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MUSIQUE & SOCIÉTÉ


LE PUBLIC FRANÇAIS, DU CHANT AU SENS DU RYTHME

En France, paraît-il, tout finit par des chansons. C’est faux, sauf à préciser : des chansons à boire. Ce genre musical libère encore quelques énergies vocales parmi les dîneurs éméchés, plus impatients de brailler le refrain que d’interpréter un classique du répertoire populaire…


QUAND LE CHANT S’INVITE…

Plus vite ! Le premier à pousser le cri libérateur gagnera un CD d’Aristide Bruant ! Même chose pour La Marseillaise, dont l’« exécution » dans les stades représente une débâcle aussi tragique que la retraite de Russie. Au fond, je me demande si Valery Giscard d’Estaing n’avait pas déjà perdu l’élection de 1981 quand il décida, en 1974, de ralentir l’hymne national.

En dehors de ces navrantes beugleries – et, c’est vrai, des plaisirs de qualité qu’offre le chant choral – il faut admettre que les Français ne savent guère chanter ensemble. Combien de fois cette évidence m’est-elle apparue, au cours des innombrables concerts de rock ou de pop music auxquels j’ai assisté ! Déjà réticents à bouger sans complexe, neuf spectateurs sur dix frappent dans leurs mains à contretemps de la section rythmique de l’orchestre. Quand le chanteur invite la salle à l’accompagner de sa voix, vous remarquerez cette curieuse gestuelle, qui tient plus de l’aérobic que de la direction de chœur : bras levés au-dessus de la tête, les musiciens tentent – sans grand succès – de ramener l’assistance sur le bon tempo. Votre voisin jette alors un regard à la dérobée sur vos mains, comme un soldat du 14 juillet qui aurait perdu la cadence.

Ayant séché assidûment les cours de musique quand j’étais petit, je n’ai guère appris à jouer que de l’électrophone. Mon frère percussionniste vous aurait dit qu’en pareille situation, je rejoins la piètre performance de presque tous mes concitoyens. Mais mon handicap personnel ne m’interdit pas de chercher à comprendre.


LE FRANÇAIS, UNE LANGUE SANS MUSIQUE ?

La plupart des pays recèlent, dans leur naturel quotidien, des chansons connues de tous, refrains et couplets, que l’on reprend ensemble dans la salle à manger, la brasserie, la salle de concert ou le stade. Pourquoi pas nous ?

Peut-être à cause de toute éducation musicale chez la majorité des Français. Combien seraient capables de transcrire un air sur une portée ? Combien pourraient faire bonne figure au karaoke si le rythme n’était pas imposé par des sous-titres ? Jamais un soupir, jamais un silence, on enchaîne. Quant aux paroles, on ne les retient guère, sauf quelques bribes tombées dans le parler courant. Il est bien court, le temps des cerises… La mer qu’on voit danser le long des golfes clairs a des reflets d’argent, la mer… Aïe ! On a largué la mélodie et tout le monde fait la-la-la.

En réalité, le français est une langue sans musique : voilà l’origine profonde de notre infirmité. L’anglais, l’espagnol, l’italien, le russe, le portugais, le chinois… présentent une ligne musicale, des ruptures, des enflures. Ils se balancent, se scandent, se martèlent. Avec eux, l’aiguille du vumètre s’affole : avec le français, elle danse le slow. Aussi la richesse de notre vocabulaire apparaît-elle plus dans l’écrit que dans le langage parlé.

Aujourd’hui, la civilisation des autoroutes électroniques va encore accentuer cette tendance. L’oral prend toujours le pas sur la communication épistolaire. Qui sait si, dans vingt ou trente ans, nous n’irons pas rejoindre dans leur splendide isolement les langues classiques, appelées également langues mortes ?

L’« amusicalité » du français, j’en suis convaincu, a fait de nous des êtres sans beaucoup d’oreille. Quand nous aimons la musique, nous la cultivons avec sérieux et application. Chanter est pour nous une cérémonie. Si nous desserrions un peu nos cravates ? Chanter, c’est gai !

Point de vue de P. Lescure
(ancien PDG de Canal + et créateur de l’émission « Les enfants du rock »)

Cadence Info (11/2014)


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