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CHANSON


HUBERT-FÉLIX THIÉFAINE, INTERVIEW AUTOUR DU DISQUE 'STRATÉGIE DE L’INESPOIR'

Le dernier album d’Hubert-Félix Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, ne laisse aucune place à un blues moribond. Inclassable et boudé par les médias, le chanteur continue malgré tout de tracer sa route ouverte avec La fille du coupeur de joints, hymne qui sera humé par toute une génération et qui parviendra à passer sur quelques radios. Cependant, le chanteur ne deviendra disque d’or qu’au cinquième album grâce au titre Lorelei sebasto cha. Une poésie noire et surréaliste qui flirte avec les traits d’un personnage fantasque. En 2008, un excès de trop le conduira tout droit à l’hôpital ; aussi peut-on voir l’année 2011 comme une vraie renaissance quand paraît l’album Suppléments de mensonge, disque révélateur qui lui permettra de recevoir deux "Victoires de la musique" : Artiste et Album de l’année. La traversée d’une poésie rock et sombre est au cœur de son dernier album. La Stratégie de l’inespoir est à découvrir.


INTERVIEW HUBERT-FÉLIX THIÉFAINE

Sortir un nouvel album, est-ce un dur labeur ou pas ? Existe-t-il une certaine facilité dans le travail d’écriture ?

Hubert-Félix Thiéfaine. J’essais que ce soit un peu différent chaque fois, et pour cet album, j’avais commencé à l’écrire avant ma dernière tournée "Homo plebis ultimae tour" pour ne pas être pris au dépourvu. J’avais deux à trois heures de musique.

© Yeti-vert - Hubert-Félix Thiéfaine (live '24e Festival Chorus des Hauts de Seine' à Gennevilliers - 2012)

Lorsqu’en 1978 vous sortez votre premier disque, Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, le public découvre le titre La fille du coupeur de joints, qui deviendra l’hymne de toute une génération. Est-ce une belle carte de visite ou est-ce qu’elle vous embarrasse, tellement on vous la demande ?

Tout le monde veut me voir comme quelqu’un de sombre, alors j’ai des chansons comme La fille du coupeur de joints. C’est marrant, parce que c’est toujours interdit ! C’est une chanson encore un peu sulfureuse (rires)

Il y a chez vous une volonté de créer un personnage. C’est naturellement vous sur scène et sur disque ?

Non, j’ai créé un personnage. J’ai ajouté à mon nom, Félix, parce que je voulais que cela soit un peu surréaliste, guignol. Dans mes spectacles, jusqu’en 1980, c’était guignol. Je balançais des confettis, des cacahuètes… C’est après que j’ai vu que je n’arrivais pas à vivre avec ce masque.

Un des grands titres qui a marqué votre carrière, c’est Lorelei, sortie en 1982 sur l’album Soleil cherche futur. C’est une chanson qui a voyagé et bien voyagé…

C’est un succès public, tandis que La fille du coupeur de joints, c’est plus souterrain. C’est une chanson que j’ai écrite quand j’étais en fac. Tandis que l’autre, Lorelei, ça passait en radio. Cela a été "Numéro 1" pendant plusieurs mois.

Là, vous touchez ce qui a été longtemps votre quête, votre caractéristique… Vous remplissez des salles partout où vous passez, même des très grandes salles, alors que tout se passe dans une relative indifférence médiatique… Cela vous fait souffrir ou pas ?

Cela dépendait de mes humeurs. Cela m’a ennuyé quand j’ai fait Bercy. En 98, j’étais un des rares chanteurs français avec Johnny et Eddy Mitchell à faire Bercy, mais ça été quasiment le silence radio. Et, je me suis dit : « Y’a des mecs qui sont payés et qui ne font pas leur boulot. » C’est un peu pour ça que j’ai un titre qui s’appelle Médiocratie.

Les médias, justement, n’en ont pas parlé, mais votre Bercy faisait salle comble. Un souvenir fort bien évidemment, un des grands moments de votre carrière...

On m’a traité de fou alors que j’avais calculé mon coup. Mais c’est comme ça !

Est-ce que ce n’est pas trop grand Bercy ?

Toutes les scènes sont importantes… J’ai aimé jouer en cabaret, mais quand je suis aux Vieilles Charrues devant 75 000 personnes qui vous renvoient leur énergie, je suis heureux aussi.


THIEFAINE : STRATÉGIE DE L'INESPOIR (live 2015)


Après votre burnout survenu en 2008, qu’est devenue votre vie ?

J’ai dû faire une cure très longue de désintoxication. J’avais, parait-il, dépassé depuis longtemps le point de non-retour. Je suis devenu très clean. J’ai remplacé certains plaisirs nocturnes par du sport matinal. J’ai repris une vie très saine et sportive.

Vous avez souvent expérimenté au cours de vos albums. Vous êtes allé enregistrer aux États-Unis, par exemple. Qu’est-ce qui, selon vous, est le fil rouge qu’on n’aurait pas encore dessiné de vos 17 disques ?

Là où je suis partout, c’est au niveau du texte. Après, ce qui m’intéresse, c’est de faire des expériences musicales. Ça fait des albums comme Défloration 13 qui a un petit côté bristol, ou même des albums un peu plus jazzy ou carrément blues… J’ai fait mes expériences musicales à partir de textes, qui eux, sont restés fondamentaux.

Dans la chanson Angélus issue de votre disque Stratégie de l’inespoir, que faut-il comprendre ?

Pour tout dire, Angélus est une chanson qui a été écrite pour un autre album qui n’a jamais vu le jour. En 2008, il avait été court-circuité par le burnout… C’est une façon de lâcher un petit peu ces histoires de croyances religieuses pour se barrer vers quelques choses de beaucoup plus magiques qui est le sentiment, qui est le sexe, aussi.

En quoi vous croyez aujourd’hui ?

Je ne suis pas ce qu’on appelle un athée, parce que je ne suis pas assez gonflé pour ça et que je ne suis pas assez instruit, comme la plupart des humains d’ailleurs. On ne sait rien, quoi ! Et, de ce fait, je pense que je n’ai pas l’intelligence de comprendre l’univers, ce qu’il peut y avoir derrière. Je n’ai pas l’intelligence de comprendre l’infini. C’est un sujet où je suis assez clair. Si Dieu existe, c’est son problème, moi, j’ai les miens. Qu’il se débrouille avec les siens ! C’est là, à peu près, où j’en suis dans mes croyances.

Pour ce nouvel album, Stratégie de l’inespoir, vous avez fait appel à votre fils Lucas, un jeune musicien de 21 ans...

Ce n’était pas prévu du tout. Comme il est assez bon ingénieur du son, je lui ai juste demandé de m’enregistrer d’abord une maquette présentable. Mais lui a profité d’un de mes voyages pour commencer à mettre des arrangements autour de ma voix. Il m’a envoyé le résultat et je l’ai trouvé super. Ça correspondait tout à fait à ce que j’imaginais, et on a fini par faire l’album entier.

Est-ce que vous vous reconnaissez en lui, lorsque vous aviez 20 ans ?

Non. Je n’étais pas doué comme lui. C’est pour ça d’ailleurs que je me suis mis à écrire des chansons, parce que, en tant que musicien, je ne me trouvais pas très bon.

En 2012, lorsque vous recevez deux "Victoires de la musique", Artiste masculin et Album, ça fait du bien forcément, non ?

Oui, ça soulage de savoir que finalement les gens du milieu nous reconnaissent, parce que, c’est vrai, j’ai vécu trente ans de solitude sur les routes. Je pense que les artistes de ma génération m’ont laissé un peu de côté aussi. Donc, ça fait plaisir depuis 2000 de voir qu’une nouvelle génération d’artistes est là, m’invite et me reconnaisse.

Propos recueillis par L. Thessier.

(Cadence Info - 03/2015)


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