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CHANSON

NINO FERRER BIOGRAPHIE - 1. L’AMUSEUR PUBLIC DES ANNÉES YÉYÉS

Mort le 13 août 1998, l’auteur, compositeur et chanteur Nino Ferrer a laissé derrière lui quelques belles chansons qu’il avait prises soin de semer au fil d’une carrière entamée tardivement au milieu des années 60, passant des chansons humoristiques à un répertoire plus intimiste et sensible.


DU TEMPS DE SAINT-GERMAIN…

« Mes jours sont tellement lents / Et vides et obsédants / Je suis seul, la nuit vient / et je me souviens. » (C’est irréparable - 1966). Le compte à rebours vient de démarrer avec cette chanson d’amour d’une grande tristesse. Nous sommes en 1966 et Nino a 32 ans. Le chanteur est alors à la marge de la période yéyé. Il le sait et il en convient. Peut-être pense-t-il déjà que pour exister durablement dans la chanson française, il ne faut pas suivre la même route que. Mais n’anticipons pas.

Pour l’artiste en devenir, l’histoire a commencé dans le milieu des années 50 quand il était étudiant et avait la vingtaine d’assurée. Nino Ferrer est ce grand jeune homme blond qui rêve de gloire, d’argent et de filles, mais surtout d’amour ; un rêve si désiré qu’il lâche tout pour une belle jeune fille aux yeux clairs. Malheureusement, l’histoire finit mal, comme un mal irréparable.

Durant sa jeunesse, le jazz a droit de cité et Nino Ferrer oublie tout dès qu’il s’empare de son banjo ou de la contrebasse pour jouer avec quelques potes d’universités aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés ou sur les quais de la Seine, faute de trouver mieux. Les études passent en second et seule l’envie de jouer de la musique dans une franche camaraderie semble vouloir tout dire et tout expliquer.

Dans le milieu artistique des années 50, à Saint-Germain-des-Prés, les Parisiens croisaient le regard de Juliette Gréco ou celui d’un certain Serge Gainsbourg encore débutant. Pour Nino et ses amis, faire carrière dans la musique, cela signifiait exister et vivre de ce que l’on aime pendant 20, 30 ans. Toute une vie, à l’image de quelques figures légendaires qui courraient les jams comme un besoin vital.


AU CŒUR DE LA PÉRIODE YÉYÉ

Au début des années 60, le rock’n’roll est déjà là. Johnny s’en empare comme d’autres. Pourtant, aux antipodes de cette musique qualifiée de « sauvage », des chansons légères et manquant de consistantes commencent à s’imposer via quelques danses comme le Twist ou le Madison. C’est le déferlement inattendu du « yéyé », une période où la dérision n’est pas loin. Qu’importe ! Toute une jeunesse vibre à ces airs qui ont traversé l’Atlantique. Les vedettes ont alors pour nom Richard Anthony, Sylvie Vartan ou Frank Alamo. Pour Nino et ses amis, il faut se rendre à l’évidence, le déferlement de la musique jazz avait perdu de sa tonicité. Pour les jazzmen qui n’ont su ou bien voulu voir ce changement, l’avenir s’assombrissait.

C’est l’époque du 45 tours et des pochettes qui se répandent sur le sol des chambres des jeunes filles et des jeunes garçons avec en prime quelques posters de leurs idoles scotchés sur les murs. La radio tend aussi la main avec « Salut les copains ». Ce soudain désir d’écouter de la musique chez soi ou de la partager avec ses amis lors d’une soirée incitent les maisons de disques à lancer de jeunes chanteurs et chanteuses à tout va. Nino Ferrer, tout comme ses amis musiciens, ne peuvent faire semblant d’ignorer ce changement de cap.

Prenant à témoin le rock’n’roll des States, Nino Ferrer abandonne le jazz et ses amis non sans regret pour rejoindre un groupe éphémère de rock, The Red Caps. Nino quitte la contrebasse pour s'emparer de la basse électrique, mais surtout, il se met à chanter. Une chose est sûre, sa voix éraillée et ses relances conviennent parfaitement à ce que le rock’n’roll tente de propager sciemment. Ce tournant musical va être décisif pour la suite de sa carrière.

En 1961, le temps d’une saison, il intègre le groupe branché Twist and Twist (le TNT) que dirige le trompettiste et parolier Gilles Thibaut (auteur pour Hallyday des succès Que je t’aime ou Ma gueule, et pour Claude François de Comme d’habitude), avant de passer diverses auditions pour des maisons de disques... malheureusement sans résultat !


NINO FERRER  'POUR OUBLIER QU'ON S'EST AIMÉ'

L’année suivante, le batteur Richard Bennett apprend que la chanteuse américaine Nancy Holloway est à la recherche d’un groupe pour l’accompagner sur scène. Contacté, Nino finit par accepter. Nancy Holloway et le groupe formé pour l'occasion (les Dixie Cats) se produisent dans un premier temps aux Folies-Pigalle avant d’être « la vedette américaine » des Chaussettes Noires à l’Olympia, en mai 1963.

Nancy Holloway, qui ressent tout le potentiel de la voix de Nino, prend la décision de lui offrir quelques plages de liberté en lui permettant de chanter quelques titres ; l’encourageant même à poursuivre dans cette voie. Nancy Holloway : « J’aimais bien sa voix, j’aimais comme il chantait. Et puis il chantait avec moi des duos, on en faisait beaucoup… À l’Olympia, toutes les jeunes filles étaient folles, criaient et voulaient qu’il chante encore une autre chanson. » Quelques années plus tard, lors d’un « discorama » où il était invité, Nino devait répondre sans ambages : « C’est avec elle que j’ai pris mes leçons de scène, parce que Nancy, c’est une bête de scène. »

Pendant tout ce temps-là, Nino écrivait des chansons, sans penser un jour les exploiter. « Je viens d’une famille où cela ne se fait pas. Dans ma famille on ne devient pas chanteur. Alors écrire des chansons, c’était pour m’amuser. » Après avoir quitté Nancy Holloway, les membres du groupe Dixie Cats se séparent. Nino enchaîne avec les Georgia’s Rhythm Group, un groupe éphémère dans lequel on trouve George Chatelain à la guitare et le violoniste Jean-Luc Ponty au saxophone. Suivra quelques expériences en solitaire dans les cabarets parisiens dont 'La bouquinerie' et 'La polka des mandibules'.

Désabusé par autant d'expériences sans lendemain, Nino Ferrer accepte sans difficulté de travailler pour l’éditeur et parolier Jacques Plante en tant que compositeur. Le chanteur écrit alors pour d’autres. Nino voit dans cet accord un premier signe encourageant, un présage qui se confirmera en novembre 1963 avec l’enregistrement d’un premier super 45 tours pour ‘Bel Air’, une société récemment créée par Eddy Barclay. Nino est accompagné par le trio du pianiste Jacques Loussier qui occupe chez le producteur de disques l’emploi d’orchestrateur, entre autres.

Parmi les titres, deux chansons marquent de leur empreinte le talent du chanteur : Pour oublier qu’on s’est aimé, à l’esprit blues, et Un an d’amour (C’est irréparable), une chanson autobiographique dont l’écriture remonte aux années cinquante. Pour le public, Nino est un parfait inconnu, même si la chanson Un an d’amour reçoit un bon accueil dans plusieurs pays, en étant d’abord reprise en décembre 1964 par la chanteuse italienne Mina, puis par Dalida l’année suivante. La chanson ressortira même en 1991, interprété par Luz Casal dans le film Talons aiguilles d’Almodovar. Pour oublier qu’on s’est aimé vivra la même histoire ou presque en étant notamment adapté par Nicoletta en mars 1967.

Pour son second 45 tours, qui sort en mars 1964, Nino fait équipe avec Bernard Estardy à l’orgue et un jeune batteur de 16 ans, Richard Hertel, en plus d’un chœur féminin comprenant Claude Thaon, la compagne de Nino. Le disque sort au moment où le label ‘Bel Air’ est au bord du dépôt de bilan. Le chanteur, alors sous contrat, est dans l’impossibilité de changer de maison de disques. Mais Eddy Barclay, grâce à un tout de passe-passe, permet à Nino de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve en le faisant signer chez Riviera que dirige Léo Missir. Après quelques tentatives plus ou moins infructueuses (Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! et Tchouk-ou-tchouk), Nino est toujours à la recherche de trouver le bon filon, de celui qui conduit au tube. Le hasard va alors s’en mêler…


LA NAISSANCE DE ‘MIRZA’

Lors d’une soirée à Saint-Tropez où il est invité à se produire, Gaston Basset, le propriétaire des lieux, annonce qu’il ne retrouve plus son chien. Nino réagit et improvise aussitôt au micro un blues avec les paroles « Z'avez pas vu Mirza ? Oh la la la la la. » Il n’en fallait pas plus pour que ce gimmick fonctionne à merveille. L’idée de la chanson Mirza venait de naître. Elle allait donner suite à de nombreuses chansons tout aussi humoristiques : Les cornichons, Le téléfon ou Mme Robert.


NINO FERRER & LES CHERUBINS : 'MIRZA' (live, version gospel)

© Riviera - Pochette du 45 tours 'Mirza'

Nino Ferrer est alors très reconnaissant à ce chien « Mirza », sans qui tout aurait été si différent. Mirza impose un cachet personnel, même si d'autres titres comme Les cornichons ou Le téléfon ne sont au fond que des adaptations, issues parfois d’instrumentaux que Nino et ses collègues, Bernard Estardy et Richard Hertel, adaptent à la volée en y insérant leur propre feeling.

Nino avait à présent du succès, mais son exigence à vouloir être reconnu pour l’ensemble de son œuvre était loin d’être acquise. Il était contrarié par ces chansons qui lui collaient trop aux basques. Partout où il se produisait, le public attendait avec impatience Mirza ou Le téléfon. De quoi crier son désespoir en criant « Oh ! Hé, Hein, Bon ! ». Pas une émission de radio ou de télévision qui ne le lui rappelle. La chanson Le Sud, pourtant d’un tout autre tenant, aura le même écho réducteur à ses yeux. Pour cet artiste qui a toujours considéré la musique comme quelque chose de sérieux, il était temps de faire oublier cette image d’amuseur public. Les années 70 seront-elles son salut ?


LES ANNÉES 70, UN AUTRE NINO FERRER

Fini la voix qui déraille, les paroles saugrenues et futiles. Fini la loufoquerie des mots et la musique abâtardie et manquant d’originalité. Nino Ferrer avait inventé un univers construit sur de petites choses simples, sans prétention. Dans les scopitones, il fait le clown ou incarne un pitre soucieux d’être dans le bon ton. Or, ce personnage qui est loin d’être égaré, à l’image du personnage de Pierre Richard dans le film Le distrait, compte bien démontrer qu’il est autre chose qu’un artiste que l’on manipule.

Nino Ferrer est bien décidé à apparaître sous son véritable jour, comme un artiste fait de contraste : passionné, ombrageux, révolté et mélancolique à la fois. Il est temps pour lui de « battre le pavé » en imposant sa véritable personnalité artistique. Au tournant des années 70, rien n’est encore fait, il le sait, comme il sait qu’il est pris dans le piège qu’il a lui-même fabriqué. Chez les disquaires, ses disques sont rangés dans les bacs au milieu des artistes yéyés ou de ce qu’il en reste : Clo Clo, Sheila, Johnny, Sylvie…

Pour Nino, c’est comme un « mauvais film », et il parait bien difficile pour lui d’imposer une poésie faite de romantisme et d’amour. Que ce soit Mao et Moa ou Mon copain Bismarck, pourtant plus ironiques, l’image d’amuseur public que le chanteur renvoie et que le public a adopté n’a pourtant sur le fond rien de bien sérieux. « C’était pour rire ! », dira des années plus tard son organiste Bernard Estardy.

Les origines italiennes de Nino Ferrer (de son vrai nom Agostino Arturo Maria Ferrari), laisse à penser que son chant s’accompagne de gestes, de cœur et d’élan, ce qu'il tente de démontrer bien souvent à la télé comme sur scène. Passé le cap des premiers succès "pédiode yéyé", les chansons qu’il écrit désormais s’inspirent de son ressentiment vis-à-vis de sa propre existence et du Monde en général.


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