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CLASSIQUE / TRADITIONNEL


ALEXANDRE THARAUD,
LES VARIATIONS GOLDBERG DE BACH

Pianiste d’exception, Alexandre Tharaud a déjà derrière lui un parcours généreux qui nous fait voyager à travers les styles et les époques. Chacun de ses disques rencontre un vif succès avec parfois à la clé quelques récompenses méritées. Le musicien travaille sans relâche, dialoguant avec son instrument jusqu’à affronter l’œuvre maîtresse et tant redoutée de Jean-Sébastien Bach, les Variations Goldberg, qu’il vient d’enregistrer pour Erato.


INTERVIEW ALEXANDRE THARAUD

Bonjour Alexandre Tharaud. Vous venez d’enregistrer les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach accompagnées également d’un DVD avec des images magnifiques. Je crois que c’est votre 42e album…

Alexandre Tharaud : oui, je crois aussi. Ça donne le vertige…

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour vous lancer dans ce projet ?

Est-ce que l’on n’est pas trop jeune pour enregistrer les Variations Goldberg, cet Everest de la musique ? Mais il y a un moment, peut-être la maturité, qui fait que cela arrive un jour. Ces quarante-deux disques, finalement, ce sont des marches qui permettent de monter vers les Variations Goldberg. Je pense que dans mon disque il y a tous les disques précédents.

Ça veut dire que c’est un point d’horizon qu’il faut affronter à un moment quand on est pianiste et qu’on adore Bach comme vous ?

Tout le monde n’est pas obligé de jouer en concert ou d’enregistrer les Variations Goldberg, mais pour moi, dès l’adolescence, dès mon premier disque, comme Gould, j’avais envie d’enregistrer les Goldberg. Pour atteindre ce but, il faut du temps, car cela demande de l’espace, de la patience.

Vous avez cité Glenn Gould. Il les a interprétées. C’est sûr, c’est très impressionnant, j’imagine. À t-il pesé dans votre décision, d’un côté comme de l’autre d’ailleurs ?

Je ne sais pas si c’est impressionnant. Cela fait partie de nous. Glenn Gould, c’est différent puisqu’il les a enregistrées plusieurs fois. Les Goldberg font presque partie de notre ADN quand on est pianiste, mais on ne va pas pour autant essayer de l’imiter. C’était un OVNI Glenn Gould. Je suis beaucoup plus inspiré par des pianistes plus récents ou des clavecinistes. Je pense à Pierre Hantaï qui a fait deux versions exceptionnelles et peut-être tout aussi révolutionnaires que celles de Glenn Gould.

Alexandre Tharaud

Puisque vous parlez des Goldberg, qu’ont-elles de si fascinant ? Expliquez-nous, à nous qui ne sommes pas des spécialistes.

C’est difficile en quelques minutes, mais peut-être, tout simplement leurs architectures. Bach n’a sûrement jamais été aussi loin dans sa science de la musique et de l’architecture musicale, et pour autant, son message est très fort, d’une grande humilité. Il vous touche là, aux tripes. On peut pleurer. Quand je joue sur scène, parfois, j’entends des gens pleurer. Je n’ai jamais vu ça avec d’autres œuvres.

En marge de votre CD, il y a aussi un DVD. J’imagine qu’il y a une véritable intimité dès qu'on joue les Variations Goldberg entre Bach et vous l’interprète ?

C’est une rencontre entre trois personnes : le compositeur, son interprète et l’instrument qui est choisi par l’interprète. Il faut que ces trois personnes s’entendent bien, et Stéphane Aubé a réalisé un très beau film en filmant la matière de l’instrument, le feutre, le bois, les cordes… C’est comme si on rentrait à l’intérieur de la machine, dans les entrailles du piano.

Est-il vrai que vous refusez toujours d’avoir un piano chez vous ? Cela semble incroyable ! Vous vous entraînez, vous faites vos répétitions, mais jamais chez vous…

Oui, c’est un choix que j’ai fait il y a maintenant dix-sept ans. Cela ne me semble plus incroyable à présent. On est même nombreux à travailler en dehors de chez nous.

Mais pourquoi ?

C’est comme deux personnes qui préfèrent être séparées, mais qui s’aiment toujours.

Il y a donc différents pianos chez plusieurs amis…

Je ne suis pas souvent à Paris, vous savez ! Quand je suis à Paris, j’ai quelques pianos d’amis très généreux, très gentils, qui me permettent de venir les caresser, comme des chiens qui manquent de tendresse.

Il y a trente Variations Goldberg. Est-ce qu’il y en a une en particulier qui vous touche ? Est-ce qu’il y a un moment dans les Variations Goldberg où vous vous arrêtez systématiquement en vous disant : « Qu’est-ce que c’est magnifique ! »

J’allais dire la numéro 25 qui est très lente, la plus longue et la plus profonde. Là aussi on a envie de pleurer. Bach nous délivre un message de paix. Il nous fait descendre vers une paix intérieure et de réconciliation avec nous-mêmes, mais au fond toutes les Variations sont des chefs-d’œuvre et j’aurais du mal à faire véritablement un choix.

Alexandre Tharaud - Variations Goldberg - Editeur : Erato/Warner.

Écouter des extraits sur Deezer

L'ORIGINE FABULEUSE DES VARIATIONS GOLDBERG

L’ambassadeur à la cour de Dresde souffrait d’insomnie. Un jeune claveciniste, du nom de Goldberg, était chargé d’apaiser l’angoisse de ses nuits blanches en improvisant au clavecin. L’angoisse persistant, le comte demanda à Jean-sébastien Bach de composer une pièce qu’il lui jouerait du crépuscule à l’aube.

Même fausse, la légende touche juste, car elle nous fait comprendre le caractère des Variations Goldberg, cette prolifération de notes à partir d’une seule aria. Trente fois, l’imagination s’élance, pour atterrir à la fin sur l’air du début. Mais est-ce vraiment une fin ? L’instrumentiste pourrait rejouer le cycle en boucle jusqu’au lever du jour. Bach avait écrit une sorte de conte oriental, dont les parties s’emboîtent l’une dans l’autre, sans aucune indication de temps.

La claveciniste Wanda Landowskales les jouait en 47 minutes, le jeune Glenn Gould mit 39 minutes, puis le CD permettant l’ajout de reprises, en 51 minutes. D’autres, depuis, ont étiré la partition jusqu’à 80 minutes ! Cette liberté, cette dilatation dans le temps prouvent bien que ces Variations ne sont pas de la musique abstraite, mais un enchaînement de récits. L’aria initiale, c’est la voix même de Schéhérazade, et l’auditeur, charmé, se croit ainsi transporté à Bagdad.

(Cadence Info - 11/2015)

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