‘SIEMPRE LO MISMO’, UN ALBUM D’UNE GRANDE DENSITÉ
L'ouverture musicale revendiquée par le batteur Belkacem Drif sert de point de rencontre et d’accroche dans un disque au discours animé à la fois par des jazzmen et d’autres part par des musiciens issus de la musique flamenca, gnawa et afro-cubaine. Un tel rapprochement n'a rien de bien surprenant, car cette tendance à s'affranchir des frontières prend de nos jours toujours plus d’importance, comme si le clivage entre l’origine des musiques devait fondre au soleil pour se réinventer et laisser venir à soi de nouveaux espaces sonores.
© Mila Drif, Fabien Sarfati
Cette propension à voir la musique produire des chocs culturels, à se mondialiser en quelque sorte, n’est pas le propre de la seule musique de jazz, la chanson et la musique rock proposent, elles aussi, de temps en temps, des rencontres artistiques et cosmopolites conduites par des artistes curieux et audacieux. Si de telles démarches artistiques existent, elles n'ont pas nécessairement vocation à révolutionner le langage musical, mais plutôt de l'enrichir et de le dynamiser à travers des échanges culturels bénéfiques.
À l’écoute de l’album Siempre lo mismo, une chose est certaine : la prédominance est jazz avec une formation acoustique des plus classiques. Les instruments invités que sont la guitare, le hajhouj, le bendir et autre derbouka sont comme des hors d’œuvres venus pimenter des compositions dominées par l’effluve de rythmes dissociés et sur lesquels se posent d’éclatantes, mais brèves improvisations.
Soutenu par la polyrythmie généreuse de Belkacem et servi par l’excellent trompettiste Eric Le Lann et les non moins brillants Nico Morelli au piano, Hervé Meschinet au saxophoniste et à la flûte, et par Marc Buronfosse à la contrebasse, l’album Siempre to mismo marie ses vivifiantes couleurs sonores et ses désirs d’évasion sans rompre le fil conducteur de ses sept titres. Certains regretteront peut-être la densité sonore, la tension sous-jacente qui court dans la majorité des titres et pour laquelle un peu de respiration aurait fait du bien. Même la ballade Soffio ou l'ode aérienne de Planifique ne laissent pas vraiment l'auditeur se poser. Reste que cet album ne manque pas d’idées et de variations dans ses intentions, comme l’utilisation de métriques inusitées. Le 5/4 dans le titre éponyme et le 7/8 dans Noche qui, de son côté, laisse libre cours à un échange débridé entre la batterie de Belkacem et le saxophone d'Hervé Meschinet.
Composés et arrangés par Belkacem, sa musique raconte son goût profond pour la découverte et le métissage. À l’exception du Boléro de Maurice Ravel symbolisé par l’ostinato de la caisse claire, seule particularité reconnaissable de la célèbre œuvre, chaque titre de l’album plonge l’auditeur dans un parcours balisé, un poil brouillon par son côté démonstratif, mais où la sophistication est de mise. On soulignera les interventions vocales de Julien Marc, bienvenue, et dont l’excellence est mise en relief dans Planifique et la « comptine orientale modale » Babayana, un titre éclatant comme un achèvement qui vient à point nommé. Du beau travail !
BELKACEM DRIF : 'TEASER'
À PROPOS DE BELKACEM DRIF
© Alice Morelli, Jeff Joly et Eric Grognard
Rien ne prédestinait Belkacem Drif à devenir musicien professionnel. Benjamin d’une fratrie de 12 enfants, il découvre enfant les joies de la musique grâce à ses voisins d’origine gitane qui lui font découvrir la musique flamenca pour laquelle il se passionne. L’intention est là, mais Belkacem est turbulent. Son instituteur lui conseille d’intégrer une école de musique.
Formé au langage des percussions, il débute à 16 ans en se produisant dans les bals le week-end. L’expérience est formatrice et l’incite à poursuivre dans la musique. Belkacem s’inscrit alors au conservatoire du 9e arrondissement de Paris, avant de se diriger vers le jazz en intégrant l’école du CIM sous la baguette de Guy Hayat. Il se perfectionne et il complète sa formation en étudiant l’harmonie jazz avec le pianiste Philippe Baudoin. Plus tard, il sort diplômé de l’école de batterie Emmanuel Bourseault et obtient une licence de musicologie à Paris 8.
Belkacem Drif fait ses premiers pas comme musicien professionnel en accompagnant de nombreux artistes et groupes sans s’attacher à un style particulier, digérant aussi bien la musique soul et rock que la bossa nova, le jazz et la variété (dans le sens noble du terme). Et s’il goûte à toutes ses saveurs musicales et à leurs nuances, il reste avant toute chose un amoureux du rythme, où plutôt des rythmes d’où qu’ils viennent.
La musique de sa Kabylie et ses voyages en Espagne, au Maroc ou encore aux États- Unis, lui ont permis d’aller à la rencontre de musiciens venus de tous horizons (Travis Bürki, Alain Jean-Marie, Brahim Izri, Julio Laks, Antonio Lopez...) Préservant ce goût pour le partage et les échanges, la musique composée par Belkacem reflète cette générosité et cette ouverture, comme cette brèche intitulée Siempre lo mismo qui ouvre le champ du possible à de nouvelles rencontres musicales et humaines.
Par Elian Jougla (Cadence Info - 01/2021)
PERSONNEL
- Belkacim Drif : batterie, compositions et arrangements
- Eric Le Lann : trompette
- Hervé Meschinet : saxophone, flûte
- Nico Morelli : piano, arrangements
- Marc Buronfosse : contrebasse
- Manu Bizeau ; percussion
- Paco Narvaez : guitare
- Said Mesnaoui : hajhouj
- Julien Marc : voix
TITRES
- Siempre lo mismo
- Mila
- Soffio
- Noche
- Planifique
- Le boléro
- Babayana
Belkacem Drif
album Siempre Lo Mismo
sortie le 05/02/2021
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