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CLASSIQUE / TRADITIONNEL

BIOGRAPHIE PORTRAIT DU COMPOSITEUR ERIK SATIE

Dans l’histoire de la musique classique, Erik Satie est un personnage étrange, un être solitaire et un peu falot doté d’un humour à froid qui réussi à déconcerter les quelques témoins qui croisèrent son existence. À l’encontre des tendances esthétiques de son époque, sa musique n’épousa ni de savantes orchestrations, ni de subtiles recherches sonores, Satie se contenta d’écrire une musique dépouillée, une musique où la mélodie cède le pas et où souffle un certain modernisme chargé d’émotions spirituelles.


ERIK SATIE, ENTRE OGIVES ET GROSSIENNES

Après ses études de piano au Conservatoire, le jeune Satie devient un musicien bohème, un montmartrois qui se produit dans quelques cabarets populaires. Au Chat Noir, il a l’occasion d’accompagner Paulette Darty, la reine de la valse 1900, et de sympathiser avec l’écrivain Alphonse Allais. Parfois, par égarement ou simplement par fantaisie, le pianiste de cabaret s’amusait à provoquer le public en faisant jaillir de l’instrument à clavier quelques sonorités insolites. Erik Satie notait, comme on enferme une fleur dans un herbier, quelques accords inattendus sans pour autant nourrir l’ambition de réaliser un morceau de musique accompli.

Alors que Satie est encore un compositeur modeste, un inconnu, ses premières œuvres dénotent une forte personnalité, comme en témoignent ses quatre Ogives (1886), ses Sarabandes (1887), sans oublier ses Gymnopédies (1888) et ses Grossiennes (1890/1891). Le compositeur n’hésite pas à supprimer quelques repères (absence des barres de mesure) pour en inventer d’autres (annotations). Très souvent, dans ses pièces pour piano, les accords prédominent au détriment de la mélodie. De fait, sa musique, qui est essentiellement verticale, rompt totalement avec l’esprit du piano romantique qui vivait alors ses derniers jours. Sans être foncièrement impressionniste, la musique de Satie possède une tonalité très personnelle qui invite au voyage, à la rêverie, à l’évasion, mais aussi à la surprise, à l’inattendu.

© Sonia y natalia (wikipedia) - Erik Satie

À la même époque, Debussy commence à goûter aux voluptés de certaines agrégations harmoniques, simplement pour le seul plaisir de les entendre. C’est dans l’Auberge du Clou où Erik Satie se produit occasionnellement que naît une amitié avec l’auteur des Arabesques. La musique d’Erik Satie amuse Debussy qui en retour a la gentillesse d’orchestrer les accords amorphes et sans liens de la première et troisième Gymnopédies. Ce geste amical eut pour résultat de faire passer le pianiste montmartrois comme le précurseur et instigateur de Debussy et de Ravel. À tort ou à raison, Satie sera présenté comme un prophète génial ayant exercé sur les grands maîtres de son temps une grande influence.

En 1898, Satie décide de changer de vie et se retire pour vivre dans une petite chambre à Arcueil. À l’âge de 36 ans, prenant au sérieux son rôle de pontife, le vieil enfant qu’était Satie, si facile à duper, décida soudain de renoncer à l’harmonie (en vérité sa seule richesse naturelle), et de retrouver la sérénité de Bach en étudiant le contrepoint à la Schola Cantorum.

Trois ans plus tard, il en ressort avec un diplôme de contrepoint. Mais derrière l’élève consciencieux existe toujours le même personnage espiègle. Ses Trois morceaux en forme de poire (1903) sont les témoins de ces déguisements sonores que l’auteur affectionne toujours. De ce travail, si ardemment conduit, naîtra bien plus tard la psalmodie Socrate (1918), une œuvre pour piano et voix sur des textes de Platon qui, en son temps, émerveilla les uns et consterna les autres par sa pauvreté évangélique (une version pour orchestre sera créée en 1920).


ERIK SATIE : TROIS MORCEAUX EN FORME DE POIRE


ERIK SATIE, DES PIÈCES POUR PIANO

C’est Ravel qui, le premier, donnera sa chance à Satie en communiquant au public quelques-unes de ces œuvres. En 1911, la notoriété déboule dans l’existence de Satie. Comme prit dans une tourmente que rien ne semble pouvoir arrêter, le pianiste se met à écrire dans l’urgence un grand nombre de pièces pour piano.

En trois ans, soixante pièces exclusivement écrites pour cet instrument verront le jour. Les titres très évocateurs ne laissent place à aucune ambiguïté derrière un humour prédominant : Embryons desséchés, Préludes flasques pour un chien, jusqu’au Trois Valses distinguées du précieux dégoûté, allusion aux Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel.

De tels titres laissent songeur avant même d’être entendu. Il faut reconnaître que le compositeur joue les troubles fêtes dans un monde musical qui n’a pas encore vécu les grandes révolutions musicales du 20e siècle.


ERIK SATIE, LE COMPOSITEUR DU SURRÉALISME

Dans son approche musicale, Erik Satie est un compositeur « ordonné » qui tire parti de quelques enchaînements d’accords sur lesquels viennent se greffer des mélodies dérivées des modes grecs, apportant ici ou là quelques intonations faussement orientales. Sa technique de composition très spéciale ne sera pas toujours capable de calmer certains esprits critiques qui, parfois, s’en donneront à cœur joie en le vilipendant.

Autres facéties du compositeur, les vingt « instantanés musicaux » de Sports et Divertissements avec ses commentaires annotés par l'auteur à la marge. En faisant cela, le compositeur nous prend par la main pour nous conduire dans son monde imaginaire. L’esprit d’Apollinaire et de ses Calligrammes ne sont pas si loin, tout comme l’est le ballet Parade (1916), fruit d’une rencontre avec Cocteau, et premier témoignage sonore visant un surréalisme naissant en collaboration avec le peintre Picasso et le chorégraphe Massine.

Pour le compositeur, Parade est l’occasion de construire une musique essentiellement rythmique et atypique. Conjointement à quelques bruits naturels : sirène, machine à écrire… les furtives mélodies du ballet croiseront sur leur route quelques rengaines à la mode et un ragtime encore naissant.

C’est quand il avait une totale liberté de s’exprimer, sur le fond comme sur la forme, que le compositeur arrivait à produire une musique souvent inédite et provocante. Erik Satie sera un des premiers compositeurs français à écrire une musique pour le cinéma (Entracte de René Clair – 1924). Avant-gardiste, il aura aussi l’occasion de composer avec Darius Milhaud de la musique dite «  d’ameublement » servant à créer un fond sonore lors d’expositions de peinture.

Encore aujourd’hui, à son écoute, l’œuvre de Satie possède suffisamment de provocations sonores et d’enchaînements harmoniques inattendus qu’il est difficile d’y trouver un port d’attache dans les musiques qui ont accompagné son existence. Sa musique singulière et déroutante a fait école ; et si à sa naissance elle mit en rage de nombreux musiciens, il faut reconnaître son importance historique. Satie a ouvert la voie à un certain esthétisme musical s’inscrivant parfaitement dans le prolongement de la musique du 20e siècle.

De son vivant, sa musique était devenue une source d’inspiration pour divers jeunes compositeurs. L'école d’Arcueil construite autour de Roger Désormière, Henry Cliquet-Pleyel, Maxime Jacob et Henri Sauguet sera fidèle à la simplicité d’expression du maître, tandis que le « Groupe des Six » (Louis Durey, Arthur Honneger, Darius Milhaud, Germaine Tailleferre, Francis Poulenc, Georges Auric) verra dans ses messages anticonventionnels une source d’inspiration inépuisable. Aujourd'hui son œuvre est enseigné dans les conservatoires et écoles de musique au même titre qu'un Debussy ou un Fauré.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 02/2014)


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