un instrument utilisant les marteaux de la même manière. Quelle que soit la source de son inspiration, il est indéniable que c’est le génie de Cristofori qui a permis au piano d’atteindre le seuil des nuances et de ses subtilités ; une expressivité naturelle qui le sépare à jamais du clavecin et de l’orgue. Grâce à Cristofori, le piano était né !

Par Patrick Martial (Cadence Info - 06/2019)

À CONSULTER

LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d’un Steinway de 2010 ? L’aurait-il préféré à ses pianofortes ? Questions pertinentes et éclairage salutaire sur l'évolution du piano et ses conséquences sur la musique sont abordés dans l'ouvrage 'Les avatars du piano', écrit par Ziad Kreidy.

LE DICTIONNAIRE AMOUREUX DU PIANO

Olivier Bellamy, animateur de 'Passion classique' sur Radio Classique, aborde le piano et son univers à travers son livre 'Le dictionnaire amoureux du piano'. Non sans un certain humour, l'auteur en profite pour se lancer dans quelques réflexions critiques.


RETOUR SOMMAIRE
FB  TW  YT
CADENCEINFO.COM
le spécialiste de l'info musicale