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MUSIQUE & SOCIÉTÉ.


'LA MARSEILLAISE' DE ROUGET DE LISLE, HISTOIRE ET REMISES EN QUESTION

Le 25 avril 1792, jour de la déclaration de guerre à l’Autriche, lors d’une soirée, le baron de Dietrich, maire de Strasbourg, demande à Claude Rouget de Lisle d’écrire un chant de guerre. En rentrant chez lui, ce dernier tombe sur une affiche de propagande révolutionnaire qui contient les mots : « Aux armes citoyens »…


UN CERTAIN ROUGET DE LISLE

Au moment où Rouget de Lisle doit faire face à cette « commande » proposée par le maire de Strasbourg, il n’est qu’un compositeur violoncelliste à ses heures, un musicien amateur. Ce n’est qu’en 1796, après avoir quitté l’armée (avec le grade de commandant), qu’il se consacre véritablement à la musique et qu’il publiera plusieurs recueils.

Claude-Joseph Rouget de Lisle : 'Album du centenaire’ (Paris -1899)

Originaire de Lons-le Saunier, ce soldat du génie avait échappé de peu à la guillotine en ayant protesté contre l’emprisonnement de Louis XVI. De Lisle passera tout de même quelque temps dans une geôle froide et humide, à une époque où la lame froide de la « Louisette » menaçait de son efficacité, et de sa rapidité, le spectacle des têtes tranchées sur la place publique ; une « représentation » pour laquelle les spectateurs étaient divisés, certains préférant assister à une pendaison, car c’était plus lent, ou à une exécution par la hache… parce que bien plus sanglant !

En 1792, quand Rouget de Lisle compose La Marseillaise, il pense comme beaucoup de gens que la Patrie est en danger. Cette guerre qui vient d’être déclarée à l’Autriche – le pays d’origine de la reine Marie-Antoinette – n’augure rien de bon, mais il faut mobiliser et lever toute une armée de volontaires.

Se mettant au travail le soir même, il écrit ce qu’il nommera « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » avec le sous-titre « dédié au maréchal Lückner » (qui n’est autre que son chef). Il sait, pour en avoir entendu dans l’armée, qu’un chant patriotique doit être martial, simple et sans ambiguïté pour que naisse la solidarité des hommes autour d’un même combat.

L’idée de cette affiche sur la quelle est inscrit « Aux armes, citoyens, » devient une excellente mise en condition. Puissant, très parlant et s’adressant au peuple, cette énoncée, aussi brève que significative, Rouget de Lisle la jugera parfaite et l’intégrera comme entête du refrain. Les couplets, quant à eux, seront épiques, plein de souffles et de vigueurs :

« Allons ! Enfants de la Patrie ! / Le jour de gloire est arrivé ! » sert d’introduction au premier couplet, tandis que « Que tes ennemis expirants / Voient ton triomphe et notre gloire ! » conclut le 6e et dernier couplet de la version originale. Vis-à-vis des couplets qui brasse large en mentionnant les soldats, les traîtres, les esclaves, les despotes, les guerriers et bien sûr le drapeau, par dérision, Rouget de Lisle consacre son refrain à ceux qui ont le « sang impur », c’est-à-dire aux Révolutionnaires, par opposition aux Aristocrates qui ont toujours eu le sang « pur », c’est bien connu !


LA MARSEILLAISE AU FIL DU TEMPS

Face à l’urgence de la situation, et après avoir été accepté, le chant est imprimé et diffusé dans toute la France. La popularité de ce chant proviendra en partie d’un jeune médecin habitant à Montpellier, François Mineur (1770/1798). Ce futur général de Bonaparte, en l’entendant, le chante à son tour avec succès à Marseille, lors du départ conjoint des volontaires montpelliérains et marseillais vers la capitale. Puis, après divers changements de nom, l’hymne du « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » devient finalement La Marseillaise à Paris.

© Miguu - 'La liberté guidant le peuple' d'Eugène Delacroix (1830) - Musée du Louvre

La Marseillaise comprend six couplets originaux. Un autre sera ajouté plus tard baptisé « couplet des enfants » et dont l’auteur serait supposé être l’abbé Antoine Pessonneaux. À l’origine, la partition écrite par Rouget de Lisle ne repose que sur la mélodie écrite en clé de sol, sans accompagnement. Toutefois, il semblerait que la mélodie de La Marseillaise trouverait sa source chez le compositeur Jean-Baptiste Grisons (1746/1815), plus précisément d’un oratorio nommé Esther et créé en 1787, soit 5 ans avant Rouget de Lisle.


JEAN-BAPTISTE LUCIEN : ‘ESTHER’
François Bocquelet, Cathédrale Saint-Omer

Le 14 juillet 1795, La Marseillaise est décrétée ‘hymne national’, mais elle disparaît sous l’Empire et la Restauration et ne redevient à la place qu’on lui connaît aujourd’hui qu’en 1879, avec la troisième constitution républicaine. En 1887, une première « version officielle » est adoptée en prévision de la célébration du centenaire de la Révolution. Puis l’hymne disparaîtra un court moment sous le régime de Vichy, où l’hymne sera remplacé par le chant Maréchal, nous voilà !.

Entre temps, La Marseillaise sera récupérée à diverses occasions. Retenons l’arrangement proposé par Hector Berlioz en 1830, mais qui ne sera pas retenu ; son utilisation par Jacques Offenbach où l’hymne servira à accompagner la révolte des dieux de l’Olympe dans Orphée aux enfers en 1858. Plus terre à terre, la récupération par la Commune de Paris en 1871 qui l’utilisera comme un instrument de révolte. L’une des dernières révisions date de l’époque où Valery Giscard d’Estaing était président de la république, quand il avait demandé au pianiste Roger Boutry de réorchestré l’hymne national et de le réharmoniser.


UN CHANT PATRIOTIQUE CONTESTÉ

La Marseillaise a fait couler beaucoup d’encre, à tort et à raison. Sortie de son contexte et à notre époque, certaines paroles de Rouget de Lisle peuvent être jugées en total décalage, voire trop violentes. Un temps, des intellectuels, des écrivains, tenteront des explications rationnelles pour justifier ou condamner les paroles originales. Mais n'est-il pas difficile de voir juste, quand plus de trois siècles d’histoire ont traversé les campagnes françaises, quand de nombreux épisodes tragiques et malheureux ont justifié que des hommes et des femmes l’entonnent fièrement, parfois jusqu’à la mort ?

Modifier ou ajuster certaines paroles de La Marseillaise sous prétexte que son texte a été écrit à une époque traversée par les guerres, qu’il n’a pas de raison particulière de devenir éternel ou immortel, peut être toujours discuté et relativisé. Mais les récents attentats sous la présidence de François Hollande ont, semblent-ils, remis tout le monde d’accord. Son utilisation, fut-elle symbolique, a surtout permis de resserrer les liens, et c’est à travers cette portée - quelque part allégorique - qu’il faut certainement voir une utilisation intelligente de La Marseillaise et tout ce qu’elle représente de nos jours. On imagine mal, en effet, une déconstruction/reconstruction d’un chant et de ses paroles en fonction de l’évolution de la société, de ses changements de mœurs, pour des raisons religieuses ou suivant un changement de politique et de contexte international. Ce serait absurde et plutôt offensant pour notre propre histoire.

La Marseillaise agit aussi comme un aimant, un symbole patriotique que de nombreux artistes ont détourné pour sortir du rang, par dérision, mépris ou provocation. Je mettrai ainsi entre parenthèses Gainsbourg et sa version reggae (Aux armes et caetera – 1979) et même l’utilisation de l’hymne par les Beatles en introduction de l’album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band. À ces utilisations parfois contestées, je préfère mentionner la version réalisée par Django Reinhardt et Stéphane Grappelli sous le titre Echoes of France et enregistré à la sortie de la guerre en 1946. Dans leur cas, les paroles sont absentes et ne heurteront pas les oreilles sensibles, à moins bien sûr que le swing vous les échauffe !

Par Elian Jougla (Cadence Info - 07/2021)


DJANGO REINHARDT : ECHOES OF FRANCE (LA MARSEILLAISE - 1946)

À CONSULTER

NATIONALISME, HYMNE ET MUSIQUE CLASSIQUE

Dans l’histoire de la musique, des compositeurs ont contribué par leur engagement à écrire des œuvres qui sont devenues des hymnes et dont les événements ont conduit parfois à devenir les porte-drapeaux de révolutions populaires. De la persécution des chrétiens au début de notre ère jusqu'à la révolution russe d’octobre 1917, cette page décrit l’apport de la musique replacé dans son contexte.

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