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CHANSON

NINO FERRER PORTRAIT - 2. L’ARISTOCRATE DE LA CHANSON FRANÇAISE

Nino Ferrer poursuit toujours le même rêve : celui d’être un auteur-compositeur et interprète à ne pas classer dans la catégorie « variétoche ». Afin de se rassurer que tout est encore possible, il décide en 1967 de partir en Italie, son pays natal, pour trouver quelques réponses...

(cette page fait suite à Nino Ferrer biographie. L'amuseur public des années yéyés)


UN LONG SÉJOUR EN ITALIE

En Italie, Nino est considéré comme un chanteur amoureux de la musique noire américaine. Rien de bien surprenant à cela puisque l'artiste le revendiquait sans détour en chantant Je veux être Noir (1966). Dans un premier temps, il compte surtout prendre du recul sur ce malentendu qui le lie aux artistes yéyés. Après avoir effectué plusieurs aller-retour entre la France et l'Italie, Nino s’installe à Rome en 1969 avec sa nouvelle compagne, Kinou.

Pour Nino, l'Italie c’est la « dolce vita », et l’artiste se laisse griser par ses succès. La RAI lui confie même un grand show télévisé du samedi soir, « Io, Agate e tu ». Dans l’émission, il comprend vite que son image d’amuseur public, son humour et ses commentaires font merveilles. On le demande pour de la publicité, et il conserve là aussi la même dérision. Finalement, il lui est impossible d’aller plus loin, d’imposer une autre image de sa personne, même sur le sol qui l’a vu naître.

Lors de ce long séjour passé en Italie, Nino découvre le rock progressif grâce aux musiciens Santino Rocchetti et Giorgio Giombolini. De cette rencontre naît en 1970 l'album live Rats ans Rolls, où le chanteur témoigne de son ouverture musicale en renonçant au rhythm and blues des débuts.

Nino Ferrer lors d'une émission de la RAI en Italie (source Italian magazine Radiocorriere - 1970)


LA MAISON PRÈS DE LA FONTAINE

De retour à Paris, la France d’après Mai 68 vit sa période « Peace and Love ». Nino y répond à sa façon dans ses chansons en dénonçant les bouleversements qui secouent le Monde. Le chanteur a besoin d’air et d’espace. Entouré de sa famille, Nino occupe la Martinière, une vaste demeure du côté de Rueil-Malmaison, au style colonial avec un grand jardin. Le lieu l’apaise et l’inspire. De ces instants réconfortant naîtra la chanson La maison près de la Fontaine en 1971 : « La maison près de la fontaine / Couverte de vignes vierges / Et de toiles d'araignée / Sentait la confiture et le désordre / Et l'obscurité / L'automne / L'enfance / L'éternité ». Une poésie magique venait de prendre place, presque indéfinissable. La chanson connaît alors un gros succès. Ses « odeurs de campagne » feront d’elle le générique de l’émission ‘La maison de TF1’ consacrée au jardinage et au bricolage ; un étonnant accostage amplement mérité si l'on en juge par l’écriture de la chanson.


NINO FERRER : 'LA MAISON PRÈS DE LA FONTAINE'

Ces lieux de rêves que racontent Nino sont pour la plupart liés à son enfance ; un paradis perdu désormais menacé par un Monde de plus en plus froid et cynique. Nino le ressent, et pour dépasser le malaise, il passe une nouvelle fois par la case chanson. Le message qu’il compte livrer s’appuie sur un autre registre, celui-ci beaucoup plus dur comme peut l’être le rock, ce sera l’album Nino Ferrer and Leggs (1972).

Pour s’entourer, il fait notamment appel au guitariste irlandais Mickey Finn. Dans l’album, Nino exprime sa colère en anglais. Il compose et enregistre les chansons loin du regard des agents de maisons de disques. Nino refuse le change et il abandonne les jeux de mots faciles autant que les séductions à l’italienne. Après le jazz et le « blues calibre 12 » comme il disait, sans compter toute la musique noire qui lui a permis de rencontrer ses premiers succès, voilà Nino en route pour un autre voyage imaginaire né de la révolte des rockeurs blancs des années 70.


EN ROUTE VERS ‘LE SUD’

© CBS - Pochette du single 'Le Sud' (Nino Ferrer et Radiah Frye)

Chez Nino, la musique américaine n’est jamais loin. C’est souvent elle qui impose ses lignes conductrices. Un jour, son cœur le porte vers le sud, dans un lieu où le temps ne compterait pas et où il ferait toujours beau temps. En 1975, sa chanson Le Sud va faire un malheur. Intitulée au départ South (album Nino and Radiah – 1974), la version française paraît en single début 1975. En tête du hit-parade français, le 45 tours se vend à plus d’un million d’exemplaires.

Le Sud est une chanson longuement travaillée. Elle s’inspire des productions pop anglo-saxonnes qui avaient cours avec le renfort d’une riche orchestration. Ce sera le dernier grand succès de Nino Ferrer ; une reconnaissance ultime d’un auteur-compositeur à ses fans.

Quelques mois après la sortie de l’album Nino and Radiah, le chanteur en convient : l’album est un échec. La version française de South (Le Sud) n’aura pas eu l’effet rebond escompté. C’est même pire avec l’album suivant, Suite en œuf. Paru la même année que le single Le Sud, Nino se plaindra ne jamais avoir eu de passages promotionnels à la radio et à la télévision à la hauteur de sa sensibilité artistique et de son exigence.

Le chanteur était attachant, mais suffisamment caractériel pour se mettre en rage si par malheur l’animateur lui demandait une petite faveur comme celle de chanter un court passage de quelques succès passés. Pour Nino, un tube restait une chanson, ni plus ni moins. Contrairement à d’autres artistes de sa génération, il ne courait pas après ce genre de conquête ; et si à ses débuts il avait usé de facilité, une fois la popularité installée, Nino n’avait qu’un désir, celui de trouver des sensations artistiques beaucoup plus riches et vibrantes.

La chanson Le Sud était en quelque sorte le témoin indésirable. Le chanteur se sent étouffé par sa propre réussite. Il ne supporte pas qu’un titre à lui tout seul gomme tout le reste. Alors Nino prend la décision de fuir vers le sud, au sens propre, en s’installant dans une bastide du 15e siècle près de Cahors, en pleine campagne, dans le Quercy blanc. Là-bas, tel un monarque, il vit au milieu des siens, entouré d’animaux. Le dandy parisien s’est retiré pour devenir une sorte de « cow-boy » savourant la liberté des grands espaces. « J’ai trouvé l’harmonie, un coin de paradis », dira le chanteur. Dans le Quercy, Nino tire un trait sur le star-system, n’acceptant de recevoir que peu de gens, et encore moins les journalistes.

Pour trouver son équilibre et calmer ses angoisses, Nino peint, et de dérivatif, l’art de manier les pinceaux devient une passion. Pour l’artiste, la peinture est certainement un mode d’expression plus doux et plus contemplatif que d’étaler au grand jour un air en mode mineur. Nino peint des objets, des personnages, des paysages abstraits. Tout est rondeur, insaisissable, sauf la noirceur qui ne le quitte pas. Il peint pour lui et n’a aucune intention de vendre ses toiles.

La musique, il ne l’abandonne pas, et même si elle ne se vend guère, il est devenu son propre maître en fabriquant, tel un artisan, de nouveaux chapelets sonores sans devoir se plier aux impératifs du show business. Jusqu’à la fin des années 90, malgré d’inévitables passages à vide, il conserve religieusement la même foi. Puis, un jeune public découvre son répertoire et ses nouvelles chansons, dont La désabusion en 1993, un jeu de mots construit sur « désabusé » et « illusion ».


NINO FERRER : 'NOTRE CHÈRE RUSSIE' (album 'La désabusion' - 1993)

Nino ne change pas. Il reste un être morose et écorché. En 1982, la chanson Riz complet en était déjà une parfaite illustration (album Ex libris) : « Dans cette ville où tout est triste / Je suis un escargot sinistre / Je me recroqueville et m'enkyste / Je m'ennuie, / Je suis coiffeur ou secrétaire / Mécanicien, bibliothécaire / J'habite la banlieue ouvrière / Et je m'ennuie, / Je m'ennuie, / Je voudrais faire autre chose de ma vie / Je m'ennuie / Je voudrais savoir comment sortir d'ici ».

Depuis bien des années, Nino vivait le blues et l’impasse d’exister pour ce qu’il ressentait au plus profond de son être. Avec le temps, il s’était essayé à toutes les formes d’expressions artistiques, refusant en fin de parcours la moindre des compromissions, ne vivant qu’à travers sa vérité, telle une liberté d’expression qui lui était due. Pourtant, à l’âge où l’on dresse son inventaire, Nino se lancera un ultime défi avec le théâtre en composant la musique de L’arche de Noé, un spectacle qui recevra de bonnes critiques, sans compter le plaisir du public qui retrouvait le chanteur à côté de la troupe de comédiens.

Entre appétit de gloire et haine de gloire, Nino a toujours estimé qu’il était un amateur dans tout ce que la vie pouvait lui apporter. L’amateur de voitures, de peintures et de jolies femmes, estimait que la musique, vécue tel un gourmet, était la meilleure des chances pour se lancer de véritables défis.

Le 13 août 1998, la route de cet aristocrate de la musique prenait fin tragiquement à l’âge de 64 ans. Son suicide prenait par surprise les Français en vacances. Sur le point d’être oublié, Nino, l’exilé des causses, achevait d’un coup de fusil son testament de rimes désaccordées. Après sa mort, ses albums maudits sortiront de leur purgatoire, comme si son œuvre avait eu besoin d’un second souffle pour être approuvée et être réhabilitée, comme si le juste retour aux choses devait toujours attendre la disparition de l’être cher pour ressentir le manque.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 08/2021)

LES ALBUMS DE NINO FERRER

  • Enregistrement public (1966)
  • Les Petites Filles de bonne famille (1967)
  • Agata (1969)
  • Rats and Rolls (1970)
  • Métronomie (1972)
  • Nino Ferrer and Leggs (1973)
  • Nino and Radiah (1974)
  • Suite en œuf (1975)
  • Véritables variétés verdâtres (1977)
  • Blanat (1979)
  • La Carmencita (1980)
  • Ex libris (1982)
  • Rock'n'Roll Cow-Boy (1983)
  • 13e album (1986)
  • Che fine ha fatto Nino Ferrer ? (1989)
  • La Désabusion (1993)
  • La Vie chez les automobiles (1994)
  • Concert chez Harry (1995)

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