L'ANIMATEUR RADIO, LE PREMIER ARCHITECTE DES SONS
Dans tous les pays du monde, l'éclosion des disc-jockeys correspond à celle des radios pirates, contournant, notamment par la teneur de leur programmation musicale, les canons proposés par les majors avec l'assentiment des institutions politiques et morales. L'apparition de ces radios interdites découle elle-même de la montée en puissance du rock et, surtout, de la musique afro-américaine.
C'est logiquement dans les villes comme Memphis et Detroit, où, sous l'impulsion des labels 'Stax', 'Atlantic', 'Chess' puis 'Motown', que la musique afro-américaine (rhythm and blues et soul) prend son envol et que le mouvement va naître.
Mal considéré par les institutions, cette musique, qui reste l'apanage des Noirs, est très peu programmée par les radios officielles. Dans les innombrables radios pirates, on ne passe que de la soul et du rock. Le DJ entre alors en action. Il annonce le disque avant de le passer à l'antenne. Son élocution endiablée, appelée "jive talk" (déformation phonétique et utilisation de l'argot), donne le rythme. Son rôle est encore mineur et il n'intervient pas directement sur la musique. L'évolution qui conduira à l'explosion des disc-jockeys new-yorkais et à leur apparition en dehors des radios passera par un voyage en Jamaïque.
© pixabay.com - Un équipement analogique où règne encore le disque vinyle
LE DISCOMOBILE : DU SOUND SYSTEMS AU RAP
En Jamaïque, la diffusion de la musique se fait principalement par la voie de "discomobiles" qui sillonnent l'île. Pour apporter les nouveautés ska puis reggae. Elles sont programmées par des animateurs qui, s'inspirant du jive talk, racontent des histoires en "toastant" (parler sur la musique) sur les faces instrumentales des 45 tours (face B).
Cette forme d'expression, mi-chantée, mi-parlée, conduira au raggamuffin, pendant jamaïquain du rap américain. Avec la consécration du reggae à la fin des années 60 et l'apparition des magnétophones à 4 pistes, des pionniers comme Lee Scratch Perry et l'ingénieur du son King Tubby introduisent le dubbing, recréation musicale à partir d'effets et de remixages qui font le bonheur des DJ et qui s'y adonnent sans retenue. Ces "discomobiles" jamaïquaines sont les pionniers des sound systems new-yorkais.
Logiquement, les premiers grands disc-jockeys américains, comme Grandmaster Flash ou Kool Herc, sont d'origine jamaïquaine. Ils introduisent les "sound systems" dans les ghettos où s'organisent des "blocks-parties".
Ces fêtes se déroulent dans la rue. Une sono et des spots sont apportés et branchés sur l'éclairage public. Moyennant une somme modique, on peut danser et assister aux prouesses du DJ. Ce dernier devient le véritable maître d'œuvre des soirées. Il fait la programmation musicale et retravaille les morceaux, les remixant, les scratchant (manipulation des disques produisant un son et un rythme propres), tandis que le MC (Master of Ceremony) improvise des textes en toastant.
La rencontre entre MC et DJ constitue l'alliage magique qui mènera à l'explosion du rap. Tous les groupes de rap ont leur DJ attitré, parmi lesquels se trouvent certains des plus grands, comme DJ Muggs de Cypress Hill, DJ Hurricane des Beastie Boys ou, en France, DJ Clyde de NTM et DJ Kheops de IAM.
LE DISCO FAÇON DJ
Parallèlement à ce phénomène, essentiellement noir, l'avènement du disco, musique de danse plutôt blanche fondée sur une rythmique aussi simple qu'efficace, offre aux disc-jockeys un nouveau champ d'exploration et un nouveau lieu d'action : la cabine de boîte de nuit. Le DJ a toujours fait danser les gens, mais rarement dans un cadre prévu à cet effet.
Ce sont les animateurs de radio anglais qui, après avoir importé la soul chez eux dans le milieu des années 60, organisent les premières grandes soirées dans des clubs comme Alexis Corner au Marquee. Avec l'arrivée du disco, les boîtes spécialisées se multiplient aux États-Unis et en Europe. Dans chacune d'entre elles, un disc-jockey programme, anime et commence à sampler grâce à l'apparition des premiers échantillonneurs.
Première musique de DJ, le disco fait appel aux sons et aux techniques d'enregistrement les plus modernes, ouvrant la voie à la révolution techno des années 90.
© pixabay.com - Un équipement numérique permettant une programmation des effets recherchés
QUAND LES DISC-JOCKEYS S'EMPARENT DE LA TECHNO...
Les années 80 sont essentiellement marquées par l'introduction de l'électronique dans le rock, et ce, à toutes les étapes de la création, avec des artistes aussi divers que Laurie Anderson aux États-Unis ou Depeche Mode en Angleterre. Les véritables pionniers en la matière sont les groupes allemands, Tangerine Dream et Kraftwerk, qui inspireront largement les DJ techno et même rap comme Africa Bambaataa.
À partir des années 90, la musique techno porte à l'inflation le couple grosse caisse/charleston appuyé par des infrabasses électroniques et une ambiance froide à base de samples. Dans la plupart des cas, voire à 100%, la musique est élaborée par des DJ. Elle a d'abord été concoctée à Detroit par des animateurs comme Juan Atkins ou Kevin Sauderson, avant de conquérir l'Europe et d'y gagner ses lettres de noblesse.
Principal mouvement musical de ces vingt dernières années avec le hip-hop, la techno et tous ces dérivés (l'ambient, la jungle, la goa, etc.), la musique électro produite par les DJ est essentiellement européenne. Des Français, comme Laurent Garnier ou des Anglais tel Bataves ont été les premiers pourvoyeurs, appuyés par la multiplication des soirées et l'intérêt des médias (M6 ou Radio Nova en France qui a propulsé Dee Nasty, premier grand DJ hip-hop/soul de l'Hexagone).
DÉMO SCRATCH par DJ FLY
Ainsi, de programmateurs de disques, les disc-jockeys sont devenus d'authentiques créateurs, des platinistes développant leurs propres genres musicaux à partir des outils offerts par le progrès (sampleurs, en tête !), qui leur permettent d'opérer une ponction dans les morceaux déjà enregistrés et de les restituer sans altération grâce à la toute puissance du numérique.
Depuis le remplacement du vinyle au profit du CD, les DJ doivent plonger dans leurs stocks jamais renouvelés de vieux vinyles et remonter toujours plus loin dans le temps, afin de trouver la matière de leurs compositions.
Sans vraiment le vouloir à la base, ils contribuent à perpétuer des styles de musique ou des artistes disparus, et à les faire découvrir aux jeunes générations (qui ne connaissent souvent que les titres édités en compact).
L’ART DU PLATINISTE
Aujourd’hui, tout bon platiniste utilise les outils numériques depuis que cette technologie a permis de dépasser la simple possibilité d’enchaîner des disques vinyles. L’arrivée du numérique a, ici comme ailleurs, bousculé les pratiques. La fiabilité du matériel, des possibilités de création sonore accrues, un gain de place (disques durs, mp3)… sont quelques-unes des raisons qui ont conduit de nombreux adeptes des vinyles à sauter le pas.
Si fondamentalement les deux platines sont toujours là, l’utilisation de l’ordinateur a révolutionné la pratique. Reproduire un mix sur vinyle tout en utilisant des MP3 contenus dans l'ordinateur est aisé, tout que peuvent l’être la création de boucles et d’effets programmés. En augmentant considérablement ses possibilités d'actions, le DJ développe ainsi un autre rapport avec le mix. Des programmes tels que ‘Virtual Dj’, ‘Ableton Libe’ ou ‘Serato’ permettent un contrôle, une automatisation des tâches, une prise en main totale concernant l’évolution du son, les enchaînements et le tempo synchronisé.
De même, si le fondu enchaîné est la matière première (la fin d'un morceau est mélangée avec le début du suivant pour permettre une transition progressive), le DJ a bien d’autres possibilités entre ses mains, notamment le Scratch qui lui permet de ciseler le son en le rythmant grâce au jeu d’un fader dédié.
Toutefois, comme par le passé avec les vinyles, le DJ est confronté au calage du tempo émanant de deux sources sonores différentes qu’il doit mixer. Il ne s’agit pas dans ce cas d’un simple fondu enchaîné, mais de mélanger les deux sources tout en calant le tempo de la première sur la suivante. L’opération de ce genre de mix (beatmix) est aujourd’hui grandement facilitée par l’utilisation des programmes précités (utilisation du pitch control).
Une autre façon de mixer est de réaliser un « cut ». Le DJ doit alors effectuer l’enchaînement des deux morceaux non pas de façon progressive mais de façon « sèche », c’est-à-dire en synchronisant le premier « beat » (battement) du titre qui doit suivre sur le dernier « beat » du titre en cours.
par Benjamin Sire et Véronique de Launay (Cadence Info - 01/2019)